Karim Belhocine : « La crise fera ressortir les équipes qui ont bien travaillé »
Après une carrière de joueur sinueuse, conclue sur un titre de champion de
Belgique, Karim Belhocine, 42 ans, est devenu le coach en vue outre-Quiévrain.
À la tête des Zèbres du Sporting Charleroi, troisième surprise de Jupiler
League avant son arrêt, le natif de Vénissieux détaille les bonnes résolutions
d'un coach confiné, les clés du management des jeunes en 2020 et revient sur sa
rencontre avec Bruno Genesio.
Propos recueillis par Ken Fernandez jeudi 9 avril
Karim Belhocine : « La crise fera ressortir les équipes qui ont bien travaillé »
À quoi ressemblent les journées de confinement d'un entraîneur ?
Le football est aujourd'hui très secondaire, mais comme tout le monde, nous
devons nous adapter à cette situation inédite. On a réussi à distribuer des
vélos et des altères à tous nos joueurs avant le confinement et en Belgique,
ils ont le droit de faire du sport autour de chez eux, donc on organise une
première séance le matin et une deuxième l'après-midi en live avec le staff. On
a mis en place ces entraînements de groupe sur Zoom pour que les joueurs
puissent se voir, rire ensemble.
C'est aussi l'occasion de se poser et de prendre du recul sur son métier...
« J'aime observer le travail de Klopp, Zidane ou Guardiola pour voir ce que je
peux essayer de piocher chez chacun de ces grands entraîneurs. Voilà pour les
beaux discours. J'essaie de m'y tenir, mais comme pas mal de monde, je m'ennuie
aussi. »
Je fais surtout beaucoup travailler les analystes vidéo, les pauvres. J'essaie
de profiter de la période pour visionner nos rencontres et analyser le rapport
entre certains de nos buts et des exercices travaillés à l'entraînement... Je
me constitue une vidéothèque dans laquelle je conserve certains principes de
jeu. Je veux, par exemple, qu'à la perte du ballon, mes joueurs les plus
proches exercent un pressing de 5 secondes, tandis que les autres se
réorganisent. Donc je combine des séquences de matchs où nous avons réussi à le
faire, où nous l'avons raté, avec des actions d'équipes comme Liverpool. J'aime
observer le travail de Klopp, Zidane ou Guardiola pour voir ce que je peux
essayer de piocher chez chacun de ces grands entraîneurs. Voilà pour les beaux
discours. J'essaie de m'y tenir, mais comme pas mal de monde, je m'ennuie aussi.
La Ligue belge a été la première à prendre la décision d'arrêter son
championnat définitivement (*). Qu'en as-tu pensé ?
Les instances ont pris leurs responsabilités rapidement, et je pense que c'est
la décision la plus raisonnable. Il faut reconnaître qu'elle était plus simple
à prendre en Belgique où il ne restait qu'un match à jouer avant la fin de la
saison régulière. Au moins, la situation est claire.
Beaucoup d'entraîneurs estiment que leur rôle est avant tout de réduire les
incertitudes. Comment faites-vous pour préparer la prochaine saison dans ce
contexte ?
Il faut le prendre comme un challenge dans lequel nous devons prouver notre
capacité d'adaptation. C'est difficile de se projeter, mais on a commencé cette
semaine des discussions sur le recrutement, même si à mon avis, hormis dans les
gros clubs, il ne se passera rien durant ce mercato. On est obligés de prévoir
plusieurs scénarios pour la préparation de la saison prochaine. Une chose est
certaine, les joueurs ont droit à leurs trois, quatre semaines de vraies
vacances. On table sur une reprise du championnat fin juillet, même à huis
clos, donc ma tâche est de faire en sorte qu'ils soient prêts à ce moment-là.
« Ça me manque beaucoup de me poser dans le vestiaire pour les regarder danser
ensemble. Mais notre troisième place reste historique. »
L'arrêt de la saison est d'autant plus rageant pour le Sporting Charleroi, qui
termine à un point des tours préliminaires de la Ligue des champions...
Il y a un peu de déception, car nous étions sur une très belle dynamique. On
aurait aimé aller jusqu'au bout, savoir jusqu'où ce groupe extraordinaire
pouvait aller. J'ai rarement vu autant de complicité dans une équipe : de
Nicolas Penneteau, un de nos leaders, à Rémy Descamps, son remplaçant, tous les
joueurs ont un état d'esprit incroyable. Ça me manque beaucoup de me poser dans
le vestiaire pour les regarder danser ensemble. Mais notre troisième place
reste historique, et le Sporting Charleroi va disputer la Ligue Europa, c'est
déjà magnifique.
Karim Belhocine, champion une fois
Penses-tu que la crise économique qui s'annonce dans le football mondial puisse
être un avantage pour les clubs qui sont déjà habitués à se débrouiller avec
peu de moyens ?
