Le 06/03/2011 18:33, Arnaud a écrit :
skipterr? c'est super! Le 06/03/2011 18:07, Arnaud a écrit :kweetair is not a good softare to use. forget it , dude, dude forgat! Le 18/01/2011 22:47, Stephanie Switzer a écrit :John Did you read the read me file before or after you downloaded qwitter? JUst wandering. Any way in order to read what people say to you you need to create buffers I don't know the short cut key off-hand, but the read me file should have it listed as well as the short cut keys used to be able to read the updates. To read the updates you need to go to that buffer and press the windows kee+ control+ the Up or down arrow keeys to access them Use control+windows + left or right arrow keys to move between the buffers. Someone said something about MCtwit, Had it, worked fine for a while, then I started getting "error" with a number each time I tried to reply to someone, or repost a tweet (retweet) so I had to eventually to uninstall it. (not that I'm saying that it is a bad program, because I am not.) Oh and thanks for pointing out that qwitter works with multiple screen readers I didn't do that when I first replied because John was asking about it in reference to Jaws. Okay that sounded kinda rude, but I'm not meaning it to. Sorry if it sounds that way to anyone. -- JFW related links: JFW homepage: http://www.freedomscientific.com/ Scripting mailing list: http://lists.the-jdh.com/listinfo.cgi/scriptography-the-jdh.com JFW List instructions: To post a message to the list, send it to jfw@xxxxxxxxxxxxx To unsubscribe from this mailing list, send a message to jfw-request@xxxxxxxxxxxxx with the word unsubscribe in the subject line. Archives located at: //www.freelists.org/archives/jfw Alternative archives located at: http://n2.nabble.com/JAWS-for-Windows-f2145279.html If you have any concerns about the list, post received from the list, or the way the list is being run, do not post them to the list. Rather contact the list owner at jfw-admins@xxxxxxxxxxxxxx-- JFW related links: JFW homepage: http://www.freedomscientific.com/ Scripting mailing list: http://lists.the-jdh.com/listinfo.cgi/scriptography-the-jdh.com JFW List instructions: To post a message to the list, send it to jfw@xxxxxxxxxxxxx To unsubscribe from this mailing list, send a message to jfw-request@xxxxxxxxxxxxx with the word unsubscribe in the subject line. Archives located at: //www.freelists.org/archives/jfw Alternative archives located at: http://n2.nabble.com/JAWS-for-Windows-f2145279.html If you have any concerns about the list, post received from the list, or the way the list is being run, do not post them to the list. Rather contact the list owner at jfw-admins@xxxxxxxxxxxxxx-- JFW related links: JFW homepage: http://www.freedomscientific.com/ Scripting mailing list: http://lists.the-jdh.com/listinfo.cgi/scriptography-the-jdh.com JFW List instructions: To post a message to the list, send it to jfw@xxxxxxxxxxxxx To unsubscribe from this mailing list, send a message to jfw-request@xxxxxxxxxxxxx with the word unsubscribe in the subject line. Archives located at: //www.freelists.org/archives/jfw Alternative archives located at: http://n2.nabble.com/JAWS-for-Windows-f2145279.html If you have any concerns about the list, post received from the list, or the way the list is being run, do not post them to the list. Rather contact the list owner at jfw-admins@xxxxxxxxxxxxxx
Marine Le Pen À contre flots ISBN : 2-7339-0957-6 © Avril 2006, by Éditions Grancher Collection dirigée par Ph. Grancher 98, rue de Vaugirard, 75006 Paris Tel.: 01 42 22 64 80 ? Fax : 01 45 48 25 03 www.grancher.com ? pg@xxxxxxxxxxxx « Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur, ou de ses ayants droit, ou ayants causes, est illicite (article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Le Code de la propriété intellectuelle n'autorise, aux termes des 2 et 3 de son article L. 122-5, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective d'une part, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration. » Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l'accord de l'éditeur. S'adresser au Centre Fronçais du Copyright - 6 bis, rue Gabriel-Laumain - 75010 Paris - Tel.: 01 48 24 98 30 « Le passeur d'eau, les mains aux rames, A contre flots, depuis longtemps, Luttait, un roseau vert entre les dents. » Émile Verhaeren Le passeur d'eau  Jehanne, Louis et Mathilde, qui comprendront plus tard que le temps que je n'ai pas passé auprès d'eux, je l'ai tout de même dépensé pour eux... Chapitre I Bienvenue dans un monde sans pitié C'est le froid qui m'a réveillée. À moins que ce ne soit le silence. Un silence de mort, assez assourdissant pour arracher à son premier sommeil une petite fille de huit ans. Il est quatre heures moins le quart du matin. Hier, jour de Toussaint, nous sommes allés dîner chez des amis de mes parents. Je me suis endormie peu après le dessert et ma mère m'a couchée dans une chambre à côté. Vers deux heures, nous sommes retournés chez nous, au 9 Villa Poirier, dans le XVe arrondissement de Paris. C'est une impasse qui donne dans la rue Lecourbe, à mi-chemin entre le métro Sèvres-Lecourbe et la mairie. Nous y occupons deux appartements, l'un au quatrième où logent mes parents, 9 l'autre au cinquième où je couche avec mes deux soeurs. Les duplex ne sont pas encore à la mode et le terme serait de toute façon impropre puisque les deux appartements ne communiquent pas : pour aller de l'un à l'autre, il faut emprunter l'escalier de l'immeuble. Un heureux hasard a fait que, lorsque je suis venue au monde ? troisième et dernière fille ?, le petit appartement du cinquième s'est libéré. Mon père a saisi cette opportunité pour mettre sa famille un peu plus au large, d'où l'extension du domaine familial et la juxtaposition, sur deux étages, du royaume des enfants et de celui des parents. Nous avons chacune notre chambre, là-haut, et une salle de bains. Nous y montons pour faire nos devoirs, pour jouer, pour dormir. On vient d'ailleurs de les refaire, ces chambres. Les travaux sont juste terminés, ça sent la peinture et le papier neuf. Quand je me couche, Yann et Marie-Caroline dorment déjà. Yann ? elle a douze ans à l'époque, et Marie-Caroline seize ? est allée faire un baby-sitting chez nos voisins, les parents du petit Guillaume, un bébé d'un an. Elle devait en théorie rester chez eux, mais elle a finalement retraversé le palier pour venir se glisser dans son lit. Sans qu'elle sache pourquoi, elle n'était pas tranquille... 10 Il me semble que je viens juste de m'endormir quand je suis réveillée en sursaut, saisie par le froid et cet étrange silence. Je vais me lever lorsque je m'aperçois que mon lit et ma chambre sont parsemés d'éclats de verre. Mais le plus saisissant, c'est cet incroyable silence, si épais, si dense. Et puis, comme si la vie revenait par bribes, déchirant une matière cotonneuse, un cri : « Marine, ne bouge pas ! ». C'est Yann. Impérieuse. Je l'entends mais je ne la vois pas. Une sorte de fumée blanchâtre et âcre flotte dans la pièce. Le temps de lui demander si je peux m'asseoir sur mon lit, Yann surgit. Marie-Caroline aussi, qui vient d'escalader une armoire pour s'extirper de sa chambre. Il y a des bris de verre partout, des gravats et surtout le froid qui monte de ce trou, béant, par où semble avoir disparu l'escalier. Y a-t-il eu un tremblement de terre ? Est-ce que meuble va finir de s'effondrer ? Est-ce que nous allons tous mourir ? Sommes-nous les seules survivantes ? Nous voilà maintenant toutes les trois sur le lit de Yann, mortes de peur. Agenouillées, grelottantes, les mains jointes, nous nous mettons à prier, avec la ferveur du désespoir : « Je vous salue Marie... », quand on entend la voix de notre père qui crie 11 depuis l'étage du dessous : « Les filles ! Les filles ! Est-ce que vous êtes vivantes ? » C'est Marie-Caroline qui répond : « Oui, oui, nous, on est là. On n'est pas blessées ! » Il appelle maintenant les voisins : « Monique, est-ce que vous êtes blessés ? » C'est Bernard, le père du petit Guillaume, qui répond d'une voix blanche : « Pour nous ça va, mais le bébé n'est plus là. Sa chambre a été soufflée ! » Soufflée, comme les cloisons des appartements, comme l'escalier qui n'est plus qu'un immense trou sombre. Les vingt kilos de dynamite qui ont éventré l'immeuble l'ont transformé en une maison de poupée : il n'y a plus de murs, on a vue sur toutes les pièces. Dieu merci, la construction à l'ancienne nous a tous protégés : les chambres étaient les pièces les plus éloignées de l'escalier, sans quoi... Mais le bébé, ce bébé auquel nous sommes si attachées ? Pour moi, il est mort, c'est une certitude. Commence alors l'attente dans l'appartement dévasté, qui nous paraît glacé comme une morsure. Au bout de ce qui nous semble une éternité, les pompiers retrouvent le petit Guillaume dans la cour. C'est un véritable miraculé. Projeté du cinquième étage avec son matelas qui a amorti la chute ? il y était attaché par une « gigoteuse » ?, il est tombé sur un arbre et n'a qu'un bras cassé. De même, les deux petites filles du troisième ont dû la vie sauve à une 12 poutre d'acier qui s'est mise en travers de leurs lits et les a protégées des dix tonnes de gravats amoncelés sur leur tête. Tous énuméreront, une fois sortis de là, les miracles successifs qui leur ont sauvé la vie, et de fait, Le Parisien du 3 novembre 1976 titrera sur « Le Miracle de la Toussaint ». Douze appartements en miettes, pas un blessé sinon le bébé, qui n'en conservera pour tout souvenir que son certificat pour le moins précoce de parachutisme et un surnom affectueux que lui donnera mon père : « le mutant ». Les pompiers, enfin, nous récupèrent dans leur nacelle. Ils ont évacué les autres par la grande échelle, nos parents compris, mais nous, nous sommes trop jeunes pour prendre un tel risque depuis le cinquième étage. Nous voilà donc dans la rue, un 2 novembre, en chemise de nuit et en chaussons, la seule chose qu'on ait pu attraper pour éviter de se blesser les pieds. Nos parents nous confient à des voisins, de l'autre côté de la rue, venus spontanément se proposer pour nous récupérer. Ils font partie des rares qui ont encore des vitres à leurs fenêtres. Et nous voilà plantées là, devant un chocolat chaud, chez des inconnus. Complètement perdues. Nous ne savons toujours pas ce qui s'est passé, s'il y a des morts et des blessés, et moi, comme toutes 13 les petites filles, je me demande si nos animaux sont encore en vie. En fait, on retrouvera notre malheureux caniche Rainbow, littéralement « vitrifié » sur notre canapé pendu dans le vide... Du champ de ruines qu'est devenu notre immeuble, plus rien : plus de cahiers, plus de papiers, plus de vêtements... Pendant des jours, nos parents iront fouiller dans les gravats pour récupérer ce qu'ils peuvent : objets personnels, bijoux, albums photos... En pareilles circonstances, il y a toujours des pillards à l'affût. Ce qui n'est pas détruit a parfois été projeté très loin, comme cette mallette de mon père qu'on nous a rapportée ; à l'intérieur un album, justement, retrouvé rue Lecourbe, dans lequel figuraient des photos de nous trois prises dans le bain. Nous ? les trois soeurs ? étions mortifiées à l'idée que ces photos aient pu être dispersées à tous les vents ! En ce matin du 2 novembre 1976, nous n'avons plus de toit. La municipalité n'a pas ouvert le gymnase à côté pour héberger les familles sinistrées, ni dépêché de psychologues en blouse blanche pour une « cellule de soutien». à chacun de se débrouiller comme il peut avec son malheur. C'est donc l'ami intime, Jean-Marie Le Chevallier, qui nous offre l'hospitalité et 14 accueille toute la famille chez lui pour plusieurs semaines. Nos parents décident que mes soeurs et moi continuerons de nous rendre à l'école comme si rien ne s'était passé ; ils pensent que c'est mieux ainsi, qu'il ne faut pas ajouter de rupture au drame ; sans doute ont-ils raison sur le moment. Toutefois, cette école nous paraît maintenant au bout du monde, notamment parce que, un jour sur. deux, la vieille 105 Peugeot rouge de notre mère ne veut pas démarrer ; je garderai de cette guimbarde un souvenir cauchemardesque... Notre bon samaritain habite le XVIIe et la traversée de Paris aux heures de pointe n'est pas, même à l'époque, une partie de plaisir. Il faut donc partir aux aurores. Et puis, surtout, je vais découvrir que l'école n'est pas le lieu de la compassion. Cela, j'aurai l'occasion de le vérifier hélas, à de rares et notables exceptions prés, tout au long de ma scolarité, toujours et encore, à cause non de ce que je faisais, bien ou mal, mais à cause de mon seul nom. C'est ainsi que ma soeur Yann, douze ans, la plus sensible sans doute de nous toutes, et une élève brillante ? elle était alors en 4e ? eut droit à une remarque foudroyante de son professeur de français. Devant faire une rédaction sur le thème « Racontez un événement de votre vie qui vous a profondément 15 marqué », cela quelques semaines seulement après l'attentat, elle fit bien évidemment le récit de cette nuit de cauchemar. Ce qui lui valut cette remarque : « Mademoiselle Le Pen, si je vous ai donné 15/20, ce n'est pas tant pour la qualité de votre copie bien trop excessive dans la forme, dans les mots et dans le fond, qu'eu égard au récent événement... » Avait-il seulement idée, ce professeur, de ce que fut notre peur ? Des amis qui nous hébergent, je ne sais, à l'époque, que ce qui peut intéresser une fillette de huit ans. Jean-Marie Le Chevallier est un intime de mon père, il vient souvent à la maison. Je sais qu'il « fait de la politique », notion absolument abstraite pour moi. Il vit alors avec une femme assez extravagante surnommée « Biquette » ; celle-ci s'évanouit deux ou trois fois par jour en prenant des poses théâtrales, ce qui nous fait, mes soeurs et moi, hurler de rire. J'apprendrai que Le Chevallier, le même qui deviendra trente ans plus tard maire de Toulon, non sans embûches, est alors le directeur de cabinet de Jacques Dominati, secrétaire général des Républicains indépendants. Ce n'est pas rien à l'époque. Les R.I., comme on dit alors, c'est le parti de Giscard, lequel est à l'Élysée. 16 Il a fallu en réalité cette nuit d'horreur pour que je découvre que mon père, lui aussi, « faisait de la politique ». Jusque-là je ne savais rien de lui, de l'homme public s'entend. Qu'il avait été député, qu'il avait fondé, quand j'avais quatre ans, un parti politique ? le Front national ? dont il était président, j'en ignorais tout. Et ce n'est pas le calicot apposé sur la porte de l'appartement, reproduction de l'affiche de la présidentielle de 1974, qui pouvait me renseigner. C'était une façon de se signaler un peu plus originale qu'une autre, voilà tout. Mais là, à partir de cette nuit de Toussaint, je ne peux plus l'ignorer. J'entre de plain-pied dans la politique, et par sa face la plus violente, la plus cruelle, la plus brutale : les vingt kilos de dynamite qui viennent d'éventrer notre immeuble ont été posés pour tuer Jean-Marie Le Pen, sa femme, ses enfants, et ce en faisant fi des familles qui vivaient autour. J'ai huit ans et réalise brutalement que mon père est quelqu'un de connu et qu'on lui en veut. Je comprends aussi que mon père peut mourir, qu'il risque de mourir, et ce qui est pire encore, de mourir parce qu'on veut le tuer. J'ai huit ans. 17 Je me suis endormie la veille comme toutes les autres petites filles de cet âge. Mais au réveil, je ne suis plus une fillette comme les autres. La thèse de l'attentat a été immédiatement confirmée. On a très vite informé mes parents que vingt kilos d'explosifs avaient été placés au 9 Villa Poirier, ce qui constituait « le plus gros attentat depuis la guerre ». Le 3 novembre 1976, l'explosion fait la une des journaux. France Soir écrit : «L'attentat contre Jean-Marie Le Pen a détruit douze appartements dans le XVe» et titre : «Un bébé tombe de cinq étages : il est sauvé par son matelas ». Le Parisien, dans son éditorial publié en « une » écrit ceci : « L'attentat fait suite au congrès du Front national dont un voisin de l'enfant, M. Jean-Marie Le Pen, se trouve être le président. Un petit groupement politique peut-il encore tenir congrès ? La télé peut-elle rendre compte des déclarations de son président sans que tous les voisins tremblent pour leur vie et pour leurs biens ? C'est la question posée par l'attentat. Il n'y a pas de liberté sans sécurité. La "libéralisation", qui remet sans cesse en liberté "malfrats" et terroristes, détruit littéralement la liberté. » 18 Quels malfrats ? Quels terroristes ? Le Parisien avait-il des informations ? Probablement pas, mais la question de la libération, anticipée ou non, du ou des auteurs de l'attentat ne s'est jamais posée pour la bonne raison qu'ils n'ont jamais été retrouvés. Ont-ils seulement été recherchés ? J'ose l'espérer, mais rien aujourd'hui encore ne permet de l'affirmer. Mon père, lui, n'a en tout cas jamais reçu le moindre signe de solidarité ni de compassion des autorités. Pas plus d'ailleurs qu'un quelconque signe ou mot du chef de l'État, ni d'un membre du gouvernement, ni même du préfet de police. Pas le moindre courrier, pas l'ombre d'un télégramme. Seul un jeune conseiller municipal du XVe arrondissement s'était déplacé sur les lieux de l'attentat pour y rencontrer les victimes. Le président d'un parti politique ? certes pas encore significatif ? avait frôlé la mort, son épouse, ses enfants et ses voisins avec lui ; un ancien député avait manqué de peu périr dans l'un des attentats les plus violents depuis la guerre (l'explosion avait coupé l'immeuble en deux et creusé un cratère de plus de vingt mètres de large) et nul ne s'en était ému outre mesure.  croire qu'il est des victimes qui méritent leur sort... Et c'est là où, à l'âge des poupées, je prends 19 conscience de cette chose terrible et incompréhensible pour moi : mon père n'est pas traité à l'égal des autres, nous ne sommes pas traités à l'égal des autres. Bien qu'étant une enfant, je sens bien qu'une tentative d'assassinat contre un homme politique ? même pas encore très connu ? est un événement majeur, or celle perpétrée contre mon père et sa famille sera très vite classée et passée sous silence. Personne n'y fera plus jamais référence. Je me rends compte, dès ce moment, que tout ce qui peut nous arriver n'entre pas dans une grille de lecture commune et "normale". Cette "différence de traitement", que j'ai ressentie et intégrée dès après l'attentat, deviendra le moteur de mon aversion pour l'injustice. C'est une idée qui est entrée en moi avec l'idée de la mort, la certitude qu'elle peut frapper n'importe quand, particulièrement mon père. J'ai longtemps vécu dans la peur qu'il lui arrive quelque chose... En réalité, je suppose que je n'arriverai jamais à me libérer de cette peur pour lui, inscrite dans la chair de la petite enfance. Il faut dire que si mes parents se sont toujours refusés à prendre des précautions particulières ? les seules qui seront prises le seront par l'État au moment de l'affaire de Carpentras ? nous n'en avons pas moins 20 vécu dans un constant climat de violence à notre encontre. Les menaces de mort, dans la vie de la famille Le Pen, c'est par vagues : il y en a toujours un petit peu, et parfois il y en a beaucoup. Je vis donc vraiment, depuis ce moment, avec la conscience du danger. Je sais que nous avons face à nous des gens qui n'hésitent pas et qui n'ont pas hésité, par cet attentat, à risquer la vie de dix familles pour tuer une seule personne. Cela va devenir un élément majeur de mon environnement, de ma propre construction. C'est encore ce qui fait qu'aujourd'hui j'éprouve une aversion radicale pour le terrorisme, que je considère comme la forme la plus vile du combat politique, que nulle cause au monde ne peut justifier. Certes, je sais fort bien qu'il est des situations dans lesquelles le seul mode de combat possible ? c'est en tout cas ce que prétendent ses adeptes ? paraît être la violence, mais le principe du terrorisme, c'est quand même de s'en prendre à des innocents. C'est là ce qui me révolte au plus haut point, aussi parce que je l'ai vécu enfant. La démarche consistant à faire sauter des infrastructures, des constructions symboliques, est différente de celle qui consiste à frapper des populations de manière aveugle. Quant au terrorisme « ciblé », je n'y crois pas. Au contraire. Quand on tue Rafic Hariri, pour citer un exemple 21 ,,,, MI, .? récent, on atteint aussi tous ceux qui sont autour, car le but est bien de semer l'effroi et la terreur. Dans le cas de l'attentat de la Villa Poirier, l'objectif était, je suppose, de terroriser un groupe, celui des amis politiques de Jean-Marie Le Pen. Mais ce que je veux dire ici, c'est que l'acte terroriste, quand on a eu à l'affronter, est un crime qui continue et vous poursuit, et c'est en cela qu'il est redoutable-ment efficace. On est resté en vie, oui, mais on garde la peur au ventre. C'est une gangrène qui gâte tous les actes de la vie, particulièrement pour une petite fille. On perd ses camarades, ses amis. Les copines n'ont plus le droit de venir dormir à la maison parce que leurs parents ont peur, peur qu'il y ait une bombe, peur pour la vie de leur enfant. Insidieusement, l'onde de choc continue de se propager. La peur de l'attentat crée un cordon sanitaire autour de vous : il ne faut pas vous fréquenter. Le Pen est un homme dangereux parce qu'il est une cible. Voilà l'équation créée à ce moment de notre existence par l'attentat. Voilà avec quoi il nous a fallu vivre et compter à partir de là. 22 Chapitre II Apprendre à vivre avec la politique Il n'y eut aucun "collectif" créé pour le relogement des sinistrés de la Villa Poirier, ou de toit offert par la ville de Paris et l'État. C'était à nous d'en trouver un. Ce fut donc à Saint-Cloud, dans le parc de Montretout, la maison d'Hubert Lambert léguée par héritage à mon père. Hubert Lambert, héritier des ciments éponymes, n'était pas l'oncle caché d'Amérique par où vous vient la bonne fortune. C'était un ami de Le Pen, et bien que cette relation fût importante pour l'un comme pour l'autre, la profonde amitié de coeur et d'esprit qui les liait depuis des années ne fut pas la principale et unique raison de son geste. On a collé à Le Pen l'image du diable, d'accord. Mais parmi les innombrables calomnies d'une injus- 23 tice absolue, proférées à son encontre, cet « héritage Lambert » tient une place de choix. Alors parlons-en. Quelque mois auparavant, Hubert Lambert ? qui avait pour nom de plume Hubert Saint-Julien ? avait dit à mon père, qui l'a toujours conservé à l'esprit : « Je veux que tu sois libre de faire de la politique, je veux que tu puisses t'y consacrer et je ne veux pas que tu sois contraint de sortir de ta route pour des considérations matérielles. Je veux que tu aies les moyens financiers de ne jamais dépendre de personne, de pouvoir faire les choix que tu considères comme justes sans être obligé de te préoccuper de la manière dont tu vas vivre, toi, et dont tu vas faire vivre ta famille. Donc, je te fais mon héritier, car je sais que la liberté que je t'apporterai, tu t'en serviras pour défendre les idées nationales. » Au moment où Hubert Lambert tient ce discours, il est encore jeune. D'ailleurs, Jean-Marie Le Pen, abasourdi, lui fait gentiment remarquer que le légataire est plus âgé que son donateur, ce qui rend très hypothétique la transmission ! A la quarantaine, Hubert Lambert vit encore avec sa mère ; elle s'occupe des choses qui l'ennuient, et lui, il passe son existence à se cultiver. De fait, la culture est son unique passion, et à travers elle, le combat politique. Auteur de plusieurs ouvrages, collaborateur régulier du National, le mensuel édité 24 alors par le mouvement de Jean-Marie Le Pen, Hubert Lambert est devenu membre du Conseil national du Front. Totalement absorbé par ses activités intellectuelles, il mène certes une existence confinée, mais rien ne laisse supposer qu'il puisse mourir prématurément. Pourtant, il revient toujours sur cette histoire de testament, qu'il considère comme un acte politique mûrement réfléchi. Lambert invite même à plusieurs reprises mon père à les accompagner, sa mère et lui, chez leur notaire ? ce que Le Pen refuse ? jusqu'au jour où ce sont Hubert Lambert et sa mère qui se déplacent jusqu'à l'appartement de la Villa Poirier pour remettre à Jean-Marie et Pierrette Le Pen les testaments croisés qui les font héritiers. Car c'est bien la mère et le fils, et non seulement ce dernier qui, d'un commun accord, ont décidé de transmettre ainsi leur patrimoine'. Mon père prend ce testament, le met dans un tiroir et l'oublie. 