[Analyse tactique] Memphis, la dernière chasse
@axel_daillet
Alors que la sécheresse règne dans les plaines du Rhône depuis de longues
années, les grondements s’accentuent. Animés par la faim, les Lyonnais courent
après une couronne qui leur échappe depuis 2008. Avant de quitter la troupe en
fin de saison, Memphis Depay compte bien offrir un festin aux siens. Le Roi
Lion entame sa dernière chasse pour l’OL.
Voici maintenant quatre années que le Néerlandais a rejoint le Royaume lyonnais
et un an qu’il en a pris la tête, honoré du brassard de capitaine. Avant, très
probablement, l’heure des adieux à l’issue de son contrat en juin prochain.
Sur la route de Memphis
Lorsqu’il arrive à Lyon en janvier 2017, Memphis a un rôle bien différent
d’aujourd’hui. Pur ailier faux pied aligné côté gauche, Depay joue
essentiellement le long de la ligne avant de rentrer sur son pied droit dans le
dernier tiers. Une position occupée à Manchester United et qu’il reprend
naturellement à l’OL. Pourtant, à raison du temps, on remarque que le
Néerlandais est moins bridé dans l’axe. Il se recentre donc de saison en
saison, pour aujourd’hui être cet attaquant axial libre de dézoner et profiter
du mouvement autour de lui pour se faufiler entre les lignes.
À l’époque, l’axe est occupé par Fekir. Les deux ont plusieurs similitudes qui
gênent leur cohabitation. D’abord, d’un point de vue strictement positionnel.
Dans le 4-2-3-1 de Bruno Génésio, la place derrière l’attaquant revient
intuitivement à Nabil. Mais aligner Memphis en pointe surchargerait l’axe. Les
deux touchent et bougent beaucoup avec la balle, doivent être servis dans les
pieds et n’ont pas un jeu sans ballon qui leur permet de créer du mouvement.
Leur association fut symptomatique d’un des maux lyonnais : une dépendance à la
différence individuelle de chacun.
Même s’ils s’entendaient bien, ce manque de complémentarité n’a laissé
entrevoir une vraie connexion que sur quelques flashs. Finalement, les deux ont
alterné les très bonnes période mais rarement en même temps. Memphis s’est
souvent le plus illustré sans Fekir, la saison 2017-2018 étant sans doute la
meilleure illustration visuelle et statistique. Lors de la phase aller, Nabil
fracasse tout mais se blesse et joue moins en seconde partie de saison.
Memphis est alors nettement plus à l’aise. Dans un 4-4-2 losange, il se révèle
fort habile, associé devant avec Bertrand Traoré. Le Burkinabé assure du
mouvement en attaquant l’espace dans le dos de la défense ou en partant de
l’aile pour des appels extérieur-intérieur. L’ancien du PSV joue comme un
attaquant de soutien et profite des déplacements de Traoré. En Ligue 1, il aura
débuté 20 matches à gauche pour 8 buts et 6 passes décisives. En ayant commencé
dans l’axe, il compile 9 pions et 7 caviars en 8 parties. Le plus
impressionnant reste ses indicateurs d’expected goals et assists par 90 minutes
: 0,31 xG90 et 0,21 xA90 à gauche contre 0,76 xG90 et 0,49 xA90 dans l’axe.
Le joli but de Memphis contre Rennes le 9 janvier dernier (2-2)
Tout ou rien
Au-delà même du football, Memphis est un garçon très créatif. Musique,
vêtements ou tatouages, il a besoin de s’exprimer. Mais pour libérer cette
sensibilité artistique, nous avons vu que le cadre lyonnais n’a pas toujours
été idéal sur le terrain. S’il est charismatique au possible lorsqu’il marque,
son langage corporel cache rarement sa frustration durant les périodes moins
fastes. Une situation d’autant plus délicate lorsque l’attaquant traînait son
spleen à Lyon mais brillait en sélection.
De la même manière, l’ambivalence Memphis se manifeste aussi par son jeu.