Beaucoup de choses risquent de changer dans le monde, et le football n'est
qu'une composante de tout ça. J'espère qu'elle fera réaliser à certains que
nous sommes des privilégiés de vivre notre passion. Pour moi, si cette crise
économique permet de réfléchir à de nouveaux modèles, se recentrer sur les
centres de formation et le travail à long terme, ce sera une bonne chose. Elle
fera ressortir les équipes qui ont bien travaillé. En cela, les clubs belges,
qui ont toujours eu beaucoup moins de moyens que leurs voisins, seront
peut-être mieux préparés. On a déjà l'habitude de devoir s'adapter et d'être
malin pour exister.
Qu'est-ce qui t'a poussé à quitter le staff d'Anderlecht pour rejoindre
Charleroi ?
« Lorsque Kompany est arrivé À Anderlecht, même s'il souhaitait me conserver
comme adjoint, j'ai eu cette opportunité avec Charleroi et j'ai préféré
franchir le pas. »
Dès ma retraite de joueur, j'ai commencé comme adjoint puis entraîneur
principal à Courtrai pendant deux saisons. En 2017, j'ai eu l'opportunité de
rejoindre Anderlecht comme assistant de Hein Vanhaezebrouck alors qu'il jouait
la Ligue des champions. On a affronté le PSG et le Bayern Munich, c'était une
expérience exceptionnelle dans un club incroyable. J'ai fait deux intérims
comme entraîneur principal et lorsque Vincent Kompany est arrivé, même s'il
souhaitait me conserver dans son projet comme adjoint, j'ai eu cette
opportunité avec Charleroi et j'ai préféré franchir le pas.
C'est quoi le style Belhocine ?
Ce sont mes joueurs qui donnent le style de jeu de mon équipe. Cette saison, on
a beaucoup marqué en transition, car on a les profils pour, mais à
l'entraînement, je travaille tout autant les attaques placées. Un coach proche
de ses joueurs ? J'ai l'avantage d'avoir pris ma retraite il y a peu, donc je
connais bien la nouvelle génération. J'aimais le rôle d'assistant, car on peut
y créer plus de complicité que lorsqu'on est entraîneur. Ce n'est pas toujours
facile pour moi de garder une distance.
Pourtant, beaucoup d'anciens joueurs décrivent la nouvelle génération comme
étant moins passionnée, plus difficile à gérer...
« Oui, la nouvelle génération est différente de la nôtre, mais je pars du
principe que c'est elle qui est sur le terrain aujourd'hui. »
Dans le vestiaire, j'ai toujours préféré passer du temps avec des jeunes comme
Michy Batshuayi ou Christian Benteke, qu'avec les anciens qui leur tombaient
dessus pour un retard de 30 secondes. Oui, la nouvelle génération est
différente de la nôtre, mais je pars du principe que c'est elle qui est sur le
terrain aujourd'hui. On doit la conseiller, mais ce n'est pas à l'entraîneur
d'essayer de les faire devenir comme on était il y a vingt ans. À nous de
comprendre leurs motivations pour faire en sorte qu'ils s'épanouissent sur le
plan individuel et dans l'intérêt du collectif.
C'est quoi ce bordel à Anderlecht ?
En quoi ta carrière de joueur - CFA en France, D2 Portugal, D2, puis D1 en
Belgique - te sert-elle aujourd'hui ?
J'ai toujours été conscient de la chance que représente le fait de devenir
footballeur professionnel, car il m'a fallu travailler très dur, sur les
terrains et en dehors, pour franchir toutes ces étapes. Cela m'a forgé un
caractère et ces voyages m'ont rendu plus ouvert. Ils m'ont permis de côtoyer
des catégories de joueurs très différentes et de comprendre qu'on ne parle pas
de la même manière à celui qui sort d'un centre de formation et a toujours eu
des facilités, qu'à celui qui a quitté son pays pour vivre son rêve.
Depuis ton départ en Belgique il y a quinze ans, as-tu gardé des contacts en
France ?
« L'OL, c'est un club très particulier pour moi. »
J'habite à côté de Lille et je rentre à Lyon voir ma famille. J'ai d'ailleurs
été reçu pendant trois jours par Bruno Genesio pour la validation de ma licence
pro. On est tous les deux originaires du 8e arrondissement, et humainement,
c'est un gars extraordinaire. L'OL, c'est un club très particulier pour moi.
J'ai raté de peu un retour en ayant pris ma retraite quelques mois avant que La
Gantoise vienne jouer en Ligue des champions (1-2). Mais, même si c'est pour
nettoyer les vestiaires, j'aimerais beaucoup y revenir comme salarié un jour.
Propos recueillis par Ken Fernandez
Source So Foot :
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