1. Mme Lambert avait rédigé un testament d'abord en faveur de son fils, puis à défaut à Jean-Marie Le Pen, à défaut, à Pierrette Le Pen, à défaut, aux enfants Le Pen. De son côté, Hubert Lambert léguait ses biens à sa mère, puis à défaut à Jean-Marie Le Pen, à défaut, à Pierrette Le Pen, à défaut, aux enfants Le Pen. 25 Le temps passe, jusqu'au décès de Mme Lambert. Elle meurt à l'été 1976, victime d'une occlusion intestinale ; son fils va la suivre quelques semaines plus tard. Vivant dans une totale fusion avec sa mère, Hubert Lambert n'a en effet pu supporter le chagrin causé par ce décès. Il se laisse littéralement mourir dans la maison de Montretout, où ils vivaient tous deux. Il refusera même de se faire hospitaliser. A ce moment-là, au décès d'Hubert Lambert, vivaient au rez-de-chaussée de la maison leurs cousins. Ces derniers s'attendaient à hériter, du moins est-il logique de le penser, et apprennent sans joie excessive ? ce que la suite montrera ? l'existence de ce testament qui les déshérite au profit d'un légataire universel, Jean-Marie Le Pen. S'engage alors aussitôt entre eux et mon père une partie de bras de fer homérique. Aussi furieux que désappointés, ils ont en effet interdit l'entrée de la maison à Jean-Marie Le Pen. Ils lui dissimuleront même le décès de son ami quelques heures plus tôt, d'où plainte au procureur de la République et apposition de scellés sur les parties de la maison qu'occupaient Hubert Lambert et sa mère, soit le premier et le second étage. Quoi qu'il en soit, à peine la mort de Lambert 26 devient-elle officielle qu'une action en contestation de testament est engagée par le cousin Lambert, préambule à un procès dont tout laisse à penser qu'il sera extrêmement long. Et c'est donc dans ce contexte houleux que nous débarquons à Montretout cinq semaines après l'attentat avec ce qui nous reste de bagages, c'est-à-dire rien ! En vérité je dois dire que, n'eussent été les circonstances dramatiques qui nous y contraignaient, ma mère ne voulait pas du tout s'installer là. « C'est une vieille maison, disait-elle, sombre, triste et bien trop grande pour nous. » Seulement, nous n'avions plus nulle part oit aller excepté l'hospitalité de nos amis qui ne pouvait être éternelle, et aucun autre port d'attache en vue. Cette demeure restait le seul point de chute que nous puissions raisonnablement trouver : nos parents n'avaient pas les moyens d'acheter quoi que ce soit et personne ne voulait louer à Le Pen, l'homme qui venait de prendre vingt kilos de dynamite ! C'est donc un peu contraints et forcés, et pas emballés du tout, que nous sommes venus nous installer dans cette maison de Montretout. On comprend que dans le contexte procédurier précédemment décrit, le climat n'est guère au beau fixe. Chez les voisins forcés que nous sommes 27 devenus, les cousins Lambert et nous, les noms d'oiseaux volent plus souvent qu'à leur tour. Entre le rez-de-chaussée et les étages supérieurs l'ambiance est donc électrique ! Il n'empêche, je réussis malgré tout à devenir copine avec la dernière des Lambert qui doit avoir sept ans. Bien qu'enfants, nous n'en avons pas moins conscience des enjeux qui séparent nos parents, alors nous jouons un peu en cachette dans le jardin, dans le parc... Il faut bien vivre, et la vie des enfants c'est le jeu. De plus, j'ai un tempérament résolument gai et optimiste de nature, au point que ma mère m'a surnommée « Miss bonne humeur». Elle m'appelait aussi « Miss trompe-la-mort » car j'étais plutôt casse-cou et sans aucune conscience du danger, que ce soit à vélo, à ski, ou à mobylette... Bref, je joue avec la maudite voisine et les rapports sont si tendus entre les adultes que cela fait un jour l'objet d'une discussion : «Est-ce que Marine peut jouer avec la petite Lambert ?» Et mon père dit oui, bien sûr. Alors, comme signe d'une indéfectible amitié et pour sceller le pacte de non-agression entre le rez-de-chaussée et le premier étage, la petite Lambert et la petite Le Pen s'en vont, main dans la main, déposer la hache de guerre au fond du jardin ? en l'occurrence un coupe-ongles que nous enterrerons en grand secret au pied d'un arbre. Finalement, chacun convenant qu'un mauvais arrangement vaut toujours mieux qu'un interminable procès, les deux parties trouvent un accord qui nous permettra de jouir de l'ensemble de la maison. Et c'est au bout du compte ? et comme toujours ? le fisc qui sera le grand gagnant de cet héritage (taxé à 20 % d'un côté et à 60 % de l'autre). La succession sera par la suite close sur un coup de théâtre puisque ceux qui la contestaient reconnaîtront, dans une renonciation solennelle, l'inanité de leur démarche et la parfaite authenticité du geste d'Hubert Lambert et de sa mère. La vie n'en deviendra pas facile pour autant. En effet, le cousin Lambert était déjà président de la copropriété du parc de Montretout. Après avoir quitté la maison de sa tante, il a racheté une autre maison dans le parc et s'y est réinstallé, si bien que les relations de voisinage ne s'en sont pas trouvées franchement « huilées » car une certaine distance, fort compréhensible du reste, s'est installée entre lui et nous. Il faut ajouter à cela que nous vivions dans un site clos et privilégié, habité par des personnes aisées. Dans ce milieu, les gens tiennent particulièrement 29 à leur intimité : l'arrivée de Jean-Marie Le Pen ne fut pas ressentie comme un présage de tranquillité. Quant à nous, les filles, il nous semblait avoir atterri en pleine cambrousse. Paris était bien loin et nos amis aussi. C'est d'ailleurs à ce moment-là que nos parents ont vendu la maison de Mainterne, près de Dreux. Mainterne... Ça nous paraissait vraiment comme le bout du monde ! C'était surtout une maison ouverte à tous, où défilaient à l'année les copains qui venaient avec leurs enfants passer le week-end. C'est dans ces trajets Paris-Mainterne que nous avons appris la plupart des chansons de l'armée et tout le répertoire de la chanson française que mon père connaissait par coeur. Il n'y avait pas de radio dans la voiture alors on faisait la chorale tous les cinq, on chantait en canon pendant le trajet qui me semblait durer des heures, d'autant que mon père avait une grosse Buick qui tombait en panne tout le temps. Il avait une prédilection assez inexplicable pour les grosses voitures américaines dans lesquelles on avait bien mal au coeur et où l'on pouvait gueuler à tue-tête « Les Oies sauvages », « La Madelon» ou le répertoire complet de la marine à voile. Il faut comprendre que la vie de la famille Le Pen était à mille lieues de la caricature bourgeoise qu'on 30 s'est plu depuis à en faire. Pour résumer en une image : le déjeuner dominical avec le «gigot-haricots verts-flageolets », ça n'était pas pour nous. À maints égards, nous ne menions pas le moins du monde une vie de famille traditionnelle. Tout d'abord, que ce soit à La Trinité-sur-Mer où, malgré la grande modestie des lieux, on organisait régulièrement des fêtes, ou à la Villa Poirier et à Mainterne, les portes n'étaient jamais fermées pour quiconque. Il y avait toujours quantité de gens, amis ou parfois simples connaissances qui passaient sans prévenir et restaient dîner, refaisant le monde jusqu'à trois ou quatre heures du matin. Combien de fois n'ai-je pas entendu ma mère dire : « Ah bon ! D'accord, je fais des pâtes pour douze, quoi ! » C'était la reine du plat de pâtes, parce qu'on commençait les repas à quatre et on les finissait immanquablement à dix ou douze. Dans ces années de ma petite enfance, c'était vraiment la maison du bonheur, sans formalisme : il y avait un brassage perpétuel, toutes générations confondues, des copines des filles qui passaient et entraient, l'amie de ma mère, Dany, accompagnatrice de voyages qui dès qu'elle n'était pas en voyage habitait à la maison, des copains de mon père qui s'invitaient systématiquement à manger au dernier moment. Tout ce monde constituait une sorte de bande où 31 figuraient déjà ceux qui allaient devenir les compagnons politiques de mon père, mais aussi des journalistes, des gens du show-biz (ou qui en feraient partie plus tard), bref des amis de tous les horizons et d'opinions variées. Aussi heureux soit le souvenir que j'en garde aujourd'hui, cela se faisait toujours un peu au détriment de notre vie de famille ? et là je pense à nous, les filles ? mais c'était la vie qu'avaient choisie nos parents. Un choix, certes peu orthodoxe au regard de la société actuelle qui place les enfants au centre de toutes les activités. Eux étaient un couple avant d'être des parents, avec ce que cela peut signifier de fusionne!, et ils le sont restés jusqu'à ce qu'ils se séparent. Je veux croire, d'ailleurs, que c'est une des raisons de l'extrême violence de leur divorce. Leurs enfants venaient toujours après le couple, ce qui n'enlève rien à l'amour qu'ils nous portaient, mais c'était comme cela : un apprentissage forcé de l'autonomie y compris de l'autonomie affective. Ainsi, ils voyageaient énormément, sans nous. Les années de traversée du désert qu'a connues mon père ont en fait été des années de traversée des océans ? au moment de ma naissance, c'était par exemple à bord du bien nommé « Cambronne », plus tard ce fut «l'Homme tranquille » I, puis II. 32 Les bateaux étaient des voiliers bien sûr, les bateaux à moteur étant surnommés avec le plus grand mépris des «promène-couillons ». Mes parents ont traversé tous les deux l'Atlantique, le Pacifique, ils sont allés aux Galapagos, à Tahiti... Le seul voyage que nous ayons fait ensemble, c'était à la Martinique aux vacances de Noël qui ont suivi l'attentat, dans un besoin alors évident de se retrouver tous. Autrement, ils nous confiaient de longues semaines à Nana (Anne-Marie), la jeune Bretonne qui avait rejoint la famille à la naissance de Marie-Caroline, ma soeur aine. Nana avait seulement quatorze ans ? c'était l'aînée d'une famille très modeste de huit enfants ? quand elle garda ma soeur durant le premier été suivant sa naissance. Les choses se passèrent si bien que, septembre approchant, ma mère alla trouver ses parents et leur demanda s'ils accepteraient que leur fille se joigne à la famille et vienne vivre à Paris pendant quelques mois. Nana est donc venue s'installer avec nous. Elle resta... dix ans ! Malgré son jeune âge, elle avait déjà quitté l'école, bien que sa soif d'apprendre fût extraordinaire, sa débrouillardise innée et sa gentillesse infinie. Mais à 33 l'époque, il était courant d'arrêter l'école tôt pour travailler. Dans le contexte actuel, là encore, je vais décrire une chose difficile à expliquer, mais elle devint pour nous cinq aussi bien la quatrième fille de la famille que la « baby-sitter ». Intelligente et extrêmement curieuse, elle apprit mille choses qu'elle n'aurait probablement pas connues si elle était restée chez elle en Bretagne. Avide de connaissances et de savoir, elle ingurgita tous les classiques que mon père lui donnait à lire et elle acquit un niveau d'instruction auquel elle n'avait hélas pas eu accès auparavant. Il est évident que sa présence a donné à nos parents une liberté de mouvement et d'esprit très grande et qu'ils en ont profité. Nana nous a quittés à l'âge de vingt-quatre ans pour se marier ; elle est ma marraine et je l'aime infiniment. Bien sûr, je la vois toujours autour d'une vingtaine de cafés ! Elle a toujours été pour moi un élément extrêmement structurant. Mariée à un policier, ils ont tous les deux vécu très modestement dans le XXe arrondissement, tirant souvent le diable par la queue. Mais ils ont élevé trois enfants d'une manière remarquable. La gentillesse, la sagesse, le bon sens de Nana, sa droiture et sa douceur ont toujours été un appui et un exemple pour la jeune fille puis la femme que je suis devenue. 34 Elle est aussi pour moi la démonstration vivante que, contrairement à ce que laisse entendre une partie de la gauche, des parents modestes ne font pas des enfants délinquants. Cette idéologie consistant à trouver toujours et encore de bonnes raisons au laxisme parental, au délitement de l'éducation dans des conditions économiques difficiles, est en réalité une insulte aux gens modestes. Ils ont au contraire, souvent plus encore que les autres, à coeur de bien élever leur progéniture et de leur transmettre, plus que d'autres là encore, la valeur de l'argent, du travail et l'envie de donner plus que l'on a reçu. La générosité... Une belle leçon de vie. Bref ! Nana ou pas d'ailleurs, nos parents bougeaient toujours beaucoup. Ainsi ma mère a-t-elle effectué un voyage quand je n'avais qu'un mois et demi, laissant durant quelques semaines le nourrisson que j'étais à la garde de mon père, ce qui en soi faisait montre d'un optimisme béat quant à la conduite de la chose. Mon père qui, à l'époque, ne savait même pas faire cuire un oeuf, s'est donc occupé de moi quelques semaines durant. Comme il voyait bien que Nana, devenue une jeune femme, avait besoin d'un peu de liberté, il lui donnait de temps en temps quartier libre. Ces soirs-là il me changeait, préparait mes biberons, un 35 vrai exploit quand on le connaît ! Je pense sincèrement que cela a contribué à créer entre lui et moi des liens un peu différents de ceux qu'il avait établis avec mes deux soeurs. Forcé par les circonstances, il s'est peut-être senti un peu plus responsable de ce bébé, tout simplement. Quant à ma mère... Au fond, il y avait chez elle une sorte de fatalisme teinté d'égoïsme tranquille : il advenait ce qui devait advenir. Elle était « animale », riche de contacts, de baisers, d'affection lorsqu'elle était là, mais comme je l'ai déjà dit on ne mélangeait pas le couple et les enfants. Or, le couple passait avant les enfants : elle était d'abord la femme de Jean-Marie Le Pen et après seulement la mère de Marie-Caroline, de Yann et de Marine. Aujourd'hui, je souris lorsqu'elle fait mine de le regretter. En fait, je crois qu'au fond d'elle-même elle ne le regrette pas du tout : elle a vécu vingt-cinq années extraordinaires aux côtés d'un homme qu'elle aimait passionnément. Les enfants furent la simple concrétisation de cette fusion, « un petit plus ». Je le dis sans acrimonie car s'il m'est arrivé d'en souffrir, la vision de ce couple si puissamment uni était aussi en soi une leçon. Pour elle, Jean-Marie passait avant tout le monde, avant nous aussi. Jean-Marie était malade, de mauvaise humeur, avait un souci, voulait l'emmener quelque part ? Ni 36 une ni deux, sans s'interroger un tant soit peu sur ses obligations à notre égard, elle plaquait tout pour le veiller, le soulager, le suivre, quels que soient les sacrifices à faire pour cela. Issue de la petite bourgeoisie du Sud-Ouest qui ne la prédisposait pas particulièrement à ce destin, ma mère fut, il faut l'admettre, de tous les coups durs ; face aux dangers, aux insultes, aux diffamations, son plus solide soutien, son « repos du guerrier » comme elle aimait à le dire. Je l'ai vue pleurer mais du mal qu'on faisait à Jean-Marie, jamais sur elle-même ou sur la vie paisible qu'elle aurait pu vivre. Jamais sur nous non plus, d'ailleurs... Ce couple ultrafusionnel était une chose incompréhensible pour la petite fille que j'étais, il paraît inaccessible à la femme que je suis aujourd'hui. C'était au fond pour nous une école de la vie un peu rude, un chemin forcé vers l'indépendance, mais il fallait bien faire avec. Nous avons donc repris une existence en apparence normale après l'attentat, cela dans un contexte qui lui, était tout sauf normal. Avant toute chose, nos parents considéraient que nous n'avions pas à être protégées de la vie. La philosophie de mon père, que je peux comprendre mais qui se révèle tout de même à terme non dénuée de risques, était de dire : « Vous êtes des filles Le Pen pour la vie, 37 ça ne va pas être facile, alors autant vous y mettre tout de suite. » Il faut être extrêmement fort pour résister à cela. Chez ma soeur Yann, plus sensible et plus fragile, cela a fait pas mal de dégâts. Sincèrement, nous en avons longtemps voulu à notre père de nous imposer ce mode de fonctionnement. Les épouses des hommes politiques disent que la politique est une maîtresse terriblement envahissante, mais ce qui est vrai pour les épouses l'est également pour les enfants. Mes soeurs et moi nous sommes toujours plaintes, et à juste titre, de ce que notre père ne se passionnait pas pour notre vie, nos amis, notre scolarité. Mais pour autant, je peux comprendre avec le recul. Je dirais même que, plus j'avance dans la vie, comme dans le combat politique, et mieux je comprends ce qu'on a pu, à tort, prendre chez lui pour de l'indifférence. Jean-Marie Le Pen est avant toute chose un homme politique et la politique nécessite un certain nombre de sacrifices. La vie familiale en fait partie. La phrase qui a été la sienne pendant longtemps et dont on oublie toujours la fin ? « Je préfère mes filles à mes cousines, mes cousines à mes voisines... et la France par-dessus tout ! » ? n'est pas un simple slogan, encore moins une boutade. C'est sa réalité profonde, une construction, un mode de vie. La question n'est pas la profondeur 38 de l'amour pour ses enfants. Mon père adore ses enfants. Le problème, c'est que lorsqu'on fait de la politique au niveau national et surtout dans les conditions extrêmement dures qui lui furent imposées, cela nécessite hélas de ne pas trop regarder sur les côtés. Il ne faut pas trop regarder s'il y a des victimes collatérales parce qu'alors... on s'arrête. Or la douleur, les dommages provoqués jour après jour aux proches en choisissant cette voie de la politique provoquent naturellement des remords chez celui qui en est la cause. Mais c'est une douleur sur laquelle on ne peut pas s'éterniser. Si l'on accepte de s'en avouer à soi-même le coût familial, alors on ne fait plus de politique. C'est tout. Et j'insiste : le contexte particulier, globalement hostile dans le cas de mon père, en dit long sur son caractère. Car faire de la politique dans les conditions éminemment difficiles qui sont et ont toujours été les siennes, c'est autre chose que de faire de la politique sur les chemins balisés qui vont de l'ENA aux cabinets ministériels, en passant par les copains et les cercles, comme d'autres passaient jadis par les alcôves. Faire de la politique dans les conditions de combat qui ont été celles de Le Pen, c'est âpre. S'il avait commencé à l'époque à se poser la question de savoir si ses enfants n'allaient pas souffrir, ou s'ils 39 n'allaient pas être marqués sur plusieurs générations par le combat politique qu'il menait ? un combat qui est allé jusqu'à mettre nos vies en péril ? il aurait probablement cessé. Il est certain que cette dualité entre l'amour paternel et l'idéal politique a été l'occasion de violents conflits intérieurs chez lui. Bien entendu je comprends, même si ça fait mal, que certains le détestent. Mais ? croyez-le ou non ? Le Pen est un patriote viscéral pour qui la France est au-dessus de tout et en cela, il est à mes yeux un homme d'État. Une chose m'a beaucoup marquée dans l'éducation qu'il nous a donnée, qui n'était pas à proprement parler une éducation politique mais plutôt une éducation éthique, morale. C'était une parabole sur la responsabilité et l'exercice du pouvoir. Il disait : « Je suis le capitaine du bateau, j'ai cent cinquante hommes d'équipage et j'ai une partie du bateau qui prend l'eau. Il faut fermer la porte étanche, mais il y en a douze qui sont à l'intérieur de la partie inondée. Qu'est-ce qu'on fait ? Voilà la difficulté du pouvoir, elle est là et uniquement là, nous disait-il. Est-ce que, par humanité pour les douze qui sont condamnés, on condamne à la noyade l'ensemble de l'équipage, ou est-ce que, la mort dans l'âme et le coeur déchiré, on ferme la porte pour sauver les cent trente-huit qui restent ? » 40 Voilà la problématique du pouvoir telle qu'elle m'a été expliquée dès mon plus jeune âge par mon père. C'est le sens de son engagement, de son combat politique et aujourd'hui du mien. Un questionnement éternel et plus crucial que jamais, dans la mesure où personne dans la classe politique actuelle ne semble plus assumer aujourd'hui ce devoir. Or le rôle essentiel, et le plus difficile d'un politique, c'est justement de faire des choix en assumant les conséquences de ceux-ci. Le général Mac Arthur disait que deux mots expliquaient tous les échecs : « trop tard ». Avoir su trop tard, avoir compris trop tard, avoir agi trop tard... 41 APA Chapitre III À l'école laïque... mais pas neutre En janvier 1977, nous faisons notre rentrée à l'école publique de Saint-Cloud. J'aimerais pouvoir dire « comme tout le monde », mais ça ne sera pas comme tout le monde. En apparence, nous avons repris une vie normale et du haut de mes huit ans je me rends en effet à l'école comme toutes les petites filles. J'y vais seule, je rentre seule. Aucune protection particuliére ne nous a été affectée, aucune mesure de sécurité n'a été prise. Il faut dire que Le Pen est un Breton assez bretonnant et qu'il nous a élevées, formées et forgées dans l'idée qu'on doit affronter la vie de face et l'assumer coûte que coûte. Pour résumer en une phrase sa position : « Je ne veux pas de gilet pare-balles, ça attire les balles. S'il 43 ". 4k. 4t,_ doit m'arriver quelque chose, il m'arrivera quelque chose, et quoi que je puisse faire ça n'y changera rien. » Il est de ceux qui pensent que ce qui doit arriver arrive ; donc ce n'est pas la peine de changer ses habitudes. On peut prendre cela pour un fatalisme aveugle ou pour une foi extraordinaire en la Providence. Il a raison d'y croire d'ailleurs, car jusqu'ici les faits ont démontré qu'il avait un ange gardien particulièrement efficace. Une seule fois mon père et nous serons protégés : au moment de l'affaire de Carpentras, et c'est l'État qui le lui imposera (ce qui ne manque pas de sel lorsqu'on sait que François Mitterrand avait défilé à l'époque en tête du cortège qui promenait l'effigie de mon père au bout d'une pique !). Donc à huit ans, rescapée d'un attentat, je vais à la communale de Saint-Cloud seule et je rentre à la maison, seule. Voilà pour l'apparence. Dans le fond, la réalité est moins simple. La réalité, c'est que j'ai quitté mon école du XVe arrondissement, quitté les copines, ma meilleure amie Isabelle que j'adorais... Bref, j'avais, nous avions laissé au loin notre passé, abandonné notre quartier pour atterrir dans un endroit que nous ne connaissions pas, dans une maison vieille et sombre au fond d'un parc. 44 En cela c'était un choc. Dans cette affaire ma soeur Yann a été la plus touchée. Pendant une longue période elle a fait des cauchemars, revivant chaque nuit l'attentat. Je dois dire que c'est un traumatisme dont nos parents ne se sont : pas rendu compte malgré leur amour pour nous. Extrêmement sensible sur le plan affectif, Yann a été terriblement marquée par cet événement puis par son départ forcé, la perte de tous ses amis et de son cadre de vie. Elle avait douze ans à l'époque, l'âge de l'entrée dans l'adolescence, et ce drame a été sans conteste la grande raison de son décrochage scolaire. Ma soeur était en effet une très bonne élève, je l'ai déjà dit, qui arrivée à Saint-Cloud a complètement perdu pied, cela, hélas, dans l'indifférence générale. Le traumatisme majeur de l'irruption de la mort dans notre univers, au travers de cet attentat, n'a pas été réellement mesuré par nos parents. Il faut dire que leur jeunesse avait davantage été marquée par la guerre que par la lecture de Françoise Dolto. Pourtant, à partir de cette date, les attentats vont se succéder, prélude à des campagnes d'une autre ampleur au fur et à mesure que le Front national s'imposera peu à peu dans le paysage politique français. Les locaux de la SERP, l'entreprise que dirige 45 mon père rue de Beaune', vont être dynamités, tout comme, par la suite, de nombreuses permanences du Front national. Mes deux soeurs et moi avons donc grandi avec cette conscience profondément ancrée que nous étions dans la ligne de mire, non seulement d'ennemis résolus, mais aussi dans l' oeil du cyclone de la presse, dont certains écrits peuvent blesser des enfants aussi grièvement qu'une balle. Cette certitude d'être différents façonna notre mode de vie d'une manière particulière, nous imposant une responsabilité collective. C'est même plus complexe que cela à vrai dire : enfant, adolescente, je me sentais ? nous nous sentions, mes soeurs et moi ? responsables de notre père. Nous savions que tous nos comportements et ceux de nos amis ainsi que tous nos propos pouvaient être utilisés contre lui, avoir une incidence sur sa vie à lui. De même, nous savions que d'aucuns n'hésiteraient pas à se servir de nous pour l'atteindre et l'idée d'avoir une responsabilité quelconque dans les blessures qui lui seraient infligées était insupportable. 1. La SERP, Société d'Études et de Relations Publiques, était une société d' éditions phonographiques créée par jean-Marie Le Pen en 1962. 