Autant remarquable quand il est en réussite qu’agaçant quand il galère, le
Néerlandais n’est que rarement jugé avec nuance. Le fait est qu’il a besoin de
toucher le ballon et qu’en situation d’échec, il peut vite être accusé d’en
faire trop. Mais pourtant, cette recherche du geste difficile fait partie
intégrante de son jeu. Une facette qui pousse facilement dans les extrêmes,
partagée entre du talent pur et prises de décisions forcées.
Une propension à tenter qu’on interprète bien à travers certains domaines,
comme les tirs par exemple. Memphis tente beaucoup, parfois de très loin et
dans des situations complexes. Depuis qu’il évolue en Ligue 1, il a décoché 192
flèches d’en dehors de la surface avec une moyenne de 0,04 xG/tir. Mais en
réalité, il inscrit plus de 0,7 but/tir d’en dehors de la surface. Soit 14
golazos pour 7,55 xG, il surperforme donc largement et marque presque deux fois
plus qu’attendu de loin. Cette mauvaise sélection de tir, Memphis la justifie
par une réussite prononcée sur un gros volume.
Le peuple salue son roi
Cette saison, le cadre est idéal pour Memphis et ses performances avec l’OL
sont enfin unanimement saluées. D’abord, ses statistiques nettes en font le
troisième joueur le plus décisif du championnat cette saison avec 11 buts et 6
passes décisives. En pointe d’un 4-3-3, il est entouré par Karl Toko-Ekambi et
Tino Kadewere. Une nouvelle position qui offre beaucoup de liberté à Memphis,
évoluant comme un faux 9 avec des décrochages sur toute la largeur et la
longueur.
Là où l’Oranje était un poids mort à gauche qui ne pouvait pas exploiter
l’espace et se mouvoir sans ballon, Karl et Tino sont des partenaires parfaits
pour lui. Les deux lascars jouissent d’un excellent jeu sans ballon et
attaquent l’espace avec beaucoup de tranchant. Une disposition idéale sur
transition notamment, schéma où Memphis sera la clé pour parachever l’attaque
rapide et servir ses copains. Mais les deux ailiers sont aussi capables de
combiner avec le numéro 10 lyonnais. Leur jeu simple et efficace, souvent en
une touche, ne décélère jamais l’action et laisse la place à Depay pour
davantage toucher le cuir.
De la même façon, les relais au milieu sont efficaces et assurent une
verticalité bienvenue à l’OL. Lyon a les armes pour sortir du pressing
facilement et trouver rapidement Memphis qui profite de plus d’espace.
L’attaquant est alors le liant qui va toucher ses très mobiles compères
d’attaque sans ralentir le jeu. Intrinsèquement, l’ensemble des individualités
est peut-être moins fort qu’à l’époque des Fekir, Ndombele, Mendy ou Dembélé.
En revanche, il est davantage complémentaire et s’inscrit dans un projet plus
cohérent. En son cœur, Memphis détient enfin les clés de l’attaque dans un rôle
créatif taillé pour lui.
Contre Bordeaux (2-1), en l’absence d’Aouar et Paquetá au milieu, les Lyonnais
ont subi le pressing Girondins. Thiago Mendes a souvent eu du mal à ressortir
en pointe basse et les relayeurs Caqueret et Guimarães ont été coupés au
milieu. Les sorties de balles lyonnaises ont donc bien souvent consistées à
envoyer de longs ballons vers Memphis. Le jeu aérien étant l’un de ses points
faibles les plus identifiables, il a difficilement existé face à un Koscielny
qui l’a serré de près.
Quand l’OL perd en mobilité, le numéro 10 est moins touché, cassant la
structure offensive de l’équipe avec un trio d’attaque impuissant. Une donnée
récurrente pour les Gones depuis quelques matches, qui accusent peut-être un
contrecoup après la bonne fin d’année dernière.