46 Face à cela deux attitudes sont possibles. On peut sombrer dans l'angoisse et la peur, jusqu'à la paranoïa, ou bien adopter la philosophie paternelle du « Si ça doit arriver, ça arrivera ». Ce choix vous étouffe ou vous fait mûrir très tôt. Mais hélas, on ne le sait qu'après. Pour ma part, je pense que c'est ma nature foncièrement optimiste et heureuse qui m'a protégée sur la durée ; néanmoins, cette période a marqué, beaucoup trop tôt pour un enfant, la fin de l'insouciance et la nécessaire prise en compte du contexte social. A partir de ce moment-là, être la fille Le Pen a signifié l'entrée dans un monde foncièrement injuste, un monde où j'allais devoir sans cesse me surveiller, me justifier et défendre mon père. Notamment dans l'univers scolaire. C'est en effet à cette époque, et surtout à partir du collège, que je m'aperçois que Le Pen est quelqu'un de connu, en tout cas chez les enseignants. Au début je ne suis pas touchée : mes deux années et demie à l'école primaire de Saint-Cloud se déroulent sans encombre, mais mes soeurs, elles, qui sont au collège et au lycée, commencent déjà à connaître de sérieux problèmes, ceux que je vais rencontrer plus tard moi-même au CES. Car être une fille de Le Pen ce n'est pas comme avoir un père pilote de course ou commerçant : c'est 47 être perpétuellement comptable, non seulement de ses faits et gestes mais également de ses options politiques, que vous les partagiez ou non ! Mes premières années de collège sont celles du début de la campagne qui voit l'arrivée de Mitterrand au pouvoir. À douze ou treize ans je découvre avec stupéfaction qu'un certain nombre de professeurs ne peuvent pas m'encadrer, pour parler clairement, au seul titre que je suis la fille de mon père. Et ils me le font savoir. Encore une fois, je tiens à le dire, j'ai eu l'occasion de rencontrer dans le monde enseignant des gens extrêmement corrects. Mais j'en ai aussi croisé beaucoup qui se moquaient éperdument de mon statut d'enfant et, faisant fi de la neutralité à laquelle ils prétendaient pourtant, et qui est leur honneur en théorie, m'ont largement fait sentir la détestation qu'ils éprouvaient vis-à-vis de mon père. Cela a même parfois pris des proportions assez violentes, comme ce jour où je me suis blessée, au collège, et où, au lieu de me traiter comme n'importe quelle élève, on m'a intimé l'ordre de me taire en disant : « Mademoiselle Le Pen, arrêtez votre comédie ! » Une « comédie » qui s'est terminée à l'hôpital où ma mère m'a conduite ensuite au sortir de l'école, et qui m'a valu le port d'une minerve pendant un mois. 48 Au nombre des brimades, je me souviens également de ce jour où l'un des responsables de l'école m'a prise à partie méchamment devant tout le monde pour me faire rentrer sous mon pull la médaille de la Vierge que je portais au cou, en disant d'un ton blessant : « Mademoiselle Le Pen, tout le monde n'a pas les mêmes opinions religieuses que vous ! » C'était montrer là, plus de vingt ans avant la loi sur le foulard et les signes religieux « ostensibles », une conception de la laïcité particulièrement bornée et un traitement qui m'était bien sûr exclusivement réservé. Devant cette hostilité manifeste, ces épisodes arrivant après une longue série, ma mère, qui pourtant n'intervenait jamais, prit la décision de me changer d' établissement. C'était inédit car, de fait, je ne me souviens pas que mon père ou ma mère soit jamais intervenu d'une quelconque façon. Peut-être n'avaient-ils pas conscience de ce que nous vivions au quotidien dans nos établissements respectifs, ou bien s'étaient-ils fait un principe de rester à distance ? Et puis tout est relatif. Ce sens de la distance, leitmotiv de mon père, a bercé notre enfance. Il nous le répétait à l'envi 49 chaque fois que nous nous mettions en tête de nous plaindre : « Vous pourriez être nues dans la neige en temps de guerre ! » Combien de fois ai-je pu entendre cette phrase. Politiquement, à plusieurs reprises, cette tendance à relativiser lui sera d'ailleurs reprochée. Les enfants que nous étions souffrirent profondément de certaines situations, mais pour notre père, la souffrance était autre chose. Ce que nous vivions était selon lui un désagrément assez dérisoire face à la cause défendue, la France, et d'en appeler à Henri W: «L'amour immodéré que j'ai pour la France m'a toujours tout rendu facile. » Évidemment je n'ai pas la moindre idée de ce qu'a pu ressentir mon père tout jeune, et qui fut sans commune mesure avec mon enfance protégée. Né en 1928, adolescent pendant la guerre, on lui apprit à quatorze ans la mort de son père, coulé par une mine allemande, et il connut les restrictions, les trente kilomètres à vélo pour se rendre, quel que soit le temps, au collège des jésuites, le froid souvent, la faim parfois, les vies de labeur des marins-pêcheurs de La Trinité-sur-Mer, des vies qui cassent le dos des hommes et endurcissent le coeur des femmes. Je suppose que nos blessures de gosses et d'adolescentes lui paraissaient assez anodines... J'avoue que sur le coup la leçon est raide ; mais, 50 adulte, le cadeau est grand, celui qui consiste à ne jamais oublier qu'il y a toujours plus malheureux que soi ? parce que c'est foncièrement vrai et que cela ramène les choses à leur juste proportion. Quoi qu'il en soit, nos parents ne se sont quasiment jamais manifestés auprès du corps enseignant. À leur décharge, il faut dire que nous nous gardions bien d'aller leur raconter ce qui se passait, de peur que cela ne s'aggrave encore. C'est le problème majeur de tous les enfants qui sont en butte aux brimades ou même au racket : ils taisent ce qui leur arrive. C'est d'autant plus net quand le mal est fait par un adulte qui incarne l'autorité. Que ma mère vienne mettre les choses fermement au point avec l'enseignant qui m'avait prise en grippe et j'imaginais aussitôt mon sort au cours suivant, seule face à lui et la classe... Il est donc évident que je n'ai pas toujours tout raconté, me contentant souvent de distiller un certain nombre de faits mineurs en espérant que mes parents comprendraient... C'est entre soeurs que nous évoquions les injustices qui nous étaient faites. Et puis, je le redis, je crois que ni ma mère ni mon père ne sont intervenus pour la raison que j'évoquais plus haut : notre père considérait que nous n'avions pas à être protégées de la vie, qu'il ne fallait pas qu'on vive dans un cocon, et que, somme toute, la 51 condition humaine étant ce qu'elle est, il convenait de s'endurcir sans délais C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles il nous a envoyées dans le public et non dans le privé. Les professeurs qui s'attaquent à une élève mineure ne sont pas par définition de grands courageux. Alors, les sous-entendus et les regards lourds de reproches m'étaient adressés au détour de tel ou tel sujet étudié. Bien avant le débat sur la façon dont il conviendrait d'enseigner la colonisation, j'avais eu à goûter de « ces salauds de colonisateurs », « ces soldats tortionnaires » et j'en passe. Je peux témoigner que la manière dont la question de la colonisation était abordée à l'époque, surtout en ma présence, ne manquait pas de repentir ! J'allais donc, la boule au ventre, en histoire, en économie, en instruction civique, tant je redoutais que le sujet ne serve d'occasion à des développements politiques qui stigmatisaient ouvertement Le Pen et ses idées, toujours caricaturées. L'abolition de la peine de mort, la Seconde Guerre mondiale, l'immigration et bien d'autres sujets furent pour moi, dans le cadre scolaire, un calvaire où l'on me faisait bien sentir quel monstre abject m'avait engendrée. Jusqu'en faculté de droit où, un jour, en travaux dirigés, l'enseignant trouva délicat de nous faire étudier un arrêt rendu en 73 ayant condamné 52 Le Pen pour « apologie de crime de guerre », à cause d'un disque publié par la SERP. Encore aujourd'hui j'ai du mal à me défaire du malaise que provoquaient en moi ces comportements. Que ceux qui voudraient faire de même avec mes enfants sachent qu'ils devront compter sur ma vigilance et ma combativité, car je n'accepterai jamais qu'ils vivent la même chose que nous. Cette confrontation à une hostilité permanente que personne ne songeait à dissimuler ? hostilité qui est même devenue, au fil des années, un gage de vertu républicaine et une médaille en chocolat ? s'est révélée pour nous, sur le plan personnel, une loterie. Au jeu de l'inné et de l'acquis, ce fut pour nous quitte ou double : c'est passé ou ça a cassé. En effet, face à un tel déluge qui jamais ne cesse, on peut se forger, comme je crois l'avoir fait, une forte personnalité. Encore une fois, quelle est là-dedans la part de l'inné et celle de l'acquis ? Mystère. C'est ça, la loterie. Chez ma soeur Yann c'est allé jusqu'à sa déscolarisation, ce qui n'est pas un acte anodin. Elle a tout lâché l'année de son bac parce qu'elle n'en pouvait plus. Elle était confrontée à une telle hostilité au lycée, qu'une conseillère d'éducation kabyle, qui s'appelait Fatima et que je remercie ici, l'avait prise sous son aile. C'est cette femme qui est venue 53 trouver nos parents pour leur dire : « L'hostilité politique dont votre fille est victime est proprement inadmissible. Ce qu'elle vit est insupportable. Elle est confrontée à une dureté telle, que cette gamine est en train d'être vraiment détruite. » Yann avait déjà décroché depuis longtemps, mais à bout, elle lâchera tout à quelques mois du bac et partira au loin. Et il aura fallu que ce soit quelqu'un du lycée qui vienne le dire à mes parents. En vain, c'était trop tard. Quel qu'ait été le dévouement de cette femme, Yann conserve encore aujourd'hui à l'égard du système éducatif un ressentiment considérable. Ma soeur est finalement partie travailler sous les tropiques l'année de sa terminale, quant à Marie-Caroline, après le bac qu'elle a passé à dix-sept ans, elle a suivi ses études supérieures aux États-Unis et en Angleterre. Du fait de notre différence d'âge, j'ai finalement assez peu de souvenirs d'enfance à partager avec mon aînée. En fait, nous n'appartenons pas à la même génération, et dans les années de ma petite enfance la distance était trop grande : les préoccupations d'une gamine de neuf ans ne sont pas celles d'une jeune fille de dix-huit ans. Néanmoins, Marie-Caroline reste ma grande soeur et j'ai donc eu l'occasion de l'entendre raconter sa vie de lycéenne. Je sais qu'elle fut, comme 54 Yann, en butte à des brimades inadmissibles : ainsi Fatima ? celle-là même qui avait défendu Yann ? retrouvera son dossier de bac sur la couverture duquel était marqué, au crayon, «père fasciste ». De tels comportements amènent à se poser très objectivement la question de la laïcité. Parce que si l'on en parle beaucoup aujourd'hui, c'est exclusivement sous l'angle de la neutralité religieuse ; or, il ne faut jamais oublier que la laïcité c'est aussi, et peut-être avant tout, la neutralité tout court. Mais cet aspect de la laïcité, qui devrait être prioritaire dans l'esprit du corps enseignant, a été largement laissé de côté. Il est admis depuis des décennies que les professeurs ont le droit, et même le devoir d'être politisés. C'est non seulement toléré mais souvent encouragé par la hiérarchie, dans la mesure oû le militantisme est accueilli et favorisé dans la plupart des établissements. Or le fondement même de la laïcité c'est la neutralité, y compris politique. Force est de reconnaître qu'au cours des trente dernières années, la politique s'est installée au sein de l'école et l'arrivée de Mitterrand au pouvoir en mai 1981 n'a pas facilité notre scolarité. Incontestablement, Mitterrand et la gauche ont incarné un espoir pour un grand nombre de professeurs dans l'Education nationale de l'époque. Mais ces ensei- 55 gnants ? dont on sait qu'ils constituaient le gros de son électorat ? se sentirent après 1981 libérés de toute obligation de réserve. A ce moment-là, beaucoup d'élèves ? et pas seulement à Paris ? ont subi en cours de véritables discours politiques. Qui plus est, des discours politiques doublés de sectarisme. Car il ne s'agissait pas seulement de dire : « Voilà ce que je pense », mais bien «Voilà ce que je pense et ceux qui ne pensent pas comme moi sont des fachos ». Ce fut particulièrement visible au moment du vote de la loi Badinter sur l'abolition de la peine de mort. Aucun avis divergent n'était toléré sur le sujet et tous ceux qui osaient argumenter en faveur du maintien de la peine capitale étaient considérés par un certain nombre d'enseignants dont j'ai eu à subir les cours comme des fascistes, ce qui signait du reste la fin de tout débat. Je pense que le respect de la neutralité politique à l'école est une valeur précieuse, d'importance égale au respect de la laïcité, et ne doit faire l'objet d'aucune concession. Aussi j'estime que cette dérive de l'Éducation nationale, qui n'a pas su porter la neutralité comme une valeur pérenne, porte une lourde responsabilité dans le climat délétère qui règne aujourd'hui en son sein. Or cette dérive n'est pas stoppée, loin de là. J'ai eu connaissance comme 56 femme politique, et j'ai eu à plaider comme avocate, de maintes violations de ce principe : des enfants de responsables du Front national ont ainsi été insultés, vilipendés, sans jamais aucune réaction de l'Éducation nationale. Ces enfants doivent-ils être punis en raison des opinions de leurs parents qui déplaisent ? Qui dit même, en outre, qu'ils partagent ou partageront dans le futur ces opinions ? Un enfant doit être protégé par le système éducatif, qui lui garantit a minima la sécurité et la tranquillité pour apprendre. Il y a encore quelques jours, la secrétaire départementale du Limousin de mon parti m'a contactée car l'école de sa fille l'obligeait à acheter un livre dans lequel un Arabe se faisait tabasser par des crânes rasés qui défilaient au milieu d'une marée de drapeaux tricolores, le 1 er mai, devant la statue de Jeanne d'Arc (colossale allusion !). Ainsi, les mêmes qui plaident pour aborder les religions de manière prudente (sauf la religion catholique, bien sûr, où là on peut se lâcher) pour ne pas blesser des parents dans leur foi, n'hésitent pas à laisser penser à une enfant que sa mère participe peu ou prou à des rassemblements où l'on se livre à des ratonnades, que son engagement politique est odieux, raciste, dangereux, violent. 57 Dans un livre paru en 19941 ? ça n'est pas hier ? Hervé Algalarrondo (alors journaliste politique au Nouvel Observateur) écrivait que « le péché mignon » des « beaufs de gauche », espèce disait-il surreprésentée dans les hautes sphères de l'Éducation nationale, est de « voir des fascistes partout sauf là où il y en a » et de « sonner le tocsin tous les quatre matins devant le retour supposé de la « bête immonde ». Il ajoutait à cela : « Le beauf de gauche est l'ami du genre humain, mais son idée de l'Autre est toute théorique. Lui ne voit pas plus loin que le boulevard Saint-Germain » et « tout ce qui contrevient à sa conception fantasmagorique de la République est~ frappé d'opprobre. » Algalarrondo s'inquiétait de la cécité idéologique de tout ce petit monde alors focalisé sur la guerre contre le Front national, et renvoyait par son titre la gauche à ses caricatures, le « beauf de gauche » ami du genre humain étant le dangereux pendant de l'abruti raciste à front bas immortalisé par le dessinateur Cabu. Ainsi s'alarmait-il des conséquences de l'angélisme de la gauche sur l'immigration : «L'intelligentsia n'a pas un discours de gauche mais un discours de classe. Celui d'une bourgeoisie libérale, 1. Hervé Algalarrondo, Les a Beaufs de gauche » ? Ces adeptes du prêt-a-penser, J.-C. Lattés, 1994. 58 généreuse certes, mais ignorante des phénomènes engendrés par l'immigration dans les quartiers où elle est massive. » Si Algalarrondo stigmatisait dans son livre cette gauche intello qu'il connaissait particulièrement, ses propos collaient tout aussi bien à la droite qui l'a rejointe pour former le « front républicain», cette improbable coalition réalisée non pour défendre la République lâ où elle est réellement menacée, mais pour combattre le Front national en ce qu'il la menace, elle, la classe politique. Dans leur prétention à incarner le bien, renvoyant tout contradicteur au rôle de « salaud » (on se souvient des propos d'un Bernard Tapie, alors ministre de la ville, à propos des électeurs du FN) et de « collabo », la classe politique n'a pas voulu voir ce qui se tramait. Elle a laissé s'installer par lâcheté, par aveuglement volontaire, des comportements incompatibles avec le principe de la laïcité ? pourtant fondamental dans notre République. Si l'on s'en tient à la définition du dictionnaire, et c'est celle qui vaut jusqu'à preuve du contraire, la laïcité est la « conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l'État n'exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique ». Or, si l'on 59 oppose cette définition à l'analyse objective de la situation actuelle dans notre pays, on ne peut que se demander si « la réputation de la France, pays laïc, ne tient pas de la légende ». Question que se posait la sociologue Michèle Tribalat, ancien membre du Haut Conseil à l'Intégration. Il faut en effet regarder ce qu'est devenue sur ce plan l'école, durant toutes ces années oû, sous prétexte d'imposer un multiculturalisme salvateur contre le fascisme rampant, on a, via de nombreuses dérogations à la laïcité, laissé s'instaurer toutes les dérives. Le « projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics » (dit communément Loi sur le voile) a été déposé à l'Assemblée le 28 janvier 2004. Il faisait suite aux travaux de la commission Stasi et au rapport de la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école. Six mois plus tard, l'Inspection générale de l'Éducation nationale (Groupe Établissements et vie scolaire) rendait elle-même un rapport tout à fait inquiétant sur « les conditions de mise en oeuvre de la laïcité », relevant que les signes et tenues vestimentaires ne semblaient constituer « que l'arbre qui cache la forêt », la réalité étant que « les dérives les plus graves et les entorses les plus sensibles à la laïcité » 60 constituaient désormais une menace grave « à la cohésion sociale et à la concorde civile ». En juin 2004 donc, soit dix ans après la publication du livre évoqué plus haut, force est de constater que si la République et la nation sont en danger, c'est principalement en raison de l'aveuglement et de la lâcheté de nos élites. Les rapporteurs insistent d'ailleurs sur « le déni généralisé de la part de beaucoup de personnels et de responsables » quant à la situation réelle dans leur établissement, les pires atteintes au principe de laïcité étant généralement tolérées au terme d'invraisemblables négociations. On signale ainsi le contrôle de plus en plus violent exercé sur les filles au sein des établissements, le « refus de la mixité, dès l'école maternelle, par de petits garçons », « des cas de fillettes voilées et d'observance de jeûne dès le cours préparatoire », et des affrontements répétés avec les parents sur ces mêmes questions. Dans telle école, on a « dû organiser un sas sans fenêtre où la directrice peut, deux fois par jour, reconnaître les mères avant de leur rendre leur enfant » ; dans tel autre collège, « les classes ont été composées et les emplois du temps constitués en séparant les professeurs favorables et défavorables au voile ». On signale partout « le refus par un nombre croissant d'élèves de consommer toute viande non abattue selon le rituel religieux », si 61 bien que tel proviseur «jette la viande non consommée » quand tel autre « a institué une ségrégation entre "musulmans" et "non musulmans" ». Ailleurs, c'est «la surenchère entre familles juives et musulmanes » qui fait rage dans les cantines. Même chose pour les fêtes religieuses, certains proviseurs préférant alors «mettre toute activité en sommeil» voire « fermer en donnant congé aux personnels ». Quant au contenu même de l'enseignement, il est partout contesté (notamment dans les matières comme l'histoire, la littérature ou la philosophie), tout savoir y étant assimilé à une simple opinion et donc contestable au regard des dogmes religieux.  ce stade, une évidence s'impose pour les rapporteurs : « Il est clair que les pratiques des établissements scolaires ne permettent pas aujourd'hui de protéger la liberté des choix spirituels des familles pour leurs enfants mineurs. » C'est dire que non seulement la laïcité est bafouée, mais le prosélytisme encouragé ! Hélas, il y a plus grave encore : c'est l'émergence sur notre sol d'une véritable nation musulmane. En effet, concluent les rapporteurs, « un grand nombre d'élèves d'origine maghrébine, Français voire de parents français, la majorité sans doute dans certains établissements, se vivent comme étrangers à la communauté nationale ». Interrogés sur leur 62 nationalité, ils répondent «musulmane» et « si on les informe qu'ils sont Français, ils répliquent que c'est impossible puisqu'ils sont musulmans ». L'identité collective qui se référait hier à une communauté d'origine ? ce qu'on pourrait appeler l'ethnicisme ? « se transforme aujourd'hui en sentiment d'appartenance assez partagé à une nation musulmane universelle, distincte et opposée à la nation française ». Mais ce qui vaut à l'école n'est, comme le disent les rapporteurs, que «la partie scolairement visible d'une dynamique plus vaste, souvent récente, parfois brutale » d'une montée en puissance du phénomène religieux dans notre société, phénomène assorti de revendications qui concernent « exceptionnellement le christianisme, parfois le judaïsme et très souvent la religion musulmane ». Mais comment en serait-il autrement puisque, d'hésitations en compromis, l'État s'est mis à négocier sur tous les sujets, refusant manifestement de s'appuyer sur la laïcité, principe fondamental de la République. Comment a-t-on pu tolérer les propos de M. Breze, président de l'UOIF et ami de N. Sarkozy, assurant : « Le Coran est notre constitution»1, bref, d'abord la charia pour la communauté 1. In Le Parisien, 12 avril 2003. 63 musulmane, puis, lorsque c'est possible, c'est-à-dire s'il n'y a pas antinomie entre notre droit et le droit musulman, les lois françaises. C'est très exactement ce qui est à l' oeuvre dans le système scolaire et que les signataires du rapport de l'Inspection générale de l'Éducation nationale nomment avec une extrême pudeur «des évolutions inquiétantes ». Leur conclusion, émanant d'une institution qui persiste à jouer l'autruche, est pourtant fort explicite : « Dans certains quartiers, qui sont loin, répétons-le, de se cantonner aux banlieues des grandes villes, se sont déjà édifiées des contre-sociétés closes dont les normes sont le plus souvent en fort décalage voire en rupture avec celles de la société moderne et démocratique qui les entoure », écrivent-ils. Et de relever qu'« il ne s'agit nullement pour ces populations d'un repli identitaire des plus anciens, mais bien d'une identité de substitution qui se diffuse d'abord parmi les jeunes de la seconde ou troisième génération. » Le verdict des rapporteurs est sans appel, dénonçant comme un fait aujourd'hui acquis ce que le Front national annonçait depuis vingt ans, à savoir que «le projet de ces groupes ouvertement ségrégationnistes et qui dénoncent l'intégration comme une apostasie ou une oppression, va encore plus loin. Il est aussi de rassembler ces populations sur le plan 64 politique en les dissociant de la nation française, en les agrégeant à une vaste "nation musulmane" . Projet qui est déjà en bonne voie d'avancement auprès des jeunes populations scolaires. Hélas, si « cette vague de fond » travaille l'école, « elle n'en reçoit que l'écume », signe que le mal est infiniment plus profond et plus répandu hors des murs de celle-ci, évidence que la classe politique ? tout comme les responsables de maints lycées et collèges ? s'évertue à ne pas voir. Il y a douze ans, Algalarrondo écrivait : « Chez les intellectuels français, l'irresponsabilité est de mise. Dans la dialectique entre éthique de la responsabilité et éthique de la conviction, le beauf de gauche n'hésite pas : il se moque du principe de réalité ? c'est bon pour la droite et les cons ? et défend les principes éternels sans jamais chercher à mesurer leurs effets sur le terrain. » Les faits étant têtus, il a bien fallu que la gauche se décide à y aller et le constat est sans appel, confirmant mot après mot, ce qui nous a valu toutes ces années d'opprobre. Le rapport de l'Éducation nationale conclut : « C'est là où l'on a transigé, où l'on a reculé, "passé des compromis" comme on l'entend dire souvent, que nous avons constaté les dérives les plus graves et les entorses les plus sensibles à la laïcité ». Attirant l'attention du ministère sur « les consé- 65 quences désastreuses » de cette « stratégie de la paix et du silence à tout prix» et de « tous les reculs et toutes les hésitations des pouvoirs publics », les inspecteurs de l'Éducation nationale n'ont plus qu'une supplique : «rechercher, développer et promouvoir à tous les niveaux » les deux seules qualités qui permettraient d'enrayer le désastre : «la lucidité et le courage ». Une définition qui, somme toute, sied particulièrement bien au mouvement auquel j'appartiens. Le lecteur comprendra donc que, si j'ai abondamment cité ce rapport officiel, c'est que pareille description faite par mes soins m'aurait valu à coup sûr l'indignation générale et la réprobation, assorties des poursuites pénales habituelles. 66 Chapitre IV Dieu... reconnaîtra les siens J'ai été une petite fille très pieuse, essentiellement grâce à ma meilleure amie Dominique que j'ai rencontrée en arrivant à Saint-Cloud. C'est avec elle que je me suis inscrite au catéchisme, et ce sont ses parents, et non les miens, qui m'emmenaient à la messe le dimanche. Car contrairement à une image répandue, si mon père a la foi, il n'est pas un pratiquant assidu. J'ai certes reçu une éducation religieuse traditionnelle, la référence à Dieu étant vécue comme quelque chose de tout à fait naturel. Mais dans ce domaine comme dans d'autres, l'éducation de mes parents ne passait ni par de longs discours, ni par une instruction particulière. La foi était perçue comme un itinéraire personnel, le cercle le plus intime des êtres, qui requiert par conséquent la plus grande pudeur. 67 Pour comprendre il faut aller puiser dans la vie de mon père. En effet, un événement marquant de son adolescence a bouleversé ses rapports avec l'institution et l'a longtemps hanté. Avec une mère catholique pratiquante, mais un père également ? ce qui était assez rare dans le. milieu des pêcheurs ? Le Pen a passé sa petite enfance à l'école des soeurs. À la maison, on dit la prière du soir, on va aux Vêpres, à la messe du dimanche où il sert comme enfant de choeur ? toutes choses qui paraissent aujourd'hui antédiluviennes. C'est une amitié qui l'entraîne, une fois sa confirmation faite, vers l'école laïque où il découvre cette fois la morale et le civisme, version sociale et humaniste du catéchisme. Mais il demeure profondément attaché aux valeurs familiales et se rêve même, à l'adolescence, un destin de missionnaire en soutane blanche. La vie va en décider autrement : la mort de son père, en pleine guerre, est pour lui la sortie à marche forcée de l'enfance. Hélas, les pères jésuites chez qui sa mère, par des sacrifices inouïs, a pu l'inscrire deux ans plus tard en internat, ne comprennent pas le bouleversement que ce deuil a produit dans son existence ; devenu malgré lui l'homme de la famille, mon père ne supporte pas qu'on veuille lui appliquer une discipline rigide desti- 68 née à des gamins. Et la direction n'a bientôt plus qu'une idée : se débarrasser du collégien Le Pen. Alors un matin, le Supérieur le convoque et lui dit : « Mon cher enfant, préparez-vous à être courageux. Appelez Dieu à votre secours car je suis obligé de vous donner la pire des nouvelles : votre maman est morte. » Le collège se trouve à Larmor-Baden et mon père n'a que son vélo pour retourner à La Trinité-sur-Mer. Il va pédaler comme un désespéré sur les trente kilomètres qui le ramènent vers une maison désormais vide. Or, qu'aperçoit-il en arrivant ? Sa mère, dans le jardin, occupée à étendre le linge. Les prêtres ont menti pour se débarrasser de lui ! Ils ont menti de la pire des manières, la plus odieuse et la plus liche. On pourrait penser que cela fut involontaire, croire à un épouvantable quiproquo, mais non, le surveillant dépêché par le collège assumera sans aucune gêne : « tuer sa mère » était le plus sûr moyen que ses maîtres avaient trouvé pour se séparer d'un élève encombrant ! Il faudra des années à mon père pour revenir, selon ses propres termes, « non pas à la religion, mais à Dieu ». Ce n'est pas sa foi qui avait été ici brisée, mais sa confiance dans ceux qui la professent, une confiance qui 'ne sera en réalité jamais tout à fait restaurée. Cette méfiance, je la vivrai moi-même plus tard. 69 Quoi qu'il en soit, c'est dans ce climat commun à beaucoup de catholiques que nous sommes élevées. Les bases sont tout à la fois minimales et solides : on va au catéchisme pour apprendre, on fait sa communion, sa confirmation, on fête Noël et Piques, et on va même à la messe en famille pour les grandes occasions. Aussi, je n'ai jamais douté. Et dans les épreuves, c'est spontanément vers Dieu que je puise le réconfort supplémentaire à celui que me transmettent les miens. J'étais donc une fillette pratiquante, et même si c'était un peu sous l'influence de la famille de mon amie Dominique, très respectueuse des principes et des règles enseignés au catéchisme. Je faisais le carême, je m'appliquais à ne pas manger de bonbons avant d'aller à la messe pour pouvoir communier... Autant d'actions qui peuvent paraître dérisoires de nos jours, mais qui s'inscrivaient sous le signe du respect, de la fidélité à des règles de vie, qui procédaient du désir à devenir une personne estimable. Et être une bonne chrétienne ou un bon chrétien, c'est témoigner par son comportement d'un ensemble de valeurs telles que la bonté, la charité, le pardon, toutes ces valeurs d'une importance considérable pour moi. Ce que j'ai dit du monde de l'école, je peux hélas 70 le dire aussi de celui du clergé. J'aurais parfois aimé trouver un peu plus de neutralité, sinon de simple retenue chez les gens d'Église. Or, dès que j'ai été en âge de m'intéresser à ce qui se disait du Front national et de mon père, dès que j'ai commencé à décrypter les propos des uns et des autres, je me suis rendu compte avec effroi qu'un certain nombre de prêtres et d'évêques excluaient, sans autre forme de procès, les gens du Front national de la famille chrétienne. Beaucoup nous interdisaient de salut, au motif qu'on ne pouvait être catholique et membre du Front national, l'un étant exclusif de l'autre, cela en des termes d'une très grande violence. C'était ? et c'est toujours, comme on a eu l'occasion de le constater en avril 2002 ? une véritable condamnation morale ; condamnation que j'ai ressentie, adolescente, comme une injustice et une douleur par rapport à mes convictions. Comme l'archevêque de Reims, qui fit tout au long du dimanche fermer la célèbre cathédrale pour empêcher que les manifestants du FN, venus par milliers pour commémorer les mille cinq cents ans du baptême de Clovis, puissent assister à la messe. Ces réactions de haine m'ont intimement blessée et coupée de l'Église. À partir du moment où le clergé n'acceptait pas les membres du Front, je 71 n'avais plus envie de croire en l'Église. Pire, j'ai perdu l'envie d'y croire. Par miracle, cela n'a jamais atteint ma foi et ma relation personnelle avec Dieu, même si pendant de longues années j'ai éprouvé un vif ressentiment vis-à-vis de l'institution. Je ne parvenais pas à prendre en compte le facteur humain. Pour moi, les prêtres étaient des représentants d'un Dieu charitable et miséricordieux, ils ne pouvaient avoir une démarche d'exclusion à l'égard de quiconque. À quarante ans de distance, une partie du clergé a fait prendre au père et à la fille la même porte de sortie de l'Église, et pour les mêmes raisons. La pudeur de mon père, qui ne m'a raconté l'histoire de l'internat de Vannes que très tard, probablement pour ne pas m'influencer dans mes rapports avec l'Église, a été vaine. Les années passant, je me suis un peu apaisée sur ce sujet, mais j'ai gardé intacte ma capacité d'indignation et de révolte, prête à ressurgir dès que les circonstances m'y ramènent par force. Et je dois dire, à mon grand regret, qu'elles ne manquent pas. Je me souviens ainsi du refus opposé à quelqu'un qui m'est proche de baptiser sa fille, parce que « ce bébé n'avait pas de papa». Je trouvais cela ignoble, 72 honteux. On m'avait pourtant appris que tous les enfants pouvaient être baptisés : il n'y a aucune raison objective de le leur refuser. Plus tard, je me suis rendu compte que ce refus avait en réalité plus à voir avec la politique qu'avec le statut de la mère et de son bébé ; c'était « l'enfant d'une intime de la fille du Président du Front national » que le curé refusait de baptiser, mais il n'avait même pas eu le courage de le dire. Plus récemment ? en 1998 dans le Poitou ?, un curé affichera, lui, au moins ouvertement, son sectarisme en refusant de donner le baptême à un adulte, parce qu'il était adhérent du Front national. Faut-il citer aussi le sort fait à mon neveu, élève dans une école catholique sous contrat, à qui l'on a dit : «Il n'y a pas de problème, tu peux faire ta communion, mais il ne faut pas que ton grand-père vienne. » Comment des soeurs, des religieuses, peuvent-elles asséner un tel choc à un enfant de huit ans ? Voilà des comportements que je juge inadmissibles, tant sur le plan humain que sur le plan religieux. Car rien ne renvoie, là-dedans, aux préceptes fondamentaux de la religion catholique, rien de cela ne peut être justifié en son nom. Bien au contraire. Tout catholique, a fortiori firtiori Un prêtre ou une religieuse, est supposé entretenir sans cesse l'étincelle de la foi et non l'éteindre par 73 des comportements sectaires. Or, c'est une évidence que beaucoup de gens ont été écartés de la religion catholique en raison de ce type de comportement. J'ai du mal encore à faire la part des choses. J'ai rencontré certains ecclésiastiques de qui, incontestablement, émanait l'amour de Dieu ? ceux qui ont baptisé mes enfants, par exemple ?, et les nouvelles générations de prêtres semblent avoir un regard critique sur certains de leurs prédécesseurs. Mais trop nombreux sont ceux dont les sermons me poussent à me tenir éloignée de la religion. J'ai vécu des messes où la moitié du discours était politique, avec des positions contestables et de surcroît incohérentes. Quand j'entends aujourd'hui le clergé appeler, avec justesse, au respect et à la tolérance envers nos frères musulmans ; quand les prélats rappellent, avec justesse là encore, qu'il faut se garder des jugements hâtifs sur l'islam ? quand bien même on brûle des ambassades européennes et des églises dans les pays arabes, et que certaines contrées islamistes sont ouvertement intolérantes avec les chrétiens ? j'aimerais qu'on nous explique enfin ce qui nous vaut, à nous FN, un tel traitement ? Qu'avons-nous fait qui justifie une exclusion, fût-ce partielle, de notre propre famille religieuse ? Hélas, je dois avouer aussi que j'éprouve autant d'amertume à l'égard de certains extrémistes catho- 74 ligues, lesquels suivent cette même démarche d'exclusion que je déplore, à l'autre bout de l'échiquier politique. Divorcé ? Tu n'as rien à faire dans l'église ! Tu n'aimes pas la messe en latin ? Tu n'as rien à y faire non plus, etc. Voilà des gens qui se définissent non dans l'amour, la première des vertus parce que c'est le premier commandement du Décalogue, mais dans l'exclusion, le rejet. En fait d'amour du prochain, ils pratiquent le décompte des défauts et des tares, ou de ce qu'ils jugent comme tel. Et disant cela, je ne réclame pas plus une absolution de principe qu'une tolérance débridée. Simplement, j'estime que la rigidité extrême de certains au nom de la vertu ne témoigne pas d'une foi rayonnante, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. De même, je trouve tout à fait détestable la croisade anti-pape, conduite d'ailleurs pour des motifs éminemment politiques. Le pape joue son rôle, il est là pour rappeler les préceptes de la religion catholique, même si ceux-ci sont extrêmement rigides, même s'ils paraissent très durs, même s'il est au fond très difficile de les appliquer dans la vie de tous les jours. Le pape n'est pas là pour dire : «I1 y a un grave problème de santé publique, mettez des 75 préservatifs parce que si vous ne vous protégez pas, vous allez attraper le sida. » Il y a des gens qui ont pour fonction de dire cela, mais le pape n'en fait pas partie. Son rôle, parce qu'il est le garant des préceptes de la religion catholique, est d'appeler à la fidélité ou la chasteté. Après cela, chacun tente, en sa qualité de croyant, d'atteindre plus ou moins à cette perfection. Le pape est là pour rappeler la perfection du dogme catholique, or la perfection est un horizon. Chaque croyant, dans sa vie personnelle, fait comme il peut pour tenter de se conformer aux préceptes de sa religion. Mais c'est son affaire, une histoire personnelle entre sa conscience et lui-même. Après tout, personne ne contraint quiconque à embrasser la religion catholique, ou à y rester fidèle si cela ne lui convient pas, et personne ne peut promettre sur terre des tickets d'entrée pour le paradis, il n'y a pour cela qu'un seul juge. Le pape n'est pas, me semble-t-il, un vendeur à la criée qui fait des remises promotionnelles pour mieux placer son produit. Soyons un peu réalistes : chez les deux millions de jeunes venus en France aux JMJ, il y en avait sûrement une proportion notable qui avait fait l'amour avant le mariage, qui prenait la pilule, ou même qui avait avorté. Quels que fussent leurs itinéraires anté- 76 rieurs, ils ont éprouvé pour le pape Jean-Paul H une ferveur réelle et indiscutable parce que, justement, ils attendaient de lui un cap à atteindre, et non une exclusion urbi et orbi pour leurs péchés. C'est en revanche ce que se permettent de faire certains, lesquels ne se contentent pas de camper sur des positions dogmatiques fort rigides, ce que je pourrais à la rigueur comprendre (à ceci près qu'ils sont souvent plus sévères pour les autres que pour eux-mêmes) mais qui tirent du non-respect de ce dogme une justification divine à leurs comportements d'exclusion. Ainsi, lorsque j'ai commencé à dire ce que je pensais de l'avortement ? et j'y reviendrai plus loin ? j'ai reçu plusieurs lettres très violentes. À la question « Est-ce que vous êtes catholique ? », posée publiquement, j'avais répondu « Oui je suis catholique, mais je ne suis pas pratiquante. » Cela m'avait valu, entre autres, cette leçon : «Être catholique non-pratiquant ne veut rien dire, et si c'est le cas, votre foi ne vaut rien. » Comment un catholique convaincu peut-il dire à celui qui se revendique de sa famille « votre foi ne vaut rien » ? Cette foi « sans valeur », ce dont personne ici-bas n'est juge, n'est pourtant pas absente de ma vie politique. Et pourrait-il en être autrement ? La foi est 77 quelque chose qui construit une personnalité, c'est aussi un supplément de référence morale, un prisme particulier au travers duquel on réexamine les choses. Lorsqu'on naît dans la culture chrétienne, et que l'on est élevé dans la foi catholique, il y a des principes qui demeurent à jamais, comme la notion du bien et du mal, l'égalité entre les hommes, la fraternité et la liberté, la compassion aussi. Celles-là forment déjà un cadre minimum. On s'aperçoit alors que nos valeurs républicaines sont issues de notre culture chrétienne, ou du moins guère éloignées. C'est vrai en particulier pour la notion d'égalité entre les hommes, dont on sait bien qu'elle n'est pas universellement partagée : il est des sociétés où perdurent des systèmes de caste. C'est le cas en Inde notamment, oû des décennies après qu'elles furent officiellement abolies elles continuent toujours de fixer les positions sociales. Quant à l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, largement malmenée, on voit en certains endroits du monde les premiers avoir droit de vie ou de mort sur les secondes. C'est donc bien notre culture judéo-chrétienne, qui a comme fondement l'égalité entre les hommes, qui a répandu dans le monde cette notion depuis plusieurs siècles. Aussi, lorsqu'on accuse nos idées d'être por- 78 teuses de racisme et d'exclusion, cela me heurte d'autant plus que c'est à l'encontre des principes qui sont les miens : les principes de la République bien sûr, mais corrélés aussi à ma foi et à ma culture, ce que Pierre Chaunu nomme «le Nouveau Testament laïcisé par le siècle des Lumières ». Pour autant, faut-il dire que ma foi guide mon action politique ? Non, ce qui guide mon action politique, c'est d'abord la défense de mon pays. Et ce pays a un peuple qui possède une identité, une histoire, des us et coutumes qui me sont chers et dont j'estime qu'ils doivent aussi être défendus. Je pense pourtant que la pratique religieuse d'un personnage politique doit demeurer de l'ordre du privé. Les options religieuses n'ont pas à passer au premier plan, et c'est en cela que je suis profondément attachée à la laïcité, autant qu'aux traditions de mon pays. Ce qui n'est pas incompatible. 79 Chapitre V Adolescente en politique Adoubement ? Baptême du feu ? Un peu des deux sans doute. À quinze ans, je fais mon entrée sur le terrain au moment où la campagne des municipales bat son plein. En ce mois de mars 1983, Le Pen est candidat dans le XXe arrondissement de Paris, un quartier très populaire du nord-est de la capitale. C'est une campagne extrêmement militante et pour la première fois, très médiatisée. La mobilisation est importante et mon père, qui a compris que je m'intéresse déjà de façon sérieuse à tout cela, me dit : « Si tu veux, je t'autorise à manquer l'école et tu passes une semaine avec moi sur le terrain. » Cette semaine fut, à bien des égards, un choc sans aucun doute déterminant pour la suite. Pour la pre- 81 r~~ mèère fois en effet, je découvrais le militantisme en politique, des gens dévoués à leur cause, qu'ils soutiennent dans un mélange de ferveur et de fraternité, lui consacrant beaucoup de leur énergie et de leur temps, et ce de façon désintéressée. Or, si j'avais très jeune participé aux grandes manifestations, je n'avais de l'engagement en politique qu'une vision partielle, au travers des cadres du mouvement qui venaient en rendez-vous à Saint-Cloud. Il me manquait l'autre facette, la connaissance du terrain, les mains dans le cambouis. N'ayant approché jusque-là que les têtes pensantes du parti que conduisait mon père, je posais un regard passionné sur cette « cellule ouvrière » qui charriait tous les soirs les seaux de colle et les affiches. La politique, pourtant, je dois le dire, se confondait avec le quotidien de la famille. Je peux même affirmer qu'elle était notre famille, ...notamment parce que, en fait, nous n'en avions pas. Mon père était fils unique, il ne lui restait personne, sinon un cousin pas suffisamment présent pour qu'on l'accroche à notre caravane. Ma mère, fille unique elle aussi, avait encore son père habitant le Sud-Ouest et un demi-frère, dans le Sud lui aussi, que nous ne voyions que rarement. La véritable proximité, la fraternité, la parenté intellectuelle et affective, c'est avec les amis politi- 82 ques qu'elle s'établissait, et c'est à ce titre que l'environnement politique de mon père devint aussi un environnement familial, ce qui a probablement influé sur la manière dont il a, et parfois avec des effets inattendus, fait interagir sa vie politique et sa vie personnelle. Pour mieux comprendre ce maillage, il faut aussi préciser qu'au début l'appareil du Front national n'était pas un appareil politique classique. Il m'apparaissait en tout cas davantage comme l'agrégat d'un certain nombre d'amitiés, la réunion de personnes qui, ayant une vision politique commune, avaient décidé de faire quelque chose ensemble, ce, non sans un certain amateurisme. Ainsi, dans les soirées qui rassemblaient à la maison les copains, on trouvait bien sûr des gens qui n'étaient pas politisés, mais en revanche, presque tous ceux qui formaient les rangs des cadres du Front national étaient présents. Et cela ne m'a paru étrange que bien plus tard... A ce moment-là de mon existence, n'ayant pas d'autre modèle pour soutenir la comparaison, ce fonctionnement en circuit fermé me paraissait des plus normaux. Je côtoyais donc régulièrement ces copains de la politique en continuant d'ignorer le fonctionnement de base du parti et le visage de ses troupes ; et mises 83 â part les quelques manifestations que j'avais suivies, j'ignorais également tout de l'ambiance d'une campagne électorale. Alors, ce qui va se passer là dans cette dernière semaine de parcours vers les municipales va être particulièrement fort à vivre. D'abord, je découvre la politique « au corps à corps », celle de la confrontation à l'autre, qui se fait au contact des militants et des électeurs. Et puis, je suis ravie de sécher l'école ! Ma fascination est évidemment liée à ma fierté d'être aux côtés de mon père. Je suis fière, en vérité, de l'intérêt qu'il me témoigne à travers cette invitation à l'accompagner. Car, au-delà des fêtes fréquentes et de son absence de conformisme, Le Pen c'est, comme je l'ai déjà dit, un peu un père à l'ancienne : les enfants, tant qu'ils ne savent pas lire Victor Hugo, et éventuellement tenir une conversation philosophique ou politique, ça reste des enfants, c'est-à-dire des habitants d'un autre monde dans lequel il ne s'aventure guère. Non pas par manque d'affection, mais parce qu'il ne sait vraiment ni quoi y faire, ni comment se comporter. C'est sans doute à ce moment, d'ailleurs, que j'ai réalisé ? même sans en avoir encore pleinement conscience ? que cette relation père-fille, c'était en réalité à moi de la construire. Je me suis rendu 84 compte que je n'arriverai jamais à faire venir mon père sur mon propre terrain, celui de mes activités, de ma scolarité, de mes amis, parce que ce terrain-là, comme celui de mes soeurs, était terra incognita, le pays des enfants. Donc, il fallait que je me rende sur le sien. Il n'avait sans doute pas la disposition, et encore moins le temps de se consacrer à la découverte de ses propres filles. Aussi le seul moyen de créer des liens autres qu'affectifs avec lui était d'aller à sa rencontre. C'est un peu comme cela que, au fur et à mesure, par intérêt personnel mais aussi pour le découvrir, je me suis aventurée de plus en plus loin sur son terrain, donc sur celui de la politique. Est-ce aussi la raison pour laquelle j'ai fait comme lui des études de droit, puis suis devenue avocate ? Ce n'est pas impossible. Cette profession qu'il n'a pas exercée, mais pour laquelle il a beaucoup d'admiration, est celle du tribun qu'il a toujours été ? seule qualité, peut-être, que personne ne lui ait jamais contestée. C'est un amoureux des mots, passionné de textes, de discours historiques, de chansons, de littérature en général, un homme du Verbe. En fait, beaucoup plus qu'une relation père-fille classique, c'est vraiment une relation de personnalité à personnalité qui s'est peu à peu établie entre nous, engueulades comprises. Ce fut une sorte de recon- 85 naissance tissée au fil des années, et cette invitation à le suivre dans sa campagne électorale en fut la pre mière étape. C'est durant ce scrutin municipal qu'apparaîtront les premiers résultats probants pour le Front natio nal, et la presse ne s'y trompe pas, qui colle au candidat Le Pen en campagne. Des locaux ont été loués rue Le Bua ; ils devien nent la permanence du parti dans l'arrondissement, les militants se relaient pour l'affichage. Quant à Le Pen, il anime chaque soir une réunion de préau et parcourt chaque matin les marchés. Au soir de clôture de la campagne, à l'avant-veille du scrutin, un grand meeting est organisé à l'Élysée- Montmartre. Pendant que je découvre, aux premiè res loges cette fois, l'incroyable enthousiasme que parvient à susciter mon père chez les militants, la permanence de la rue Le Bua est incendiée. Au premier tour, la liste Le Pen obtient près de 12 % des suffrages. Ce résultat, qui est un formi dable coup d'accélérateur pour le Front national, est jugé comme inquiétant pour de nombreux observa teurs de Saint-Germain-des-Prés. Il va d'ailleurs marquer l'ouverture des grandes campagnes média tiques contre le FN. Pour moi, ce contact avec les militants, leur enthousiasme, leur fraternité, a été une véritable 86 révélation. Cette semaine de campagne m'a ouvert les yeux sur un univers inconnu et m'a aidé par la suite à aborder la période où tout s'est accéléré, où l'activité politique de mon père a commencé à se traduire dans les urnes. Je n'avais de la figure paternelle, jusque-là, guère plus que l'écho peu laudatif renvoyé par mes professeurs. Mais ce premier succès électoral, cet intérêt médiatique grandissant, fut vécu par nous comme une confirmation que la cause était juste. Ainsi, on n'avait pas supporté en vain l'attentat et le reste... Car rien n'était anodin, rien n'était facile. On restait les filles Le Pen, on savait pourquoi on était les filles Le Pen et on nous le faisait sentir, toujours. Avec les premiers succès électoraux, notre quotidien à nous les filles, se compliqua encore davantage. Dévorante pour celui qui la pratique, la politique l'est tout autant pour la famille. C'est une amante vorace qui fait place nette et ne tolère pas la concurrence. La gouvernance du parti en plein essor ne laissait pas une minute à mon père, et ma mère le suivant comme son ombre, je devais me débrouiller seule. Ma soeur aînée était partie depuis plusieurs années et Yann était devenue G.O. au Club Med à l'$e Maurice ! Je me retrouvais donc fréquemment livrée à mon sort, contrainte à une indépendance 87 qui, si je n'avais été raisonnable, aurait pu me coûter et leur coûter cher. Je me souviens ainsi que, pour une campagne à La Trinité-sur-Mer, à l'occasion d'élections partielles, mes parents ont disparu pendant un mois et demi... J'avais à peine quinze ans, j'étais seule dans la grande bâtisse de Montretout, ruminant ma peine. L'adolescence est une période où l'on a du mal, déjà, à comprendre le monde, il est facile d'imaginer les pensées d'une ado qui n'est pas la priorité de ses parents. Je me suis donc, moi aussi, posé la question fatidique : si je faisais en sorte de devenir un problème, peut-être serais-je enfin le centre d'intérêt de mes parents ? Je n'ai rien fait en ce sens. L'occasion, si elle s'est présentée, n'était sans doute pas assez tentante. Mais surtout, je crois que, au fond, je savais que toute tentative de me poser en rivale de la politique serait vouée à l'échec. La compétition était perdue d'avance, et partant, la rébellion inutile. Et puis, soyons honnête : je n'étais pas totalement seule, j'avais des amis assez présents pour m'entourer. Toutefois, je pense avec le recul que cette liberté qui me fut laissée trop tôt, comme d'ailleurs à mes soeurs, était une conseillère dangereuse ; je ne suis pas certaine que si je l'avais écoutée à mauvais 88 escient, mes parents auraient été capables de le voir. Ils s'en seraient probablement rendu compte trop tard. Il se trouve, tant mieux pour eux et tant mieux pour moi, que je n'ai pas versé dans le côté obscur. Mais si je n'ai jamais pris de drogue, jamais même fumé de pétard ? un exploit dans ma génération ? et ne me suis jamais retrouvée dans des mauvais plans, c'est aussi parce que j'avais pris, dès l'enfance, la mesure de ma responsabilité. Les médias utiliseraient contre mon père la moindre vétille et j'étais pleinement consciente des contraintes liées au fait d'être sa fille. Je respectais donc une sorte de contrat moral. Mais je dois avouer que j'aurais apprécié que mes parents m'accordent en retour un peu plus d'intérêt et d'attention, y compris sur le plan scolaire, car là aussi, j'étais seule à batailler. Pour autant, et même si c'était un peu lourd à porter parfois, je n'ai jamais rué dans les brancards, ni remis en cause les engagements paternels. Il faut dire que je me positionnais moins face à ses options politiques qu'en réaction aux mensonges déments que j'entendais et lisais dans la presse. Car il fut, dès mon adolescence, flagrant pour moi que ce qu'on prétendait de lui ? raciste, antisémite, fasciste, etc. ? était faux. 89 J'ai sur cette question un raisonnement basique, celui de mon âge à l'époque : j'ai vu des gens racistes dans ma vie, je sais parfaitement à quoi ça ressemble. Donc si Le Pen, que je côtoie au quotidien, était raciste, moi à treize ans, à quinze ans, je suis capable de le voir. Or, pas une seule de ses réflexions, jamais, ou une seule de ses réactions, n'a fait que je pouvais le soupçonner de racisme. J'ai conscience qu'il y a là un décalage majeur entre ce que je lis tous les jours et ce que je sais. Cette injustice que je trouve flagrante, cette différence entre ce qu'on dit de lui et ce qu'il est en réalité me met en rage, aussi fort aujourd'hui qu'hier. Très jeune, j'ai en effet été frappée par le gouffre qui m'apparaissait entre l'homme décrit et l'homme réel, que je côtoyais quotidiennement. On le présentait comme violent ? Il n'a jamais levé la main sur nous, à part un coup de pied aux fesses de Marie-Caroline, resté dans la mythologie familiale, au motif qu'elle refusait obstinément de mettre son casque pour faire de la mobylette... Et quelques colères liées à un tempérament indubitablement soupe au lait. On l'accusait de népotisme ? Je l'ai toujours vu demander aux siens mille fois plus qu'il ne demandait aux autres, prêter mille fois plus facilement l'oreille 90 aux jérémiades d'inconnus qu'A, celles des siens, si d'aventure nous nous laissions aller à nous plaindre. De même, si un conflit nous opposait A, d'autres, c'est d'emblée à eux qu'il donnait raison. Nous, ses filles, avons dû sans cesse lui démontrer nos qualités, lui apporter chaque fois les preuves de nos compétences. Dieu sait que nous en avons assez souffert pour trouver ahurissante cette accusation de népotisme ! On le disait perclus de principes rigides, et chez nous c'était la bohème intégrale. On le disait sectaire, mais ma maison voyait passer des gens de toutes origines, de toutes conditions, les princes y étant traités comme des hommes et les hommes comme des princes. Une maison où il était fréquent, par pure culture musicale je le précise, d'entonner « l'Internationale » ? toutes les strophes, s'il vous plaît ! ? ou d'enchaîner le répertoire de Ferrat. Il pouvait, de la même manière, aligner les couplets de la Marseillaise, les cantiques ou les chansons de carabin. On le disait raciste, antisémite ? Je lisais, racontée par d'autres, l'expédition de Suez où il se battit aux côtés de l'armée israélienne et enterra consciencieusement les cadavres musulmans la tête tournée vers La Mecque, s'attirant ainsi les félicitations de son état-major. 