Distributeur et leader créatif
Statistiquement, Memphis réalise sa meilleure saison dans le 69. S’éloignant de
l’image de soliste qu’on lui a souvent étiqueté, il se révèle comme un
distributeur de haut niveau. Il affiche sa meilleure marque en carrière en
terme d’expected assist avec 0,47 xA90. Pourtant, il ne fait pas plus de passes
par match qu’avant et juste un peu plus de passes clés. Son indicateur de
passes décisives attendues par passe clé est lui aussi le meilleure de sa
carrière : 0,15 xA/KP.
Cela s’explique par une meilleure prise de décision et une capacité à servir
ses partenaires dans des situations plus dangereuses. Combiné aux meilleurs
déplacements et positions de ses coéquipiers, le Lyonnais est un passeur bien
plus dangereux.
En Europe, Kevin De Bruyne est l’un des joueurs qui a les stats avancées les
plus proches de Memphis cette saison. Rassurez-vous, très loin de là l’idée de
comparer les deux, que ce soit par leur niveau ou leur jeu. Le constat est
simplement que le Néerlandais est devenu essentiel à Lyon pour avancer et
toucher ses attaquants sur la transition. Un nouveau rôle dans lequel il
s’épanouit pleinement, autant par sa production terrain que statistique.
Il est le dixième joueur de Ligue 1 le plus recherché puisqu’il a été la cible
de 1047 passes cette saison. Il est l’unique lyonnais et l’un des trois seuls
offensifs qui composent le top 10 avec Bamba et Fulgini. Memphis est recherché
en priorité par ses partenaires tant il est essentiel pour faire avancer
l’équipe. Autant par la passe que balle au pied, l’ancien du PSV a développé un
bel arsenal pour jouer de l’avant.
Son bon instinct lui permet de trouver rapidement les intervalles sur attaque
rapide, surtout avec les appels de Toko Ekambi et Kadewere, comme vu plus tôt.
Avec la gonfle, il a une bonne protection de balle et peut résister dos à un
adverse avec un bas du corps musclé qui lui assure une bonne puissance. Il en
demeure assez vif sur ses premiers pas et utilise toutes les surfaces de son
pied pour éliminer. Cela peut être l’extérieur ou le haut du pied, notamment
sur les sombreros qu’il tente en première intention. Mais il est aussi très
friand de la semelle, comme sur son geste signature où il se retourne lorsqu’il
est serré de près, souvent collé à la ligne de corner.
Ces gestes lui permettent d’éliminer facilement les adversaires en première
intention mais aussi lorsque ce dernier est très proche au contact. Il
bénéficie d’un bon jeu de corps mais est sans doute moins rapide et percutant
que dans sa jeunesse. Memphis est en fait peut-être plus habile pour éliminer
sur ses premières touches ou au contact que lancé en pleine course. Cela lui
permet aussi de se mettre facilement dans le sens du jeu lorsqu’il décroche et,
on y revient, faire avancer l’OL.
L’heure des adieux
Memphis Depay a toujours été assez transparent et n’a jamais caché son
intention de jouer dans un top club. La fin de l’aventure au Parc OL se dessine
doucement sous nos yeux, peut-être ponctuée par un joli cadeau de départ au
bout. Ou peut-être pas. Pour le remplacer, dur de se projeter. Lyon n’a pas
vraiment de profil similaire bien qu’à terme, cette position pourrait être
idéale pour Rayan Cherki. Mais il est encore trop tôt et Simba attendra un peu
avant d’être roi.
Quoi qu’il en soit, sous ses airs de rockstar Memphis aura dévoilé un
personnage touchant. Ce joueur clivant aura défié la sensibilité de chacun.
Quand son histoire ou sa personnalité peuvent toucher, d’autres plus terre à
terre lui reprocheront légitiment ses prestations inégales. En somme, s’il n’a
pas exploité la pleine mesure de son talent et embrassé la carrière qu’on lui
promettait, à bien des égards Memphis aura marqué les mémoires.
Source Ultimo Diez :
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