91 4 On le disait dur et je voyais cet homme étreindre longuement un arbre et raconter, l'émotion difficilement contenue, comment une petite vieille lui avait donné son alliance qui était «la seule chose qui lui restait de valeur pour qu'elle lui porte chance », alliance qu'il conserva au doigt durant toute la campagne présidentielle de 1995. On le disait démagogue ? Je l'entendais dire des choses difficiles à prononcer pour certains et à entendre pour d'autres, refusant de plier malgré les risques ou les injures. À un moment donné il faut choisir son camp, et mon camp alors, c'est simplement celui de la vérité. Une vérité éprouvée tous les jours auprès de quelqu'un qui ne ressemble en rien à la caricature véhiculée à l'extérieur. C'est dans ce contexte que retentit six mois plus tard le coup de tonnerre de Dreux : Jean-Pierre Stirbois, alors secrétaire général du Front national, frôle la barre des 17 % et, après une alliance au second tour avec le RPR local, devient adjoint au maire de la ville. C'est l'explosion du jeune mouvement politique de Le Pen. Ce qui me frappe alors, ce que j'en retiens depuis, c'est le climat extrêmement violent de cette campagne ; une violence physique et psychologique qui va longtemps rester, dans mon esprit, indissociable 92 de la politique. C'est une curieuse dualité : on est heureux de l'enthousiasme de ceux qui nous entourent, heureux des succès, et dans le même temps « on s'en prend plein la gueule » ? au propre comme au figuré ? parce qu'on a gagné des voix. Dans notre parti, on sait pour l'avoir éprouvé que toute victoire remportée dans les urnes fait grimper d'un cran les provocations en tout genre. Ainsi, on manifeste ? un exemple parmi d'autres ? en surveillant les fenêtres des immeubles pour voir si on ne nous jette rien au passage. Tout le monde est aux aguets. Alors Dreux, pour moi, restera d'abord cela : la violence, les mensonges, les insultes, l'inquiétude palpable. Dans le même temps, on me dit que le parti de mon père vient de remporter une victoire importante, que Jean-Pierrre Stirbois ? que je connais bien pour le voir régulièrement à la maison ? a fait un score mémorable, mais tout cela est encore un peu à distance de moi-même. Le combat de mon père étant depuis toujours le fait majeur de notre existence, ce qui la conditionne à tout point de vue, je ne mesure pas encore l'ampleur de ce succès. Je n'en saisirai réellement le poids qu'aux élections européennes l'année suivante. Dans les mois qui vont suivre Dreux, l'histoire s'accélère et Le Pen va devenir une figure incontour- 93 nable de la vie politique française, ce qu'il n'était pas avant. Ce statut a besoin d'une consécration dont on sait qu'elle est offerte dans nos sociétés par la télévision. Jeu double et pervers s'il en est, car si l'étrange lucarne offre à celui qui y passe une visibilité difficile à atteindre par un autre canal, elle peut aussi se révéler par la puissance des images, l'outil de toutes les manipulations. Le 13 février 1984, Le Pen est donc l'invité de François-Henri de Virieu pour « L'heure de vérité ». C'est sa première grande émission politique qui remplira d'aise la chaîne car elle réalisera une formidable audience : quinze millions de spectateurs. Nous étions présentes, ce soir-lâ, les trois filles et notre mère. C'était ma première sortie officielle, en quelque sorte, un bal des débutantes d'un genre un peu spécial... C'est la première fois que mon père passe à la télévision, que nous passons à la télévision, et j'en suis naturellement très fière. Je ne sais pas encore que c'est la fin de l'anonymat, un anonymat relatif d'ailleurs car si nous n'étions pas jusqu'alors reconnues dans la rue, nous l'étions en tout cas au lycée. Au cours de cette émission, mon père, sommé d'aimer la terre entière, fait une réponse qui braque indirectement les caméras sur nous, réponse 94 qui va elle aussi entrer dans les annales. Il dit ceci, dont on ne retient toujours que la première proposition : «J'applique en quelque sorte une hiérarchie des sentiments et des dilections. J'aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que les inconnus et les inconnus que les ennemis. J'aime mieux les Européens ensuite, et puis ensuite, j'aime mieux les Occidentaux, et puis j'aime mieux, dans les autres pays du monde, ceux qui sont des alliés et tous ceux qui aiment la France, ça me paraît être un bon critère. Et puis je trouve qu'avec ça, nous avons déjà beaucoup de responsabilités et que si nous assumons celles-là, ce sera déjà très bien. » Cette réponse sera la première pierre de l'édifice construit contre lui et le taxant de racisme primaire... Cette « Heure de vérité », qui devait voir les grands journalistes du moment terrasser le fascisme en direct, signa le début de l'explosion médiatique de mon père. Ce qui n'était pas prévu. Sans doute est-ce d'ailleurs le succès tangible de sa prestation qui fit fuir Main Duhamel et Jean-Jacques Servan-Schreiber, lesquels quittèrent le plateau avec mépris en désertant le buffet habituel qui suit l'émission. François-Henri de Virieu, lui, félicita Le Pen pour 95 sa performance. On'avait pourtant usé d'un stratagème peu glorieux pour le déstabiliser : tandis qu'il sortait du maquillage et se dirigeait vers le plateau pour le direct, le principe de l'émission étant de faire entrer l'invité en dernier alors que tout le monde est installé, une jeune femme de la production vint l'aborder et lui dit : « M. Le Pen, votre fille a eu un accident de voiture, elle est à l'hôpital, mais ils viennent d'appeler, ça va. » Dieu merci, nous étions déjà installées sur le plateau avec ma mère. Il avait compris la nature de la manoeuvre en nous voyant... À cette époque, le Front national ne disposait que d'un simple local rue Bernouilli, aujourd'hui siège de la Fédération de Paris. Au lendemain de cette émission, les gens s'y bousculaient pour adhérer : la file d'attente remontait jusqu'à l'angle du lycée Chaptal ! Après le succès de Dreux, le mouvement fut réorganisé, ou pour être plus précis, organisé. Un Comité central se tint en janvier, et un premier organigramme fut mis en place à cette occasion. Le parti de Le Pen était en ordre de marche pour aborder les européennes du mois de juin. Les deux mois de campagne furent épouvantables, le Front national devant affronter une violence telle 96 que mes parents préférèrent nous retirer du lycée et nous mettre à l'abri, ma soeur Yann et moi. Durant les huit semaines qui précédèrent les élections, mon père fit une grande tournée des villes de France, tenant une trentaine de meetings. Chaque réunion fit l'objet d'attaques en règle, les troupes de l'ultra-gauche venant systématiquement au contact, jusqu'à l'affrontement physique. Il y eut de graves incidents, des blessés sérieux, dont un CRS brûlé à Lille par le jet d'un cocktail Molotov. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'apparut la nécessité d'avoir un service d'ordre compétent pour repousser les provocations qui émaillaient dorénavant toutes nos réunions publiques. Chacun ? la classe politique et le Front national ? sentait que cette échéance des européennes allait être décisive. Si Le Pen remportait une vraie victoire, l'essor du mouvement devenait irréversible. Dès lors, les craintes des « démocrates » (avec casques et battes de base-ball) redoublaient et l'escalade de la violence de leurs « arguments » avec. Au siège du FN, on était persuadé qu'il se passerait quelque chose pour abattre mon père. On s'attendait à tous les pièges, à toutes les provocations. Y compris d'ailleurs à un nouvel attentat contre lui, 97 ce que rien n'excluait dans le climat de folie de l'époque, dont on n'a pas gardé le souvenir aujourd'hui, maintenant que le FN fait à peu près partie du paysage politique ? même s'il reste hélas très en marge du système médiatique. C'est à ce moment-là que Le Pen embaucha un garde du corps, Freddy, un ancien champion de catch. Cependant, le climat devint à ce point irrespirable que mes parents décidèrent de nous exfiltrer dans le Midi avant la fin de l'année scolaire. Yann et moi fûmes confiées à des amis, ma mère leur ayant recommandé de «prendre bien garde à ce que l'on ne sache pas que nous étions les filles Le Pen ». ) Si la violence était devenue le lot commun, elle était compensée, je dois le dire, par de grands moments de ferveur. Ainsi vais-je vivre durant cette campagne, un moment extraordinaire qui m'émeut encore aux larmes tellement ce fut un choc pour moi. C'était le grand meeting à la Mutualité, à Paris. Ce soir-là, assise à côté de ma mère, je découvrais pour la première fois ce qu'est une assistance déchaînée : des centaines de personnes qui hurlent et scandent « Le Pen ! Le Pen ! ». Ils tapaient des pieds, ça faisait un bruit infernal. J'ai cru que le balcon allait s'effondrer. J'étais submergée de fierté, je pleurais. 98 Il y avait donc plein de gens qui aimaient mon père ! Et dans le même temps, je me suis dit : «Rien que ça, ça efface tout. » J'étais tellement heureuse... Pas pour moi bien entendu : parce que Le Pen à 0,2 % ou Le Pen à 20 %, c'était le même bazar dans ma vie. J'étais heureuse pour lui, heureuse pour ma mère, heureuse pour tous ceux qui en avaient bavé à leurs côtés, parce que si nous, la famille Le Pen, avions vécu dans notre chair l'attentat, beaucoup d'autres avaient eu eux aussi à payer, et parfois très cher, leur engagement au Front national. Je me suis dit : « Voilà, c'est le résultat tangible de tous les sacrifices », et j'incluais là, évidemment, le sacrifice de notre vie de famille. Cette ferveur-là me consolait de tout. Le 17 juin 1984, la liste emmenée par mon père récoltait 2 210 299 voix, soit 11 % des suffrages exprimés. Dix élus Front national entraient au Parlement européen, dont Jean-Pierre Stirbois qui figurera également dans le groupe des trente-cinq députés élus à l'Assemblée nationale en mars 1986. Il est mort sur la route deux ans plus tard, le 5 novembre 1988, au retour d'une dernière réunion publique qu'il avait tenue à Dreux. Mon père, bouleversé, m'a alors demandé de l'ac- 99 compagner à la morgue. Allant rendre à Jean-Pierre un dernier témoignage d'amitié, il m'a dit : « Viens avec moi. Je ne veux pas que le premier mort que tu voies, ce soit moi. » 100 Chapitre VI L'année du malheur Au soir des élections européennes, ma mère était radieuse. Trois mois plus tard, elle était partie. Je n'avais rien vu venir. Ils étaient heureux pourtant ce dimanche soir, mon père et elle. Il faisait beau, elle était belle, ils venaient de gagner et les amis sablaient le champagne dans la gaieté. Tout allait bien. Du moins, c'est ce qu'il me semblait même si par moments je percevais un sentiment de malaise, mais sans plus. J'avais surpris quelques bribes de conversation sans réelle signification pour moi, d'autant que je n'avais jamais vu mes parents se disputer. Cela leur arrivait sans doute, mais nous n'en étions pas témoins. J'ai ainsi appris quasiment par hasard, à l'âge de quatorze ans, que ma mère avait été mariée une première fois ! Cela a été un vrai choc, notamment 101 parce que j'ai réalisé à ce moment-là que je ne connaissais au fond rien de leur vie, hormis ce que mon père nous racontait sur son enfance, sa famille, et les histoires fabuleuses de son père, patron pêcheur. En fait, on ne savait rien d'autre, ils étaient tous deux très discrets sur leur vie privée. J'étais donc une ado et j'accompagnais mon père au cimetière de La Trinité-sur-Mer après une visite familiale auprès de tantes éloignées, lorsqu'il me dit au fil de la conversation, sans y prêter la moindre attention : «Le premier mari de ta mère... » Je fais « Pardon ?» Et il répond : « Oui, le premier mari de ta mère. » Je m'arrête, interloquée : « Quoi, maman a été mariée ?» Sur le plan factuel, c'était certes sans conséquence, cela ne changeait rien à ma vie ; mais découvrir tardivement un élément aussi important dans la vie de mes parents me laissa une impression très désagréable. J'ai mis cela sur le compte de la pudeur. Sans doute considéraient-ils que ça ne regardait que leur couple et pas les enfants. Car je le redis, c'était vraiment un couple fort et uni, aux yeux de tous un couple idéal, sans problème, sans nuage, conservant des attentions amoureuses touchantes après vingt ans de mariage. 102 C'est en tout cas l'image que j'en avais. Un midi pourtant, ma mère nous prend à déjeuner, Yann et moi. Elle me dit : « Tu comprends, ça ne va pas bien avec ton père », et elle commence à m'exposer ses récriminations. Bien sûr, je l'entendais râler depuis un moment : « Il ne fait pas assez attention à moi, il y a toujours un tas de gens autour de lui. Quand on est dans les manifestations, ils n'ont aucun égard, tout le monde m'oublie. Les gardes du corps le protègent lui, et moi je passe derrière... » J'entendais tout cela depuis longtemps, mais dans la mesure où ces revendications n'étaient que l'écho des miennes, elles n'avaient pour moi aucune conséquence. Je ne vis là qu'une plainte assez banale. Comme me l'avait appris mon père, ô combien, je « relativisais ». Quelques jours plus tard, un mercredi, Yann vient me chercher à l'école à midi et me dit : ? Maman est partie. ? Maman est partie, c'est-à-dire ? ? Maman est partie. ? Mais elle est partie où ? ? On ne sait pas. ? Mais elle est partie une semaine, quinze jours ? ? Non, elle est partie. Elle a pris toutes ses affaires. Elle est partie, tu comprends, partie ! 103 Là, c'est le monde qui s'écroule. Il s'écroule parce que, dotée d'un tempérament optimiste, j'ai toujours connu, malgré le contexte compliqué imposé par l'extérieur, une vie très heureuse et pleine en famille. J'avais ma mère, j'avais mon père. Bien sûr, la politique me les prenait beaucoup, on ne se voyait pas autant que je l'aurais espéré, du moins avec mon père, mais quand ça arrivait enfin, j'étais tellement contente que cela me suffisait. Ma mère, elle, était plus présente à cette époque que dans ma petite enfance, puis j'avais mon cercle d'amis... Et tout d'un coup, mon univers s'effondre. Ce couple «parfait» non seulement se dissout sans signes avant-coureurs, mais ma mère disparaît, corps et biens. C'est la descente en enfer qui commence. Pendant un jour, trois jours, dix jours, je me suis persuadée : « Elle va revenir, elle va m'appeler, c'est sûr, elle va passer un coup de téléphone », et rien. Rien. Je ne comprends pas, je ne peux pas comprendre. J'attends qu'elle me contacte. Je me raisonne : ils se sont engueulés, ils vont peut-être se séparer ? bien que je mette un temps fou à m'adapter ne serait-ce qu'à cette éventualité ?, mais j'attends le coup de fil. Je me fais même peu à peu à l'idée qu'ils vont 104 divorcer, bien que cela ne soit pas si banal et fréquent à l'époque. Je vais passer des semaines, des mois à attendre. En vain. Cela va durer quinze ans. Dieu merci mes soeurs étaient là, collées à moi, petites mamans de substitution m'entourant de leur tendresse. Dany aussi, la meilleure amie de ma mère, la tante que je n'avais pas eue, qui sans état d'âme prit en main le quotidien, l'intendance, parce qu'il fallait bien faire tourner la maison. Mais nous étions seules pour la première fois de notre vie avec mon père, face à face, dans une famille où ma mère, comme dans toutes les familles, était le point central. Ce n'était certes pas mon père qui gérait le quotidien, pas lui qui venait faire des courses quand on avait besoin de vêtements... Tout cela, la vie, les bobos au coeur, c'était elle bien sûr. Et du jour au lendemain, il n'y avait plus personne. Finis les rires, l'enthousiasme, la drôlerie, la complicité... Car elle était l'âme de cette maison. Bien sûr, elle n'a jamais été parfaite. Par exemple elle ne signait jamais les livrets scolaires quand il le fallait, ou elle oubliait toujours d'acheter la paire de ballerines et le jogging obligatoire, et on se faisait coller parce qu'au bout de la troisième séance de sport on n'avait toujours pas notre matériel. 105 ? Mais malgré son côté bohème, elle montrait une proximité, une chaleur, une joie de vivre, une insouciance avec ses enfants qui compensait tout. Son amour nous était nécessaire, vital. C'est pourquoi j'ai terriblement souffert de cette absence, souffert du manque de contact physique avec ma mère, jusqu'à en devenir malade. Je ne comprenais pas comment elle, si « animale », pouvait supporter de ne plus voir ses enfants. Pendant un mois et demi j'ai vomi tous les jours, j'étais incapable de me nourrir. Ma mère m'avait abandonnée. Elle ne m'aimait plus. Je n'étais plus rien pour elle. Je vivais le plus affreux, le plus cruel et cinglant des chagrins d'amour. A cette souffrance-là s'ajoutait la publicité autour de la séparation. L'histoire de nos parents s'étalait dans tous les journaux. Et pour ajouter encore au sentiment de trahison, ma mère était partie avec le journaliste qui venait de publier une biographie de Le Pen. Pendant des semaines il avait séjourné à la maison, suivi mon père, observé notre famille. Venu en ami pour recueillir les confidences, il partait avec l'épouse. Un vrai vaudeville à l'ancienne en somme, dont la presse fit bien entendu des gorges chaudes. Avec ce départ, c'est le chagrin à l'état brut qui est 106 tombé sur la maison vide. Nous étions tous pétrifiés. Je pleurais des heures entières, y compris à l'école. Mes notes chutèrent de façon spectaculaire. Tous les enseignants, tous mes camarades de lycée savaient ce qui s'était passé, puisque la France entière était au courant. Je passais mes journées à l'infirmerie parce que je ne tenais pas un quart d'heure de cours sans fondre en larmes ; je m'accrochais à l'infirmière comme à une bouée de secours, mais à de très rares exceptions prés, je ne recevais aucun soutien du monde scolaire, pas même un mot pour me dire de tenir bon. Les annotations sur mes bulletins se suivaient dans une totale inhumanité : « Trop d'absences pour pouvoir suivre régulièrement, manque de concentration en classe », « Beaucoup d'absences, travail personnel insuffisant », «Trop d'absences... même en classe ! »... Le monde s'était écroulé autour de moi, toute l'histoire de ma famille s'étalait au grand jour, et l'on faisait comme s'il ne s'était rien passé dans ma vie. Seuls quelques amis proches, Sandrine et Axel, déploieront, et je ne les en remercierai jamais assez, des trésors de patience et d'affection pour adoucir ma peine. Il me fallait pourtant apprendre à vivre sans ma mère. Apprendre aussi à vivre avec mon père. 107 À seize ans, je n'avais pas particulièrement de complicité avec lui et il me semblait distant. Son extrême pudeur se transforma là, encore davantage, en un rempart entre nous, probablement ? du moins je l'imagine ? parce qu'il se disait que, devenu le pilier unique de notre famille, il n'avait pas le droit de se laisser aller. Si bien qu'on vivait cette douleur commune sans jamais se la dire ou l'exprimer par des larmes, sans jamais la manifester. J'avais envie d'aller le voir, de pleurer dans ses bras, de lui dire combien j'étais malheureuse, mais il y avait une telle résistance de sa part que c'était impossible. Il était sans doute aussi malheureux que moi, mais il ne voulait surtout pas le montrer. Comme j'aurais aimé alors que simplement nous en parlions... Au moment où s'ouvre le procès en divorce, j'attends toujours un signe de ma mère. Je ne peux pas me résigner, tout en moi s'y refuse. Je l'attends chaque jour à la sortie du lycée. Je me dis qu'elle va venir et que, même si elle ne veut pas que ça se sache, je vais la croiser. Elle va être là, elle va m'attendre dans sa voiture. Je vais monter à côté d'elle, l'embrasser... Mais les jours passent et rien, sinon l'horrible machine médiatique qui se met en branle. Ma mère commence en effet à tenir des propos 108 dévastateurs pour nous dans la presse. Des déclarations hostiles dans lesquelles, par vengeance ? parce que je ne vois que cela comme explication ? elle va dire sur son mari des horreurs dont je sais bien qu'elles ne sont pas vraies, puisqu'il y a seize ans que je vis avec eux et que je les regarde vivre. Toute à sa guérilla contre son mari, elle s'en prendra aussi hélas à nous en termes durs et en tenant des propos que je ressentirai comme assassins. La procédure s'engage donc, et comme je suis mineure, mon père me demande un jour : « Avec qui tu veux aller, avec qui vas-tu vivre ?» Je n'ai pas réfléchi une seconde : il était évident que j'allais vivre avec lui. Comment aurais-je fait autrement d'ailleurs, puisque ma mère n'a jamais demandé ma garde ? Je n'avais strictement aucune nouvelle d'elle, et quand bien même j'aurais voulu lui envoyer un courrier, je n'aurais pas pu : je ne connaissais pas son numéro de téléphone, j'ignorais où elle habitait, je ne savais rien. Et puis il n'avait pas mérité cela. La décision de la séparation était l'affaire de leur couple, mais la façon dont elle s'était déroulée me paraissait cruelle, et pour lui et pour nous. J'ai donc écrit une lettre au juge lui demandant de bien vouloir accorder le droit de garde à mon père. 109 Cela en plus de ce que nous avions déjà vécu a fini de nous souder, le père et ses trois filles, en un bloc. J'ai du mal à faire remonter à la surface la douleur de cette période, tant elle est encore vive, et les mots me manquent toujours pour décrire cette sensation que l'on vous arrache le coeur de la poitrine. D'autant qu'à la suite, et même imbriquée dans la procédure de divorce, démarra l'affaire Demarquet. Celle-ci se résume d'une phrase : «Jean-Marie Le Pen est un assassin. » C'est ce que Jean-Maurice Demarquet déclare le 16 octobre 1985, un an juste après le départ de ma mère, dans une interview au journal Le Monde. Au milieu d'accusations toutes plus ignominieuses les unes que les autres, il accuse mon père d'avoir poussé Hubert Lambert à boire jusqu'à ce qu'il devienne fou (sic), ce afin de pouvoir récupérer son héritage. Cette interview parait curieusement la veille du second passage de Le Pen à «l'Heure de Vérité ». Le matin même de l'émission, la presse répercute ces élucubrations avec complaisance, allant jusqu'à titrer : « Jean-Marie Le Pen a assassiné Hubert Lambert. » Demarquet, lui, est invité de bonne heure sur Europe 1. Complaisamment interrogé par Yvan Levaï, qui ne lui opposera aucun rappel à l'ordre au 110 moins sur les termes à défaut du fond, il réitère ses accusations et déclare avec élégance : « Le Pen est un gros tas de merde. » Ce que Demarquet ne dit pas, et ce que nombre de journalistes se gardent bien de lui demander, c'est la raison pour laquelle, ayant eu connaissance de ce crime ignominieux, il a attendu si longtemps pour le révéler, lui qui était le médecin de la victime. Avec le recul, l'explosion de l'affaire Demarquet me parait surgir à un moment qui n'est pas un hasard du calendrier. La campagne des législatives de 1986 se profilait à l'horizon, les élections se déroulaient à la proportionnelle, ouvrant à coup sûr au Front national le chemin de l'Assemblée nationale. Et d'ailleurs, pour la seule et unique fois en vingt ans, le parti envoya en effet trente-cinq députés à l'Assemblée. Depuis lors, à chaque élection les gouvernements successifs ont soigneusement bidouillé le mode de scrutin et torturé en tous sens les circonscriptions de façon à empêcher au troisième parti de France, en terme de voix ? ce qu'est le FN aujourd'hui, que cela plaise ou non ?, toute possibilité de représentation démocratique au Parlement. La France est le seul pays où l'on peut arriver deuxième aux élections présidentielles et n'avoir aucun député, quand des partis qui culminent péni- 111 blement à 5 % dans les urnes (le PC, par exemple) ont un solide groupe parlementaire. Si l'on offre ainsi une tribune au docteur Demarquet, c'est bien entendu parce qu'il est membre du Front national et prétendument très proche de Le Pen. C'est à l'usage un individu que nous, la famille, avions pris en détestation parce qu'il s'invitait en permanence et ne décollait plus de la maison, de préférence à l'heure des repas. C'était ? du moins c'est mon avis rétrospectivement ? un être envieux, accroché à Le Pen parce qu'il pensait en tirer une gloire quelconque et plus sûrement un mandat. Car la réalité des faits, c'est que Demarquet espérait une place éligible dans les Bouches-du-Rhône. Il rêvait d'un mandat de député, mais mon père lui a refusé l'investiture. On peut raisonnablement conclure qu'il a voulu se venger, et de la pire des manières, en se déshonorant. Certes, il sera par la suite lourdement condamné pour diffamation et même radié de l'Ordre des médecins, ce qui n'est pas si fréquent. Il n'empêche : au moment où il les profère, ses déclarations sont terribles parce qu'elles émanent d'un proche et parce qu'elles arrivent après celles déjà peu élogieuses de ma mère ! C'est pour moi beaucoup plus difficile à défendre vis-à-vis de l'extérieur, beaucoup plus difficile à réfuter que les accusations d'adversaires politiques car la parole d'un intime est réputée vraie. Dans l'esprit du public, l'équation est simple : il fréquente donc il sait, il connaît, donc il dit la vérité. Et plus on fait partie du cercle restreint, plus ce type de diffamation est fréquent, dés lors qu'on est répudié. Ce qui s'est passé avec Demarquet se reproduira avec d'autres, toujours de manière violente, certains ? comme Lorrain de Sainte-Affrique, par exemple ?devenant même « experts anti-Front national» sur les chaînes du service public. Jeunes, nous en voulions déjà à notre père de sa trop grande bienveillance. Nous lui reprochions ? sans oser lui dire ? de ne pas veiller suffisamment sur ceux qui l'entouraient, de ne pas s'appuyer sur des personnes toujours fiables, d'ignorer que la trop grande proximité était source de danger. Nous nous demandions : pourquoi n'est-il pas plus prudent ? Pourquoi accorde-t-il sa confiance aux gens sans contrepartie ? Il donne son amitié, il ouvre sa maison, alors qu'il devrait se protéger... Au fil des années, j'ai compris qu'il pouvait difficilement en être autrement. Compris aussi que j'étais moi-même guettée par ce genre de déconvenue, notamment parce que la forte charge affective 113 que l'on crée chez certaines personnes porte déjà en germe des trahisons violentes. Car il ne s'agit pas là de trahisons d'intérêt : ce sont presque des amours déçues. Or, quand on est un homme politique charismatique, un homme qui fonctionne beaucoup sur le terrain affectif comme l'a fait mon père, les gens finissent par penser qu'ils ont établi avec vous un lien privilégié que la moindre déception transforme en aigreur, en amertume et à terme en haine. La proximité dans le combat politique conduit souvent à l'amitié et veut être payée de retour. Dés lors, les gens deviennent exigeants puis réclament de plus en plus. Le jour ail l'on ne peut ou ne veut accéder à ce qu'ils demandent ? et ce jour vient inévitablement ? le refus est vécu comme une blessure amoureuse. Cet engagement affectif rend les trahisons vipérines. La trahison est un cri d'abandon qui procède du désir de faire du mal à la personne que l'on a aimée. Cela fait partie du jeu, c'est même je crois, l'un des corollaires de l'engagement politique. Néanmoins, si chacun s'est senti un jour trahi par un ami, une femme, un mari, un voisin, chacun ne voit pas son nouvel ennemi le vomir en première page de tous les quotidiens, ou déverser sa bile sur toutes les ondes des radios ou à la télévision ! 114 Ça, c'est le « privilège » de l'homme politique.  l'évidence, Jean-Maurice Demarquet attendait beaucoup. Mais à l'affaire Demarquet vient bientôt, dans un enchaînement infernal, s'ajouter l'affaire des tortures. Mon père était un assassin, le voilà maintenant tortionnaire ! Un tortionnaire qui aurait passé des années à actionner la gégène en Algérie. C'est le quotidien Libération qui cette fois sonne l'hallali et un matin, je découvre en arrivant au lycée l'affichage du libraire : sa devanture déborde de « Le Pen tortionnaire », « Le Pen a du sang sur les mains », « Le Pen a torturé ». C'est comme un rouleau compresseur qui avance inexorablement vers moi. Je suis glacée de peur sous le choc. L'affaire de la torture en Algérie fut l'occasion pour mon père, et ce pour la première fois je crois, de prendre le temps de me parler seul à seul, de m'expliquer longuement ce qui s'était passé dans la réalité et pourquoi cette accusation était fausse. Je pense qu'il se rendait enfin compte que nous, les enfants, étions en première ligne. Les « copains » venaient nous dire : « Est-ce que c'est vrai que ton père a assassiné Hubert Lambert? Est-ce que c'est vrai qu'il a torturé des gens en Algérie ? » J'étais non seulement victime de question- 115 nements atroces, mais aussi de marques d'agressivité vis-à-vis desquelles je me sentais démunie. Et là on n'était plus dans le domaine politique. La question classique « Le Pen est-il raciste ? », que je prenais régulièrement dans la figure, se transformait en « Ton père est-il un assassin ? » Et face à cela, à seize ans, mieux vaut être solide et préparée. Cette période reste un moment épouvantablement difficile de mon existence, d'autant que je n'avais toujours pas de nouvelles de ma mère, sinon par les attaques qu'elle proférait dans la presse. Et puisqu'il faut bien en parler, c'est dans ce contexte qu'est survenue l'affaire Playboy. Qu'on me comprenne bien : jusque-là, tout pouvait arriver puisque nous formions un bloc tous les cinq. Ma famille avait été une force, une certitude, une sorte de barrière magique contre l'hostilité ambiante. Je me sentais en sécurité. Mais après le départ de ma mère, je me répétais sans cesse : « C'est donc cela, la vie ? On peut rester marié vingt-cinq ans et du jour au lendemain renier tout ce qui précède, faire souffrir ses proches de cette façon ?» Le drame, c'est que plus grand-chose ne parait crédible après cela et surtout pas l'amour. Comment y croire, en effet, quand une mère est 116 capable un beau jour de disparaître et ne plus jamais donner de nouvelles ? Seize ans, c'est l'âge des certitudes, et celles que je m'étais forgées sur le couple, l'honnêteté, la vérité, l'amour, la solidarité, la fidélité, tout cela avait sauté. Tout avait explosé. Souvent à ce moment-là, et c'est terrible, je me disais qu'il aurait mieux valu que ma mère disparaisse pour de bon. J'aurais souffert, je l'aurais pleurée, mais au moins son image n'aurait pas été souillée. Or là, non seulement elle avait disparu et nous laissait sans nouvelles quand j'aurais tout donné pour avoir un simple signe d'elle, mais elle continuait à nous faire du mal de manière régulière. Ses déclarations récurrentes dans la presse contre mon père se transformèrent en effet en articles dans lesquels elle se mit à évoquer notre vie privée, à nous ses filles. Elle racontait dans les journaux nos secrets, citant même le nom de nos petits copains. C'était affreux. On la voyait apparaître sur les plateaux de télévision, invitée d'émissions dans lesquelles elle venait affirmer des choses terribles. Des choses contre lesquelles il était quasiment impossible pour mon père de se défendre, sinon à coups de procédures, puisqu'elles émanaient de sa propre femme. Ce bras de fer insensé a duré finalement des mois, 117 des années, jusqu'à ce que le divorce soit prononcé. Il le fut aux torts exclusifs de ma mère. Mais la diffamation, comme toujours, avait laissé des traces même si nous savions que toutes ces horreurs (dont elle reconnaît aujourd'hui qu'elles furent inventées par pure vengeance) n'avaient pas existé. Mais le pire, donc, fut atteint avec la parution des photos dans Playboy en 1987. Playboy fut la réponse à ce que mon père avait dit dans le magazine Lui. A la question « Alors, il paraît que votre femme réclame une pension alimentaire ? », il avait répondu, excédé de cette intrusion dans sa vie personnelle : « Si elle n'a pas d'argent, elle peut toujours faire des ménages. » Il est vrai que c'était brutal, vrai aussi que cette brusquerie était en fait la marque d'une vraie pudeur. Le Pen est quelqu'un qui peut être tranchant quand on l'oblige à dévoiler ses sentiments, comme un timide est souvent abrupt. Je comprends tout à fait que ma mère en ait été vexée, mais la réponse qu'elle a cru devoir apporter à cette remarque a provoqué chez moi un véritable séisme. J'ai alors dix-neuf ans. Je suis en faculté de droit. Malgré la carapace derrière laquelle je me réfugie, je suis très fragile ,: 118 et sensible à tout ce qui se dit sur nous, malmenée par cet étalage permanent de notre vie intime. Et voilà qu'un jour, arrivant à la maison, mes soeurs me disent : « Maman a posé nue dans Playboy. » Je n'ai plus de voix. C'est pas possible. Si, c'est possible. Le magazine est sur la table. Ma soeur tente de s'interposer, elle ne veut pas que je voie cela. Il faut pourtant que je sache. Je regarde, et comme ce n'est réellement pas supportable pour moi, je me dis que je vais disparaître. Je vais m'en aller au pôle Nord, construire un igloo et y rester jusqu'à ce que les gens aient oublié que ma mère a posé à poil dans Playboy avec un tablier de soubrette et un plumeau à la main. J'ai séché les cours pendant deux semaines, incapable de me rendre à la fac, car le plus atroce c'était bien sûr les commentaires, les rires en douce et les réflexions graveleuses, comme celle-ci, entendue vingt-cinq fois : «Ah dis donc, elle est bien roulée ta mère. » On avait même publié dans la presse les résultats d'un sondage ? et quel sondage ! ? d'où il ressortait que 87 % des gens trouvaient ça «marrant ». Moi, le côté rigolo m'avait totalement échappé... Découvrir ma mère dans Playboy, c'était aussi ahurissant que 119 d'aller me promener toute nue dans la rue. C'était quelque chose d'invivable, réellement invivable. Tout cela m'est revenu récemment en mémoire, je dois dire, lorsque Paris Match a fait sa une sur Cécilia Sarkozy et Richard Attias. Bien que les choses n'aient rien de comparable, j'ai en effet eu à maintes reprises une pensée pour Louis, le petit garçon de neuf ans des Sarkozy, tant je sais que les paroles s'envolent mais que les écrits et les photos nous collent aux semelles toute notre existence. La cruauté des gens peut être parfois sans limite. De ces photos dans Playboy, j'en ai énormément voulu à ma mère car ce fut une violence psychologique inouïe qu'elle nous infligea. Une violence multipliée par cent en raison de l'écho qu'elle rencontra, comme il fallait s'y attendre. En 1987, mon père est député, il y a un groupe de trente-cinq élus Front national à l'Assemblée. Toute la presse se précipite pour interviewer les adversaires politiques qui sont dans la salle des colonnes, goguenards, à feuilleter le magazine et faire leurs commentaires machos. C'était humiliant, avilissant, j'étais mortifiée. Mais il faut bien continuer à vivre malgré les ricanements, et ça c'était vraiment insoutenable. Alors je l'ai exprimé. Après la publication de ces photos, mes soeurs et 120 moi avons été interviewées dans Paris Match où j'ai eu, je le reconnais, un propos très dur, à la mesure de la honte dans laquelle ma mère nous avait tous plongés. J'ai dit : « Une mère, c'est un jardin secret, ce n'est pas une décharge publique. » J'ai su plus tard qu'elle avait pris cela comme une gifle phénoménale, qui l'a sonnée et a sans doute aggravé les choses entre nous. Quand je l'ai enfin revue, quinze ans plus tard, elle ne sut d'ailleurs pas m'expliquer comment elle avait pu en arriver là. Je crois qu'en vérité elle ne se l'explique pas elle-même. Je pense qu'elle avait été emportée dans une espèce de tourbillon, et que prise en main par l'homme qui l'avait séduite, elle s'était laissé entraîner et manipuler par lui. Au bout d'un moment, il a réussi à la convaincre, et elle a fini par se persuader elle-même que nous ne voulions plus la voir, oubliant presque que nous étions alors de jeunes filles. J'aurais pu concevoir que mes parents se séparent, et hormis le choc initial, cela n'aurait pas pris d'importance majeure à mes yeux avec le temps. Mais ce que je ne comprends pas, c'est comment elle a pu même supporter de ne pas nous voir. Dans le cadre de ce procès en divorce, douloureux, tout le monde a été amené à témoigner et par 121 conséquent à se positionner autour de mon père, sachant que ce que ma mère racontait n'était pas vrai. Ces témoignages, la lettre où je choisissais d'être à la garde de mon père, ont dû lui apparaître comme autant de preuves de rejet. Enfin, j'imagine qu'elle était en dépression profonde et que son nouveau compagnon en a tiré profit pour la couper de tout ce qui pouvait la rapprocher de son mari et donc en premier lieu de ses enfants. Vingt ans après, ce sont des sujets encore très sensibles, mais je crois pouvoir dire avec le recul que cette séparation lui causa des blessures aussi vives que les nôtres. Je suppose qu'à un moment donné elle s'est persuadée qu'elle ne pourrait plus faire marche arrière, tout simplement parce que le choix qu'elle avait fait n'était pas le bon. Elle aurait pu se séparer de son mari, en effet, divorcer de lui, avoir notre garde, toucher une pension alimentaire. On aurait revu notre père régulièrement, ils se seraient installés pas trop loin l'un de l'autre, et chacun d'entre nous aurait vécu un divorce conventionnel. Être allée si loin, si violemment et si cruellement, a fait que personne ne pouvait plus revenir en arrière à mesure que les liens se brisaient. Face à cette brutalité qui lui fut imposée, mon père 122 a réagi par des procès, en poursuivant en diffamation, en défendant ce qu'il considérait comme étant son bon droit, son image, son honneur et celui des siens. Elle s'est alors convaincue que nous étions ses ennemis et que nous la haïssions. Ce n'était pas faux, hélas : à un moment donné s'installe cette ambivalence étrange entre la haine et l'amour ; la haine contre celui qui vous fait du mal, qui fait du mal à ceux que vous aimez, et l'amour profond qu'en même temps vous continuez à lui porter. Ainsi, j'ai réagi à son égard de manière quasi schizophrénique, car je n'avais rien vu dans nos relations qui puisse justifier son abandon. On s'adorait, on faisait très souvent les courses ensemble, on était complices et je n'avais jamais connu tous les petits accrochages qui l'opposaient parfois à mes soeurs aînées. Ma vie s'est coupée en deux. Il y a eu ma mère avant son départ et ma mère après son départ. Et autant j'adorais ma mère d'avant son départ, je l'aimais à mourir, autant j'ai développé un ressentiment terrible ensuite. Notamment parce que ses déclarations interdisaient toute possibilité d'apaisement. L'oubli et le pardon ne pouvaient jamais panser nos plaies parce qu'il y avait toujours les 123 piqûres de rappel, jusqu'à celle de Playboy qui fut la plus violente. Je pense aujourd'hui que la raison de ce combat atroce est profondément ancrée dans la relation fusionnelle, très passionnelle, que mes parents ont vécue. Toute à la destruction de ce lien affectif avec son mari, ma mère a oublié ses filles. Elle voulait détruire ce qui avait été et, dans ce combat-là, nous n'existions pas. Elle a pris conscience des ravages qu'elle avait faits en lisant ce papier dans Paris Match, moyen pour nous de dire à la face du monde qu'on aimait notre père et qu'il n'avait rien fait qui puisse justifier un tel traitement. Ma mère est partie en éclaboussant la terre entière, et ce qui est malhonnête, c'est qu'on en a largement profité pour se livrer à une exploitation politique éhontée. Je regarde aujourd'hui avec amusement les débats autour du thème « Les hommes politiques ont-ils droit au respect de leur vie privée ? », car à l'époque, personne ne s'est posé la question de savoir s'il fallait oui ou non donner la parole à l'ex-femme de Jean-Marie Le Pen, ou s'il fallait faire de la publicité à Playboy. Tout le monde tomba d'accord pour le faire, puisque c'était Le Pen ! 124 Force est de constater que dans cette tempête-d comme dans tant d'autres, le capitaine est resté à la barre sans vaciller. Sûrement très meurtri, bien qu'il ne s'en soit jamais plaint, il a fait face à la destruction publique de ses vingt-cinq ans de mariage exactement comme il avait tenu bon face aux campagnes de dénigrement les plus dures qui l'avaient précédée. Il fut un roc sur lequel les petites berniques que nous étions restaient accrochées contre vents et marées pour se protéger du mauvais temps. Cela n'a pourtant pas dû être simple pour lui, dans la pratique, de se retrouver père célibataire de trois jeunes femmes dont une adolescente. « quelle heure je l'autorise à rentrer d'une boum ? », « Combien ça coûte, une rentrée scolaire ? », « Est-ce qu'elle peut partir seule en vacances ? » sont des questions auxquelles il ne s'était jamais trouvé confronté jusque-là et qui, de surcroît, lui étaient posées dans un moment de bouleversement où il restait témoin de notre chagrin sans pouvoir le soulager. Mon père s'est remarié. Son ange gardien, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il était particulièrement efficace, a mis sur son chemin Janny, une femme belle, gentille, dotée du courage nécessaire à une épouse d'homme politique. 125 Je n'ai revu ma mère que maman moi-même, quinze ans plus tard. Élevée dans l'amour, je lui ai aujourd'hui pardonné sans réserve. Elle avait été durant mes seize premières années une mère fantasque, désordonnée mais aimante, puis elle m'avait abandonnée comme un chaton durant quinze ans, mais mon amour pour elle, lui, n'avait étrangement pas changé d'un iota. On en reparle peu et c'est mieux comme cela. Elle a raté nos études, nos premiers pas professionnels, nos chagrins, nos joies, nos mariages, la naissance de beaucoup de ses petits-enfants. La punition qu'elle s'est elle-même infligée est suffisante. Elle est aujourd'hui une grand-mère admirable de dévouement et de gentillesse et nous rattrapons toutes deux, autant qu'il est possible, le temps perdu... 126 Chapitre VII Du point de détail à Carpentras En 1987 intervient l'affaire. Quelques mots, extraits d'une phrase prononcée par Le Pen en fin d'émission, le 13 septembre 19871, allaient en effet déclencher un tollé sans précédent et être à l'origine d'un procès, depuis resté célèbre. Alors qu'il avait été lavé de toutes les accusations portées jusque là contre lui, cette affaire valut en effet à Le Pen d'être condamné par la Cour d'appel de Versailles, en 1991 au Civil, pour « banalisation de crimes contre l'humanité » et « consentement à l'horrible ». Entre-temps avait eu lieu la profanation de Carpentras, offrant au gouvernement de l'époque, l'opportunité d'une manipulation mise à jour depuis. 1. Le Grand Jury RTL/Le Monde. 127 Ces épisodes ont profondément marqué ma vie et la politique française jusqu'à aujourd'hui. Il m'a donc semblé juste d'y consacrer une place particulière. L'émission arrivait à son terme. Pris sous le feu roulant des questions, Le Pen avait été vif et efficace. Au moment de conclure, Olivier Mazerolles le questionne sur la Seconde Guerre mondiale et plus précisément sur les chambres à gaz. La suspicion d'antisémitisme perçait à l'évidence sous le ton soudain inquisitorial. Mon père s'étonne de cette question, éloignée du débat politique qui vient de se dérouler à l'antenne. Le journaliste revient à la charge, lui demande s'il adhère aux thèses révisionnistes et le somme de répondre. Le Pen le fait en ces termes : « Je suis passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. » On a tout dit et tout écrit sur cette réponse, au travers du préjugé antisémite qu'on lui avait collé à la peau à des fins politiciennes. 128 J'ai ma propre grille de lecture à ce qui est apparu, au pire comme du révisionnisme, au mieux comme une blessante maladresse : sa stupéfiante capacité à tout relativiser. J'ai eu l'occasion, au cours de ce livre, de raconter le nombre incalculable de fois où, face à une plainte, un événement même grave, il nous rétorquait : « Vous pourriez être nues dans la neige en temps de guerre. » Il y a en lui cette conscience profondément ancrée que nous sommes peu de chose dans un monde immense, quelques années d'une histoire plurimillénaire où les drames ont succédé aux drames, les massacres aux massacres ? et il faut bien admettre que le sol de notre patrie est gorgé du sang de ceux qui, de guerre en révolution, les ont vécues. Mon père, enfant de la guerre, relativise. Il instaure dans son esprit une hiérarchie des faits et des événements qui, pour être éventuellement comprise, justifierait de longs développements. Faute de temps ou faute de goût pour le didactisme, ces développements, il ne les livre pas. Or, nous sommes en des temps d'émotion, de ressenti, de compassion, d'absence de recul. Pour beaucoup, enfants de la paix dont je fais partie, relativiser c'est nier, c'est minorer. Le World Trade Center a fait 2 000 morts, le 129 premier jour de la Bataille de la Somme a fait 60 000 tués et blessés. Le dire, c'est relativiser. Sans minorer, sans nier. Mille fois j'ai entendu mon père relativiser. Maintes fois ce trait de caractère a été la cause de graves ambiguïtés. Maintes fois on a voulu y voir de la dureté quand il n'y avait peut-être que de la modestie face à la vie. Cette fois-là, celle du «détail », il a blessé, il a choqué. Certains, de mauvaise foi, y ont vu l'intérêt politique de se débarrasser d'un adversaire. D'autres ont sincèrement souffert de ce propos. C'est à eux qu'il s'est adressé deux jours plus tard, lors d'une conférence de presse a laquelle un seul média, à l'époque, fit référence et la publia. C'était le journal de Philippe Tesson, Le quotidien de Paris. Des propos qu'il avait tenus ce soir-là, mon père disait : « Cette réponse était claire et, pour des gens de bonne foi, ne laissait planer aucun doute sur ce que je pense du martyre du peuple juif d'Europe par les nazis et sur la condamnation que je porte sur ce crime. Négligeant cela, mes ennemis, et avec quelle fureur, m'ont fait grief d'avoir dit que les chambres à gaz étaient "un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale", feignant de croire que ce 130 mot était employé dans une acception péjorative. (...). J'ai perdu mon père "mort pour la France" pendant la guerre, je sais donc le prix du sang et des larmes, je compatis à la douleur de tous ceux qui ont vu disparaître des êtres chers dans la tourmente. Je voudrais dire aux juifs français, mes compatriotes qu'on a tenté d'effrayer par cette campagne mensongère, que je ne les confonds pas avec ceux qui prétendent parler en leur nom. La France a le même amour pour tous ses fils, quelles que soient leur race ou leur religion. » Ces paroles sont, je le pense, très claires. Mais j'ajoute que j'ai parfois eu personnellement à souffrir de cette tendance à relativiser. Ainsi un jour, interrogé sur sa succession et sur la pseudo compétition entre Bruno Gollnisch et moi-même, sur ce qu'il adviendrait lorsqu'il passerait la main, mon père a répondu : «Ma succession n'est pas ouverte, d'ailleurs... on peut mourir avant son père ou avant son président. » Là encore ? et moi aussi, j'ai pris cela pour de la dureté ! ?, évoquer l'éventualité de la mort de son dauphin est raide, celle de sa propre fille incontestablement choquant. Or, il ne s'agissait pas de cela mais du constat évident que nous sommes peu de chose entre les mains du destin. 131 Une façon encore de relativiser... Lorsqu'on connaît ce trait profond de son caractère, et qu'on le connaît lui, on comprend qu'il n'y a pas derrière cela une volonté de blesser, mais un rappel permanent du nécessaire recul que l'on doit prendre sur toute chose. Alors, oui, il a pensé et dit que les chambres à gaz étaient « un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale », que dans un conflit qui a fait 54 millions de morts, dont son propre père, la manière dont les gens étaient morts était un détail, une partie d'un tout. En cela, je sais qu'il n'a voulu blesser personne, mais je comprends que beaucoup de gens aient été blessés. Tout comme je conçois que certains aient pu être heurtés par ses propos sur l'occupation allemande qui n'aurait pas été en France « particulièrement inhumaine »... si l'on relativise par rapport à ce qu'elle fut en Yougoslavie, en Pologne ou en Russie. Mais chacun développe sa sensibilité à l'aune de sa propre histoire. Il y a quelques semaines, je discutais avec un ami vendéen. L'évocation des guerres de Vendée lui a mis les larmes aux yeux, ça ne date pourtant pas d'hier. Les pieds-noirs parlent du drame de l'Algérie et de l'arrachement à leur terre natale avec une boule dans 132 la gorge et toute la tristesse du monde dans le regard. Il est donc normal que la sensibilité de nos compatriotes juifs soit encore à vif concernant le drame concentrationnaire. Et je pense qu'effectivement il faut, sur ces sujets, faire preuve de beaucoup de délicatesse pour ne pas rouvrir d'anciennes mais encore vivaces blessures. Le déferlement médiatique qui suivit cette « affaire du détail », laquelle a encore des répercussions aujourd'hui, a permis à d'aucuns de coller au Front national l'étiquette d'antisémite. On nous a physiquement craché dessus, traité de nazis. Nous étions tous devenus des monstres puisque « le ventre de la bête (était) encore fécond ». Cette accusation est une injustice. Et lorsqu'on me traite de nazie, c'est pour moi l'incompréhension. Je ne me suis jamais sentie et ne me sentirai jamais de point commun avec une idéologie au nom de laquelle on a envoyé des femmes et des enfants à une mort certaine, pas plus que je ne m'en sens avec ceux qui la défendent. Je ne suis pas naïve. Je peux concevoir qu'on fasse des prisonniers de guerre : je peux concevoir qu'on prenne des hommes et les fasse travailler au bénéfice 133 de la force dont ils sont les prisonniers. Ce sont les aléas de la guerre. Mais déporter des femmes, des vieillards et des gosses dans le but de les exterminer ne peut avoir aucun début de justification et démontre, sans discussion aucune, la barbarie absolue de ce système politique. C'est parce que ce totalitarisme nazi et les horreurs qui l'ont accompagné m'étaient insupportables que je suis devenue très jeune anticommuniste. Je suis née en 68, et le nazisme était vaincu ; mais le communisme, pendant ma jeunesse, imposait encore sa terreur dans une immense partie du monde. Les goulags, le sort de Soljenitsyne, des boat-people de Pol-Pot, les tortures et assassinats de populations civiles me révoltaient au plus haut point, comme me révoltaient tous ceux, politiques ou intellectuels, qui apportaient à ces régimes une aide quelconque ou les justifiaient ? ce que malgré les faits ils continuent encore à faire pour certains d'entre eux. J'ai vécu la chute du Mur, à vingt et un ans, comme une fantastique victoire sur la barbarie et la disparition du deuxième grand totalitarisme assassin du XXe siècle. 134 Quand je revois tout cela, quand je dévide le fil de ces événements, je mesure toute la force de la diabolisation. Comment le Front national, comment mon père, comment nous, sa famille, avons-nous pu résister à toutes ces accusations, formulées quotidiennement ? Comment avons-nous pu survivre politiquement au nombre, à l'intensité, à la violence de toutes ces campagnes ? Car c'est là où il est utile de revenir sur l'affaire de Carpentras, affaire que l'on justifia par celle du détail, et qui fut la plus grande manipulation d'état de ces dernières années. Le 10 mai 1990, soit neuf ans jour pour jour après l'accession de la gauche au pouvoir, une nouvelle digne d'un film d'horreur fait la une : trente-quatre tombes ont été profanées dans le cimetière juif de Carpentras, et le corps d'un vieil homme inhumé depuis quinze jours, Félix Germon, a été déterré. L'émotion est immense, en France comme à l'étranger, le respect des morts étant une valeur universellement partagée, de tous temps, par tous les hommes de toutes les civilisations. Elle grandit encore lorsqu'on annonce que le cadavre a été empalé et que cette profanation a été perpétrée immédiatement après le passage de Le Pen à «l'Heure de vérité ». 135 Je n'oublierai jamais le choc lorsque, attablée devant mon petit-déjeuner, j'ai entendu à la radio : « Le Pen était à "l'Heure de vérité", puis il est allé dans le cimetière de Carpentras. » J'en ai vomi mon café. Commençait déjà à se mettre en place la mécanique visant à établir un lien direct entre la prestation télévisuelle de mon père et la mise en scène atroce de Carpentras. Afin d'asseoir cette thèse, Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur, se transporta dans le cimetière, et piétinant toutes les preuves éventuelles, prit une mine de circonstance et déclara au monde entier qu'il connaissait les coupables. C'était « la haine, l'intolérance, le racisme et l'antisémitisme ». Puis il déclara la guerre à leur incarnation sur terre. S'il ne nomma personne expressément, d'autres le firent à sa place, l'objectif étant de désigner clairement le Front national. Suivant son regard, toute la presse, tous les médias, toute la classe politique, toutes les autorités morales, les intellectuels et même le show-biz entreprirent contre notre parti politique une campagne de haine et de dénigrement sans précédent. Des maires, et en particulier ceux de l'appel de Vizille, refusèrent au Front national des salles de réunion. On chassa ses représentants des plateaux de télévision oit, déjà, ils apparaissaient fort peu. La classe politique se 136 demanda s'il ne fallait pas interdire le FN et les partis politiques de droite résolurent de l'exclure non seulement de toute alliance, mais de tout débat. Nos militants furent pourchassés, agressés, vilipendés, certains jetés de leur travail, leurs enfants stigmatisés, harcelés, nos familles, nos amis, nos sympathisants, nos électeurs traités plus bas que terre. Ce fut un cauchemar. L'enquête, pour autant qu'elle fût menée, révéla pourtant que la profanation n'avait pas suivi le passage de Le Pen à la télévision, mais l'avait en réalité précédée. L'acte remontait au moins à la nuit du 8 au 9 mai. La dépouille mortelle de Félix Germon n'avait pas été empalée. Magistrats et policiers auraient dû le dire au plus vite. Ils attendirent plusieurs semaines pour le faire, sans fournir à cela d'explications convaincantes. D'un point de vue politique, l'opposition de droite était engagée dans une lutte sans pitié pour reconquérir le pouvoir qu'elle avait partagé, puis perdu, durant les deux années de cohabitation (1986-1988) du premier mandat de Mitterrand. Qu'à cela ne tienne, tout le monde politique se retrouva au coude à coude dans la grande manifestation du 14 mai. Pour la première fois dans l'histoire de la République, un président en exercice conduisait le 137 cortège, marchant devant l'effigie de Le Pen empalée sur une pique. La France déifiait aux cris de « Plus jamais ça ! ». Tout ce que le pays compte d'autorités morales élevait un mur de protestations contre le retour de la « bête immonde » désignée à la vindicte populaire. Hélas pour la classe politique, malgré un coup de filet gigantesque lancé dans les milieux de l'extrême droite, et malgré des recherches orientées uniquement dans ce sens, l'enquête ne ramena pas le plus ? petit indice permettant d'étayer les certitudes infuses de M. Joxe. Qu'A cela ne tienne, une fois encore. Ce n'était pas Le Pen, mais ça « aurait pu» l'être, et c'était au fond le principal. Les politiques, Fabius en tête (il était alors président de l'Assemblée nationale), développèrent le concept éminemment pratique de « responsabilité morale ». Comme disait le slogan : « Le Pen les mots, Carpentras l'horreur », justifiant ainsi les appels au meurtre : « Le Pen une balle, le FN une rafale ». Cinq ans plus tard, la piste bruyamment indiquée par Pierre Joxe était abandonnée de manière définitive. De nouvelles recherches mettaient en cause des jeunes du cru, confirmant les rumeurs dont bruissait Carpentras depuis le début de l'affaire. L'avocat de la famille Germon parla de « mensonge d'État ». De fait, la conclusion de cette affaire fut pour le 138 moins étrange puisque l'auteur principal fut écrasé par un chauffard que l'on retrouva lui-même noyé dans le Rhône, un parpaing de ciment aux pieds. Les accusations contre le Front national emplirent des milliers de pages, occupèrent des centaines d'heures d'antenne. La condamnation des véritables coupables et donc la mise hors de cause du Front national n'occupa, elle, en revanche, que quelques lignes dans les journaux. à quoi bon laver l'honneur du FN? Dans l'esprit public, Carpentras = FN. À jamais. Quoique... Je refuse de ressasser sans cesse ces injustices. Je veux me tourner résolument vers l'avenir. L'avenir, c'est là que s'exerce notre responsabilité, là que j'inscris la mienne. Or, l'un des dangereux travers de la société française est sa propension suicidaire à vouloir mener aujourd'hui les batailles d'hier, ce qui a pour effet d'obérer totalement son avenir. Quinze ans après, on peut affirmer que ce qui s'est joué avec Le Pen autour de l'affaire du détail, puis avec la manipulation de Carpentras, a été dramatique pour la France. En se trompant d'ennemi, en agitant devant la 139 nation le fantasme du « nouvel Hitler », en stigmatisant Jean-Marie Le Pen et le parti qu'il a fondé, un certain nombre d'associations et d'hommes politiques ont voulu, et pour un temps réussi, à détourner les Français d'une réalité sociologique et économique désastreuse et autrement plus inquiétante pour leur avenir. Ils portent en cela une immense responsabilité, celle d'avoir fait perdre à notre pays de nombreuses années à lutter, tel Don Quichotte, contre un ennemi imaginaire. 140 Chapitre VIII En robe noire Mes années de fac furent des années de bachotage acharné. Suivant une maxime faite maison que je m'appliquais consciencieusement, « On peut se la couler douce mais on n'a pas le droit de rater ses examens ! » L'idée de redoubler signifiait pour moi perdre du temps et je n'envisageais pas une seconde de dilapider une année dans le cadre d'études que je trouvais assez longues comme cela. J'enviais mes copines qui, ayant choisi d'autres voies comme médecine, faisaient leurs études en étant salariées. Je dépendais quant à moi de l'argent de poche que me donnait mon père et qui couvrait au plus l'essence mensuelle de ma vieille R5 et ma consommation, sans modération, je le confesse, de cigarettes. 141 J'aurais pu travailler pendant mes études me direz-vous. Certes, mais malgré ma jeunesse, j'avais conscience que ces années de dilettantisme seraient probablement les dernières de mon existence, ce qui se révéla entièrement exact. Ainsi, chaque session d'examens me voyait levée à 6 heures du matin et travaillant avec une rigueur militaire jusqu'à 18 heures durant les quelques semaines qui les précédaient. Le reste du temps je n'étais pas débordée et prenais plaisir à aller traîner dans les couloirs de l'Assemblée nationale où le Front national avait un groupe de trente-cinq députés et où, je l'admets aujourd'hui, mon activité préférée, par temps de neige, consistait à regarder par la fenêtre les députés se prendre des gamelles mémorables dans la cour pavée de cette vénérable institution. Rien de très politique... ! Ce régime me permit de passer ma maîtrise avec une mention « assez bien », pas aussi glorieuse que son intitulé, mais dont j'étais à l'époque fière. Les choses sérieuses, comme on dit aux enfants à tous les stades de leur vie scolaire puis universitaire, commençaient. Il fallait à tout prix entrer au CFPA (Centre de formation professionnelle des avocats), l'école de formation des avocats qui, compte tenu de ce que 142 cette dernière coûte aux barreaux par an et par élève, était sanctionnée par un examen beaucoup plus difficile à l'entrée qu'A la sortie. Affligée depuis ma plus tendre enfance de l'appréciation récurrente « meilleure à l'oral qu'A l'écrit», j'entrai à l'école d'avocats avec un écrit médiocre et un superbe 16/20 au «grand oral». Je m'inscrivis cette année-là, et parallèlement A l'école d'avocat, en 3e cycle, en DEA de droit pénal. Cette année 1991 rue de Charenton, près de la Bastille, fut riche en travail ? ce qui me changeait de la fac ?, en acquisition de savoir, en contraventions attrapées dans ce quartier ingarable, en amitiés aussi, de celles que l'on se forge pour la vie. Toucher enfin du doigt le monde du travail, voir des « vrais avocats », des « vrais juges », aller dans un « vrai tribunal » me donnait passionnément envie d'en finir et de bosser dans la vie réelle. C'est pourquoi lorsque plus tard, mon DEA et mon CAPA (Certificat d'aptitude A la profession d'avocat) en poche, mon père plaida pour que je m'inscrive en doctorat, je refusai net. Il fut un peu interloqué de ce refus, mais c'était exactement comme s'il m'avait proposé de passer trois ans à la Santé ! L'idée de redevenir un rat de bibliothèque afin de présenter une thèse obscure pour obtenir un titre qui à mes yeux ne servait â 143 rien me révulsait. Je voulais travailler, gagner ma vie, devenir autonome. Cette année de CFPA fut, comme je le disais, un bouleversement. J'y appris plus en un an qu'en trois ans de fac, dans une ambiance dont j'ai encore parfois la nostalgie. L'emploi du temps y était très chargé et j'adorais cette sorte de vie en communauté, entourée d'une bande d'amis sympas, sincères, et il faut bien l'avouer, assez gais lurons. Les bandes d'amis, « celle des vacances », « celle du lycée », « celle du barreau » ou « celle du Front », seront d'ailleurs au cours de ma vie autant de remparts contre les regards ou les paroles hostiles, un cocon où j'adorais me fondre dans l'anonymat du groupe, protégée par l'invisible mur de l'amitié et la solidarité naturelle qui en découle. Les bandes, c'était une petite famille à côté de la mienne, où il était plus facile de se laisser aller à l'insouciance car mon identité y devenait anecdotique. Mes « bandes » d'amis m'auront au long de ma vie adouci bien des peines, consolé bien des chagrins, préservé bien des espaces de tranquillité et de bonheur. 1991 fut de surcroît une année sans élection, ce qui contribua aussi à mon bonheur, en minimisant les risques de médiatiques « carpet bombing », façon Carpentras. 144 Au titre des nombreux stages (chez un avocat, chez un huissier...) que nous devions effectuer durant cette année de formation, j'atterris à la 12e section du parquet pour quinze jours. La 12e correspond au parquet des mineurs, mineurs victimes ou mineurs auteurs, en substance tout ce que notre société peut engendrer de malheur. Ce furent là quinze jours d'une grande émotion. Prise sous l'aile d'une magistrate étonnante, fan de Lénine dont elle avait un buste sur son bureau ? ce qui n'avait aucune conséquence fâcheuse sur son travail, dénué d'a priori ? j'accédais grâce à elle au secret de dossiers plus sordides les uns que les autres, qui me voyaient rentrer à la maison le coeur en miettes. Inceste, maltraitance, placement de foyer en foyer, gamins assis sur des plaques chauffantes, rien ne me fut épargné et tant mieux. Quand on a eu accès à ces histoires, nos chagrins et nos problèmes paraissent dérisoires au regard de si dramatiques destins, engendrés par la bêtise et l'inhumanité. Je n'arrive toujours pas à comprendre, encore aujourd'hui, par quelle idéologie criminelle qui privilégie à tout prix les liens du sang, on persiste à rendre ces enfants inadoptables sous prétexte que 145 leurs parents alcooliques, tortionnaires ou drogués maltraitants, veulent les voir une fois par an ! On a beaucoup moins de mauvaise conscience lorsqu'il s'agit de retirer un animal à un mauvais maître. L'enfant, lui, est laissé pour des énièmes tentatives à des bourreaux qui, à défaut de pouvoir à leur gré lui détruire le corps, ce qui est parfois le cas, lui détruisent à coup sûr le coeur et peut-être l'âme. Dans ce domaine, comme dans tant d'autres, le bon sens devrait prévaloir et la société protéger les plus faibles, à n'importe quel prix. J'eus le privilège, grâce à l'équipe de la 12e section, très majoritairement de gauche et, je dois l'admettre, très majoritairement sympathique, de visiter le dépôt. Les avocats et a fortiori les stagiaires y sont bannis et peu ont dû avoir cette chance, si je peux m'exprimer ainsi. Ce que je vis là-bas me révolta et me révolte encore. La souricière, comme on l'appelle au Palais de justice, porte bien son nom. C'est immonde. Sale, noir, moche, dégradé, voilà une succession de cachots ? il n'y a pas d'autre terme ? noirâtres, où s'entassent les suspects de toutes sortes d'infractions, des délits les plus bénins aux crimes les plus fous, sans distinction aucune. C'est un cauchemar pour ceux qui y échouent mais 146 aussi pour ceux qui y travaillent, condamnés à la crasse et au sordide des lieux. Le cachot des mineurs laisse apparaître une vitre opaque tant elle est vétuste, dérisoire protection à la suite d'un suicide qui s'y produisit. L'existence même de cet endroit et le stage d'une semaine que je fis ensuite la même année, à la Maison d'arrêt de Bois d'Arcy, reste pour moi beaucoup plus instructif qu'un long discours. Notre courant de pensée incarnerait, dit-on, l'option du « tout répressif », vitupérant les prisons quatre étoiles oû les délinquants logés, nourris, blanchis, se prélasseraient devant Canal +... N'en déplaise aux caricaturistes, la réalité est tout autre. Je n'ai certes pas fait l'expérience de la privation de liberté. Je garde néanmoins l'impression fugitive d'un stage de quelques jours où j'entrais dans la prison le matin et ressortais l'après-midi. La sensation que donnent les lourdes portes lorsqu'elles se verrouillent derrière vous est glaçante. L'horizon limité par des barreaux est une expérience bouleversante à laquelle devraient être soumis tous les élèves magistrats. Je n'ai pas de compassion particulière à l'égard des délinquants et des criminels. J'en ai davantage et plus spontanément pour les victimes ; mais la privation de liberté est une peine en soi, bien plus éprouvante 147 qu'on ne le pense. Ce qui est inadmissible dans notre système carcéral, c'est que ce n'est pas la seule peine. On peut, on doit priver de sa liberté un homme ou une femme qui enfreint les lois de notre société et lui porte tort, mais on ne doit le condamner qu'A cette privation de liberté. Pas le condamner A vivre avec d'autres, entassés à six dans des cellules de deux ou quatre, pas lui imposer les maltraitances, l'absence d'hygiène et d'intimité qu'entraîne la surpopulation carcérale, pas le condamner à la peur, au viol, aux coups, au racket. C'est une question d'honneur. Les gouvernements, en refusant de voir la réalité en face, en niant l'explosion de la délinquance et de la criminalité dans notre pays depuis plus de vingt ans, n'ont pas pris les mesures nécessaires. Ils n'ont pas construit de prisons supplémentaires, ont refusé d'entendre les appels au secours des personnels pénitentiaires. Ceux-ci, en sous -effectif permanent, doivent au prix de leur sécurité gérer des effectifs pléthoriques dans des conditions déshonorantes pour notre pays. Aux États-Unis, il y a 2 millions de places en prison pour 260 millions d'habitants ; en France, 55 000 pour 60 millions d'habitants. Nous en avons donc, proportionnellement, dix fois moins. Ceci a des conséquences en chaîne, pas uniquement 148 liées aux conditions déplorables que je viens d'exposer. Une proportion inadmissible de peines de prison n'est jamais exécutée, faute de place. Les magistrats ne prononcent plus ces peines qui seraient pourtant justifiées, informés qu'ils sont de cette situation, dégradée d'année en année, et ce au grand dam des victimes qui subissent cela comme une agression supplémentaire. Quel crédit peut avoir une justice qui a le choix entre ne pas condamner, condamner et ne pas être appliquée, et condamner à plus qu'il n'est nécessaire parce que la privation de liberté n'est pas la seule peine qui attend les condamnés en prison ? Une fois encore, pourquoi nos gouvernants sont-ils pathologiquement incapables de prévoir ? Pourquoi sont-ils si aptes à donner des leçons de « droits de l'homme » au monde entier en fermant les yeux sur des scandales aussi patents ? Pourquoi la paille est-elle ici si visible et la poutre si discrète ? De fait, plus je m'en approche, plus j'aime à l'avance ce métier d'avocat. La cause est belle et juste, et en ne l'exerçant pas encore, je vis cette année d'apprentissage dans le rêve, l'héroïsme de la défense de la veuve et de l'orphelin. La réalité s'avérera un peu moins rose... Je suis émue aux larmes un jour où, décidant de suivre en spectateur un procès aux assises, j'entends 149 plaider Me Forster. C'est un grand avocat, et lorsqu'après deux heures de plaidoirie je le vois se rasseoir, les yeux clos de fatigue, en sueur, je sais que c'est là que je veux aller. Je veux plaider devant ce jury populaire au moins une fois. Je lui laisserai à l'issue de cette audience un petit mot dans son casier qui disait, de mémoire « C'est grâce à des avocats comme vous que naissent les vocations... » Il aura la gentillesse de venir me féliciter quelques mois plus tard, à l'issue d'un concours d'éloquence. Un concours d'éloquence qui sera ma première frayeur professionnelle... Pas la dernière. Nous étions six, choisis sur la base d'un texte que nous avions rédigé et qui devait répondre à la question : «Maître, comment pouvez-vous défendre d'aussi horribles assassins ? » Vaste question, en effet ! Le concours consistait donc en un procès factice, bien sûr, mais qui devait se dérouler comme un vrai, dans les locaux très impressionnants de la cour d'assises de Paris. Il s'agissait en l'occurrence de juger Charles IX pour deux chefs d'inculpation : crime contre l'humanité en raison, bien sûr, de la Saint-Barthélemy, et tapage nocturne pour avoir fait sonner nuitamment les cloches de Saint-Germain l'Auxerrois ? ce second motif étant évidemment un trait d'humour. Pour l'occasion, nous devions plaider en public. 150 On nous avait même prêté une robe d'avocat à chacun. Le jour venu, j'ai cru ne jamais parvenir à prononcer un mot tant j'avais le trac. L'un de mes compagnons dans cette galère était Mario Stasi, fils du bâtonnier et aujourd'hui responsable UDF, avec qui j'ai partagé la deuxième place du concours derrière Pascale, une de mes amies qui l'avait bien méritée. J'aime alors infiniment ce que je fais, je ne suis pas un mauvais élément, et c'est ainsi qu'en janvier 1992, entourée de mes copains et copines de promo, je prête serment à la cour d'appel de Paris. Toute ma famille est là et l'AFP me fait même la grâce d'une dépêche pour évoquer l'événement. Inutile de dire que l'arrivée de la fille Le Pen au barreau ne passa pas inaperçue et que les avocats installés ne se pressèrent pas au portillon pour embaucher une stagiaire aussi voyante. C'est donc chez Georges-Paul Wagner, un ami de mon père et accessoirement son défenseur, que je commençai ma carrière. Cette famille d'avocats de père et mère, en fils, m'accueillit donc dans son vaste cabinet, avenue de la Grande Armée. J'avais somme toute beaucoup de chance. Georges-Paul, depuis à la retraite, était un homme d'une culture encyclopédique et en même 151 temps d'une gentillesse rare. Il était de surcroît un ancien membre du Conseil de l'ordre, très respecté pour sa courtoisie et sa droiture et reconnu unanimement par ses pairs. J'ai beaucoup appris auprès de lui et de son fils François, et en premier lieu hélas, que tous les avocats n'étaient pas à leur image et de leur trempe... Au barreau, on a coutume de dire, non sans raison : « La confraternité, cette haine vigilante. » J'arrivais pourtant fraîche émoulue de l'école d'avocats, la tête farcie de grands principes sur la justice, la déontologie, sur le fait que, comme l'on dit, « sous la robe, il n'y a ni sexe ni âge », que le respect entre avocats est sacré, et tutti quanti. Je commençai donc à plaider d'abord devant les tribunaux d'instance et puis rapidement, grâce à la confiance des Wagner, devant des juridictions plus importantes. Parallèlement, et comme j'adorais le droit pénal, je me plongeai dans les dossiers de droit de la presse de mon père et du FN que plaidait mon patron, et je m'inscrivis comme volontaire aux comparutions immédiates. Les comparutions immédiates, de quoi s'agit-il au juste ? Les prévenus y sont jugés selon une procédure d'urgence et ont alors des avocats commis d'office, payés chichement par l'État. C'est une tâche épui- 152 sante. On doit défendre parfois jusqu'à vingt prévenus et l'on finit souvent très tard dans la nuit. C'est une sévère école du droit, de la nature humaine, une école d'endurance. Y sont jugés, à quelques exceptions près, presque uniquement des immigrés en situation irrégulière. Je n'y voyais, pour ma part, aucun caractère contradictoire avec les convictions politiques qui étaient les miennes. Je pensais, et je pense toujours, que si l'immigration doit être combattue à raison de ses conséquences néfastes en termes d'identité nationale et de son lourd retentissement sur le plan économique et social, les immigrés quant à eux doivent être correctement traités et ont, comme tout le monde, droit à un avocat pour les défendre. Après tout, une fois encore, les responsables sont les politiques qui les ont fait venir ou les maintiennent par laxisme sur le territoire. Je plaidais donc par devoir, par principe, avec honnêteté, et je crois que les juges ainsi que mes confrères présents aux audiences s'accordaient à dire que l'on ne pouvait me reprocher aucun manquement à mon serment. Malgré cela, le bâtonnier reçut une délégation de jeunes avocats venus lui demander de m'interdire de plaider à la 23e chambre ? celle des comparutions 153 immédiates ? parce qu'il était, disaient-ils, « honteux que la fille Le Pen défende des immigrés ». C'était sans doute les mêmes qui, lorsque j'arrivais I la buvette du Palais, se levaient avec leur assiette pour s'installer plus loin, de peur probablement d'être atteints par je ne sais quelle contagion virale. Le bâtonnier, pour ce que j'en sais, les envoya très confraternellement sur les roses. À la suite d'un de ces procès où je défendais des immigrés, quelques voix s'élevèrent aussi au Front national pour regretter (déjà !) un tel manquement à «l'orthodoxie du parti »... Non seulement mon père ne me le reprocha pas, mais il me félicita d'avoir su faire la différence entre le combat que l'on peut mener contre une politique imbécile et la défense légitime à laquelle a droit tout individu, quel qu'il soit. J'aurais aimé qu'il soit défendu, lui aussi, par certains de ses amis, mais la pression les poussait souvent au reniement... Ainsi Jean-Edern Hallier, l'homme tellement « écouté » par Mitterrand. Voisin du cabinet où je travaillais, avenue de la Grande Armée, il m'arrivait régulièrement de boire un café avec lui au bar tabac du coin. Nous nous étions rencontrés à La Trinité où, en voisin breton cette fois, il était venu nous rendre visite. J'aimais bien Jean-Edern et je crois qu'il me le 154 rendait. Personnage talentueux et extravagant, il alternait les phases d'euphorie (où il pensait pouvoir changer le monde à lui tout seul) et les phases de profond désespoir où il se plaignait de sa situation d'écrivain maudit persécuté par le pouvoir. Comme on le sait aujourd'hui, au terme du procès des écoutes de l'Élysée, il y avait malheureusement du vrai dans ses soupçons. Néanmoins, cela ne pouvait justifier à mes yeux l'interview qu'il avait accordée à Paris Match, et au sujet de laquelle nous avons eu un jour une violente mise au point. Cette interview paraissait quelque temps après une période difficile pour lui. En raison d'une déclaration dont je n'ai plus le souvenir précis, tout le monde lui était tombé sur le dos. Mon père avait été l'un des seuls à l'accueillir encore à sa table et l'avait, au passage, dépanné financièrement. Bien entendu, son acte généreux, Le Pen ne le raconta jamais, n'ayant pas l'habitude de mettre son coeur en bandoulière. Et voilà que quelques semaines plus tard, interrogé sur le fait de savoir si Jean-Marie Le Pen était un de ses amis, Jean-Edern répond : « Je ne le connais pas. » Je ne m'habituerai jamais à cela ! J'avais donc écrit à Jean-Edern une lettre très dure où je lui rappelais que la droiture et la fidélité sont 155 des qualités supérieures à toutes et que cette réponse fausse à Paris Match constituait le summum de la lâcheté. S'ensuivit une conversation téléphonique homérique que je regrette aujourd'hui. Il était penaud. Il savait qu'il m'avait blessée, qu'il avait tort, mais il se justifiait par l'incroyable pression qui pesait sur lui et la diabolisation dont mon père faisait l'objet. J'étais mieux placée que quiconque pour savoir ce qu'il en était, mais sur le moment j'eus beaucoup de mal à lui pardonner. Je l'ai fait plus tard. En forme de clin d'oeil, il avait dit un jour, sur une radio : « Marine Le Pen, elle est tellement bien qu'elle mériterait d'être de gauche ! » Dans son esprit, c'était un compliment... ! Sur le plan professionnel, j'eus l'occasion de connaître de grands dossiers, telle l'affaire du sang contaminé qui s'ouvrit au printemps 1992. Georges-Paul Wagner était en effet l'avocat de l'Association des Polytransfusés dirigée par M. Peron-Garvanoff. Le cabinet allait, à ce titre, se porter partie civile dans ce procès prévu pour se dérouler sur sept semaines. Georges-Paul me demanda donc, en qualité de collaboratrice, d'effectuer la permanence aux audiences. 156 Celles-ci se tenaient tous les jours dans la petite salle de la 17e chambre, dans des conditions extrêmement pénibles. Il y régnait une chaleur épouvantable et les parties civiles, malades, souffraient non seulement de ce qu'elles entendaient mais aussi des conditions tout à fait déplorables dans lesquelles la justice avait organisé ce procès. La dignité de ces parties face à l'horreur de la situation est une leçon que je retiendrai à jamais. Comme souvent, le verdict ne fut pas à la hauteur du scandale qu'a représenté l'injection volontaire, pour des raisons strictement mercantiles, d'un produit que l'on savait contaminé par un virus mortel à plus ou moins longue échéance. Comme souvent, là encore, les politiques et les grands corps de l'État furent épargnés alors que tous portaient dans cette affaire une terrible et durable responsabilité.  côté de ces moments difficiles, il y en eut d'autres aussi d'un total surréalisme, ma filiation semant le trouble d'une manière parfois inattendue. Ainsi, un soir de février 1992 ? j'ai alors un mois d'exercice ? Georges-Paul m'envoie assister une jeune hôtesse de l'air. Elle avait mon âge et elle avait été violée à son domicile. J'étais pétrifiée. C'était le soir, il faisait nuit et surtout, c'était ma première instruction. Le juge était lui aussi gêné et 157 confus. Manifestement, le test ADN effectué sur l'inculpé qu'elle avait formellement reconnu, ne permettait pas d'établir sa culpabilité. L'ambiance était triste et lourde, ma cliente terrorisée ne comprenait pas ce que disait le juge et moi guère plus. Celui qui avait été arrêté était-il en fait innocent ? Les tests étaient-ils muets ? Au milieu de son exposé, le juge s'arrête et me demande : « Vous êtes ? » Je lui réponds : « Maître Le Pen, je substitue Me Wagner. » Il reprend alors, s'adressant à ma cliente : « Bon, en résumé Mademoiselle, on ne peut pas dire que le sperme que l'on a retrouvé dans votre culotte est celui de... M. Le Pen. » Aussitôt il rougit, bredouille « Oh, pardon ! », et nous partons alors, ma cliente et moi, d'un irrépressible fou rire, lié sûrement autant à la tension extrême qui régnait dans le cabinet du juge qu'à son incroyable lapsus. La greffière, elle aussi, pleurait de rire sur sa machine. Je réussis à reprendre mon souffle et glisse : « Je crois que pour une fois il n'y était pour rien », et nous voilà reparties à rire de plus belle. Il nous faudra d'ailleurs de longues minutes pour retrouver notre calme. Au moment de partir, le juge d'instruction me dit seulement : « Maître, je voudrais vous voir dans mon bureau. » 158 Je n'en mène pas large, me demandant quelle sottise j'ai pu commettre. Il fait donc sortir ma cliente, ferme la porte et éclate à son tour de rire, me disant : « Je vous en supplie, ne racontez cela à personne ! Je suis navré, désolé. Je ne pensais pas du tout à votre cliente, j'étais en train de me dire : est-ce que ça n'est pas la fille de Jean-Marie Le Pen ? » Le lendemain, il m'adressait au cabinet un énorme bouquet de roses. J'ai plaidé cette affaire de viol devant la cour d'assises et je garde un souvenir affectueux de cette jeune fille si courageuse. Le violeur, lui, a pris sept ans. Après deux années passées au cabinet de Georges-Paul Wagner, j'éprouve alors une furieuse envie de partir, pour une raison simple : j'ai envie de devenir mon seul et unique patron. En cela, j'avais véritablement je crois, l'âme d'un avocat avec le désir d'être libre de choisir mes dossiers, de développer mes arguments, de décider des causes que j'entendais défendre. C'est évidemment pure folie. Je ne possède qu'une toute petite clientèle personnelle et il va falloir que je paye toutes les charges liées à mon activité professionnelle : location des locaux, taxes diverses et variées, tenue d'un secrétariat, etc. Tant pis ! Je me lance dans le vide et dans l'aventure de 159 l'installation, ignorante en partie des risques qui y étaient liés. La première difficulté : trouver une association avec un ou une partenaire. Elle sera insurmontable. Personne ne voulait s'associer avec Marine Le Pen : c'était tout bonnement envisagé comme un suicide professionnel. Malgré l'amitié que me portaient certains et les compétences que d'autres me reconnaissaient, l'équation était mortifère. Ceux qui faisaient du droit de la presse le faisaient pour des journaux dont aucun n'aurait voulu que leur avocat soit associé par un biais quelconque à Le Pen. Ceux qui faisaient du droit des affaires m'expliquaient que leurs clients ? même proches de nos idées ? ne prendraient jamais le risque de perdre un procès d'affaire à raison de l'hostilité d'un magistrat envers les options politiques que je représentais. Il en était de même, d'ailleurs, des baux commerciaux, du droit international et même de simple divorce, un ami m'ayant avoué un jour qu'il avait renoncé à me prendre comme avocat, de peur que sa femme ne s'en serve comme argument en plaidant qu'il était « un ignoble facho », pour mieux lui refuser un droit de visite sur ses enfants. Je me retrouvais une fois encore confrontée à l'exclusion, professionnelle cette fois, générée par 160 mon seul nom. J'avais déjà vécu cela au moment d'entreprendre des études. En effet, contrairement aux autres, la question n'était pas pour moi : « Qu'est-ce que je peux faire ?» mais : « Qu'est-ce qu'on va me laisser faire ? », « Qu'est-ce qui m'est autorisé ?» Je savais très bien que je ne pourrais être ni journaliste, ni magistrat, ni commissaire de police, ni plein d'autres choses, l'eussé-je souhaité. J'avais donc pris la voie du droit, mais elle représentait elle aussi un cul-de-sac dans la mesure où toute association s'avérait à l'usage impossible. J'étais donc contrainte de choisir l'option du cabinet groupé, où l'on sous-loue en quelque sorte un bureau en partageant les frais, mais sans partager les affaires et le nom de la structure. Et même cela, ça n'était pas gagné ! Ma route me fit croiser celle de Sylvain Garant, avocat qui ne manquait certes pas d'originalité, mais ne manquait pas non plus de courage et qui, à ce titre, me loua une pièce rue Logelbach. J'y resterai deux ans. Le plus drôle, c'est que mon confrère Garant ayant fréquenté assidûment les milieux RPR, je croisais régulièrement dans les couloirs tel ou tel député qui me regardait avec des yeux comme des soucoupes ! 161 Je m'étais rapidement liée d'amitié avec ses collaborateurs, nous étions du même âge. Tant bien que mal je m'en sortais. J'avais un volant d'affaires assez éclectique qui me permettait de vivre, certes pas luxueusement, mais enfin j'avais compris, à l'époque, qu'il y a 10% d'avocats riches et 90% qui tirent le diable par la queue, surtout en région parisienne. Je plaidais de temps en temps pour le Front national ou pour des militants qui venaient me trouver pour une affaire personnelle, mais je ne réussis jamais vraiment à vaincre la réticence que créait le risque de mon nom associé à des dossiers «rentables » dans l'esprit de mes clients potentiels. Marine Le Pen avait la réputation, précédée aussi par celle de son père, d'être tenace, courageuse, combative. On avait donc tendance à me confier des dossiers soit déjà perdus devant d'autres juridictions, soit gagnables, mais au prix de combats judiciaires titanesques. Je les acceptais par principe mais aussi, on l'aura compris, par nécessité. C'est à cette époque que je fis la connaissance d'Antoine Gaudino, un ami de Sylvain qui venait fréquemment au cabinet. Il s'était fait connaître lorsque, commissaire de police, il avait fait sortir à grands risques l'affaire Urba-Graco. Antoine ne partageait pas mes idées politiques, mais il avait trouvé sympathique la jeune avocate que 162 j'étais, éprise comme lui de justice et scandalisée par la corruption qui gangrenait les différentes sphères du pouvoir. à cette époque, son nouveau cheval de bataille ? que j'enfourchais avec enthousiasme ? était la corruption dans les tribunaux de commerce. Bien avant que Montebourg ne s'y intéresse, nous fines sur ce sujet des conférences en commun et quelques procès aussi, étant devenue moi-même l'avocate d'un certain nombre de victimes. Il n'est d'injustice plus ignoble que celle commise au nom de la justice. Or, un trop grand nombre de cas faisait apparaître des manoeuvres dans certains tribunaux de commerce où des magistrats, en cheville avec des mandataires liquidateurs, dépeçaient purement et simplement des petites ou moyennes entreprises à leur bénéfice personnel ou au bénéfice de leurs proches, femme, maîtresse, enfants ou amis. Le désespoir de ces petits chefs d'entreprises qui voyaient détruit le travail d'une vie pour satisfaire l'avidité de ceux qui auraient dû les aider m'était insupportable. C'était, dans ce cas comme dans tant d'autres, la bataille du pot de terre contre le pot de fer ; mais nous la menâmes avec persévérance. Cela pour s'apercevoir, hélas, que seule une modification profonde de ces institutions pourrait assainir ce domaine. Nous avions en commun, Antoine et moi, notre 163 détestation viscérale de l'injustice et un respect profond pour l'honnêteté. Nous n'avons pas eu l'occasion d'en reparler depuis cette époque, mais je pense que ces deux traits de caractère sont encore le moteur de sa nouvelle activité d'audit d'entreprise, comme ils sont le mien, je m'y applique en tout cas, dans mon combat politique. Quant à mon père, loin de sauter sur l'occasion d'avoir une fille avocate pour lui transmettre les dossiers du Front national, il ne me les confiait au contraire qu'au compte-gouttes. Il entendait juger sur pièces, bien loin là encore, de la caricature népotique à laquelle on veut trop souvent le réduire. Il se trouve que je ne m'en sortais pas trop mal, et ayant déménagé mon cabinet dans de nouveaux locaux rue de la Neva, je plaidais de plus en plus souvent pour le FN et ses responsables. Dossiers de diffamation ou d'injures qui me faisaient côtoyer le gratin du barreau à la barre de la 17 chambre correctionnelle de Paris, mais aussi beaucoup d'autres affaires plus... sportives. C'est ainsi que j'eus l'occasion de plaider l'affaire de ces jeunes militants du Front national qui avaient envahi les locaux de Fun Radio de manière pacifique et contre qui le procureur réclamait purement et simplement la mort civique sous la forme d'une 164 privation des droits civiques pendant trois ans... Condamnation démesurée et cruelle à l'égard de jeunes qui avaient justement embrassé un engagement politique. Le réquisitoire fut d'autant plus aberrant que tout le monde sans exception pleure sur le taux affolant de l'abstention dans ces classes d'âge. Heureusement, les magistrats me donnèrent raison. J'eus aussi à plaider dans l'affaire d'Auch où, lors d'une caravane du Front National de la Jeunesse, les militants s'étaient trouvés confrontés à une manifestation de lycéens qui les canardaient avec tout ce qui leur tombait sous la main. Les jeunes, emmenés par Samuel Maréchal, mon beau-frère patron du FNJ, s'étaient défendus non sans courage, ce qui me paraissait légitime. J'étais donc descendue en catastrophe à Auch où le magistrat avait exigé leur passage en comparution immédiate, ayant manifestement en tête de placer Samuel en préventive. Le procès me sembla d'une partialité telle que j'eus vraiment peur à un moment de devoir appeler ma soeur pour lui dire de préparer les oranges. C'est de justesse, encore une fois, que nous échappâmes au sombre verdict et que je ramenai Samuel à la douceur de son foyer ! A la fin de l'année 1997, et sans m'en être rendu 165 compte, je finissais par passer l'essentiel de mon exercice à plaider pour le Front national. La réalité est que mes velléités d'indépendance à l'égard de la politique s'affaiblissaient chaque jour. La politique est un virus que l'on a dans l'organisme. Il se développe plus ou moins tard, nous laissant parfois des moments de rémission, mais il ne se fait jamais oublier, sauf à ne l'avoir jamais contracté. Je l'avais quant à moi attrapé bébé. J'étais, dit mon père, « tombée dedans quand j'étais petite », comme Obélix dans la potion magique. Et à mon grand désespoir... cela me plaisait. De plus en plus, l'idée et l'envie de doter le Front national d'une vraie structure juridique performante en amont, et pas seulement en aval, étaient devenues pour moi évidentes. 166 Le Front national était, en 1997, un parti politique de plus de cent permanents, présent dans les cent départements français... sans aucun service juridique. Cette carence commençait à se faire cruellement sentir et il m'apparaissait nécessaire, en amont, de coordonner sa politique en matière de réponse ou de défense tant pénale que civile. C'est ainsi qu'un jour de 1997 je me retrouvai dossier en main devant le Bureau exécutif, instance dirigeante du Front national, pour proposer de créer ce service. Cette proposition fit l'unanimité (Bruno Mégret y compris) et je quittai la robe et le barreau de Paris le ler janvier 1998, avec la possibilité d'y revenir quand bon me semblerait, pour venir m'installer au Paquebot, à Saint-Cloud. Au même moment, Carl Lang, alors secrétaire Chapitre IX La scission général, vint à nouveau me proposer d'être candidate aux élections régionales de mars 1998, l'échéance approchant. Il m'avait déjà fait cette proposition en 1992, mais je l'avais alors déclinée. Je venais de prêter serment avec l'envie de me consacrer en priorité à mon métier d'avocat. J'avais soif d'apprendre, de plaider et j'étais consciente de la difficulté pour une jeune avocate de faire son trou, surtout avec le nom que je portais. Apprenant que je quittais le barreau, Carl m'a donc reformulé sa proposition, plaidant auprès de moi le bénéfice que pourrait représenter un ticket Lang-Le Pen dans sa région Nord-Pas-de-Calais. J'acceptai, non sans l'avoir informé que j'attendais un bébé qui devait naître fin mai. Il en a tenu compte et allégea beaucoup mes obligations de campagne, lesquelles nécessitaient des déplacements assez déconseillés en fin de grossesse. Pendant ce temps, je montais le fameux service juridique, qui s'avérera fort utile quelques mois plus tard, lorsqu'éclatera la scission provoquée par Mégret. Le 15 mars, la liste du FN dans le Nord-Pas-de-Calais voit élire de nombreux conseillers régionaux et le 20 mars 1998 je fais mon entrée en séance plénière pour l'élection du Président de région, enceinte de sept mois. 168 M'ennuyant ferme à la maison, je venais au bureau tous les jours, jusqu'à la veille de mon accouchement qui devait être déclenché le 26 mai. C'est donc le 25, à la cantine du Paquebot, que d'étranges maux de reins me firent penser que le bébé n'attendrait pas le lendemain. L'esprit de contradiction (breton) déjà bien ancré, mon adorable Jehanne montra son museau le 25 mai à 23h58 ! Je débarque quelques semaines plus tard en Bretagne avec ma petite merveille et mon époux pour un été à pouponner... J'allais être servie ! Le 5 août, jour de mes trente ans, j'apprends avec stupéfaction que je suis à nouveau enceinte. Ayant subi quelques jours après la naissance de Jehanne une ablation de la vésicule biliaire (nous avons cela en commun avec Raffarin) et inquiète de maux de dos persistants, je vais passer début septembre une échographie de ma défunte vésicule. Je prends bien sûr la précaution de prévenir l'écho-graphe que je suis enceinte. Il me propose alors tout naturellement de jeter un coup d'oeil à ce bébé et m'annonce, ravi, qu'il y en a... deux ! J'ai passé le reste de la journée entre le rire et les larmes, tantôt sensible à la bonne blague que la vie venait de me faire, tantôt effondrée, ma fille de trois mois dans les bras, me demandant comment j'allais réussir à gérer trois bébés ! Il fallait changer d'appar- 169 tement, changer de voiture, changer de vie, alors que trois mois plus tôt, je n'avais à m'occuper que de moi... Cette année 1998 se révélait riche en bouleversements et ce n'était pas fini ! Je revins à Saint-Cloud en septembre, dans une atmosphère à couteaux tirés, l'ambiance entre les partisans de Mégret et ceux de Le Pen s'étant largement dégradée durant mon congé maternité. J'avais, pour ma part, déjà été le bouc émissaire du délégué général Bruno Mégret. J'étais à l'époque une avocate régulière du Front national, et à ce titre, mon père m'avait proposé de me présenter au Comité central lors du congrès de mars 1997, en vertu du principe ? parfaitement défendable, d'ailleurs ? que j'y avais autant ma place que d'autres. Après tout, pourquoi pas ? Je m'y présentai donc sans imaginer un instant que j'allais (déjà !) faire les frais de la gué-guerre interne que Mégret menait contre Le Pen. J'étais l'avocat du Front, j'avais déjà été candidate aux législatives, les militants et les cadres faisaient appel à moi fréquemment pour les défendre devant les tribunaux et je remplissais cette mission avec conviction. Je ne m'attendais donc pas du tout à faire l'objet d'un tir de barrage. Je ne fus pas élue. A l'évidence, on se moquait totalement de me voir 170 figurer ou non au Comité central. Je n'étais d'ailleurs pas personnellement en cause. L'objectif était de donner au président Le Pen un avertissement en bonne et due forme, et de démontrer la capacité de Mégret à infléchir le vote. C'était tombé sur moi parce que j'étais la fille, et plus la victime collatérale était proche, plus l'avertissement prenait de valeur. Autant dire que je n'en ai pas fait une jaunisse, mais mon arrivée dans l'appareil du Front se faisait donc au pire moment. J'étais comme un gamin parti faire ses classes, paquetage bouclé par maman, et qui se serait retrouvé le lendemain en pleine guerre et en première ligne. J'étais ignorante du fonctionnement interne du mouvement, de ses méandres, toutes choses auxquelles ne m'avaient pas préparée les militants de terrain, ni les responsables pour qui je plaidais et avec qui j'entretenais des relations individuelles. Je débarquais sur le pont du Paquebot en pleine mutinerie, à un moment où une équipe passait déjà plus de temps à saboter les machines ou à fausser les cartes de navigation qu'à faire avancer le navire. Je travaillais à cette période comme avocat à temps plein sur l'affaire de Mantes-la-Jolie. L'audience s'ouvre le 28 septembre devant la cour d'appel, dans une ambiance interne totalement explosive. figurer ou non au Comité central. Je n'étais d'ailleurs pas personnellement en cause. L'objectif était de donner au président Le Pen un avertissement en bonne et due forme, et de démontrer la capacité de Mégret à infléchir le vote. C'était tombé sur moi parce que j'étais la fille, et plus la victime collatérale était proche, plus l'avertissement prenait de valeur. Autant dire que je n'en ai pas fait une jaunisse, mais mon arrivée dans l'appareil du Front se faisait donc au pire moment. J'étais comme un gamin parti faire ses classes, paquetage bouclé par maman, et qui se serait retrouvé le lendemain en pleine guerre et en première ligne. J'étais ignorante du fonctionnement interne du mouvement, de ses méandres, toutes choses auxquelles ne m'avaient pas préparée les militants de terrain, ni les responsables pour qui je plaidais et avec qui j'entretenais des relations individuelles. Je débarquais sur le pont du Paquebot en pleine mutinerie, à un moment où une équipe passait déjà plus de temps à saboter les machines ou à fausser les cartes de navigation qu'A faire avancer le navire. Je travaillais à cette période comme avocat à temps plein sur l'affaire de Mantes-la-Jolie. L'audience s'ouvre le 28 septembre devant la cour d'appel, dans une ambiance interne totalement explosive. 171 L'affaire de Mantes-la-Jolie mériterait à elle seule un livre, encore à écrire. Affaire en forme de guet-apens politico-judiciaire digne de figurer dans les annales et où, après des mois d'insanités, de diffamations, la cour d'appel admettra enfin que Jean-Marie Le Pen n'a en aucune façon touché et encore moins frappé Mme Peulvast-Bergal venue, « dans une chaude ambiance républicaine », l'empêcher physiquement de faire campagne. Pour pouvoir condamner Le Pen à une inéligibilité (nous sommes juste avant les européennes), des magistrats tordront le droit, le dénatureront, et considéreront que Mme Peulvast-Vergal était présente en qualité de maire dans l'exercice de ses fonctions. Or, si Mme Peulvast-Bergal était bien maire, c'était de Mantes-la-Ville et non de Mantes-la-Jolie. En outre, on ne voit pas bien en quoi il entre dans l'exercice des fonctions officielles d'un maire d'empêcher par une manifestation violente un adversaire de faire campagne. La Cour condamnera Le Pen pour « avoir invectivé avec véhémence (Mme Peul-vast) », cette invective, qui n'était même pas une injure, étant assimilée à une violence... Si les enseignants de banlieue pouvaient se voir appliquer cette jurisprudence, ils passeraient leur existence devant les tribunaux en qualité de plaignants ! Certes, excédé ? et on le serait à moins ? et 172 avisant son écharpe, mon père s'était tourné vers elle pour lui crier « on en a marre ! » C'est pourtant vrai, je dois le dire ici, qu'on en a marre de se faire donner des leçons de démocratie et de morale républicaine par les agitateurs gueulards qui nous persécutent à chaque élection et terrorisent nos électeurs et nos militants. La question qui reste en suspens et à laquelle Mme Peulvast n'a jamais cru bon de répondre, est de savoir qui était responsable de ces griffures très féminines qu'elle portait sur son décolleté alors que celui-ci était protégé par son chemisier et son écharpe d'élue. Dieu seul le sait... et Mme Peulvast-Bergal. Nous sommes donc à cette époque dans les prémices de ce qu'on appellera « la crise », « la scission », ou encore « le pu-putch » . Les phrases assassines, les coups bas, les manoeuvres tordues se succèdent, les amis d'hier se muent en ennemis féroces et virulents. Bref, l'implosion paraît déjà inéluctable. En qualité de directrice du service juridique, on me demande d'effectuer un certain nombre de vérifications dans les comptes de plusieurs structures ou associations dirigées par Mégret et, je m'en rends vite compte, travaillant au principal « pour » Mégret. J'hériterai à ce titre du surnom peu amène de « poli- 173 ciére du Paquebot» que me collent aimablement ses amis. Ce sera le premier d'une longue série... Le Pen n'a à leurs yeux plus aucune qualité. Le « chef naturel» est devenu un « despote totalitaire », « le moteur de la droite nationale » s'est transformé en « boulet », et tel responsable alsacien qui, hier encore, avec une obséquiosité dégoulinante, s'exclamait «Regarde, Jean-Marie, même les cigognes t'applaudissent » en avisant deux volatiles battant des ailes, vient expliquer doctement qu'un ami d'un ami médecin lui a confirmé que Le Pen était... sénile ! Que voulait donc Mégret ? Il faut d'abord se souvenir qu'avec Le Gallou, Blot et certains autres, ils provenaient du RPR. Certains aujourd'hui critiquent l'existence de « sensibilités » au sein du Front national, mais en réalité, les sensibilités ont toujours existé et même coexisté. La victoire de 1986 et l'arrivée de trente-cinq députés FN avaient mis ces sensibilités en sourdine. Mais déjà à l'époque, celles-ci s'affrontaient à fleurets plus ou moins mouchetés. La sensibilité nationale-catholique du secrétaire général Bruno Gollnisch agaçait le libéralisme à la Fini, mâtiné de paganisme, de Bruno Mégret. L'un craignait et, je pense, craint toujours, que le pouvoir corrompt, qu'il oblige à abandonner une certaine orthodoxie 174 politique ; Gollnisch envisage la politique à l'aune de ses fortes convictions religieuses. L'autre plaidait pour la modernisation du Front national, regrettait l'influence qu'il jugeait néfaste des catholiques militants et entendait arriver au pouvoir à la manière italienne, par un jeu d'alliances avec le RPR. Mégret c'est une sorte de Sarkozy, en somme, avec un discours plus musclé sur les valeurs. Cette divergence de vue sur le moyen terme a servi de terreau, puis nourri l'ambition et l'impatience de Bruno Mégret. Il voulait forcer Le Pen à choisir, d'où ses sollicitations réitérées pour être désigné numéro deux, donc son futur successeur. C'était très mal connaître le président du Front National que de lui réclamer, à lui qui a toujours rassemblé les différents courants du mouvement, de choisir et donc d'exclure l'un au bénéfice de l'autre. C'était aussi mal connaître l'homme politique dont le corpus idéologique ne se reconnaissait pas dans l'ultralibéralisme de Mégret, intellectuellement proche du pouvoir en place. Bruno Mégret fut assez habile pour faire croire à certains militants et cadres que Le Pen lui en voulait personnellement parce qu'il ne supportait pas la concurrence. Mais lorsqu'on a compris le fond de cette scission, 175 on ne doit pas s' étonner que Villiers récupère aujourd'hui une partie des déçus du «mégretisme» qui voient en ce flotteur droit de la majorité le bon moyen, par des alliances avec l'UMP, d'entrer enfin au Palais-Bourbon. Il n'en demeure pas moins que l'argument essentiel de la scission s'est vite transformé en « pousse-toi de là que je m'y mette ». Cette guéguerre eut du reste une constante : dans la bataille menée contre Le Pen, nous, ses filles, étions une fois encore une cible idéale. Tout fut dit de mon père par les amis d'hier, mais un axe était d'atteindre son image auprès des militants et des adhérents. Mégret et ses camarades développèrent donc à l'envi le thème du népotisme, comme quoi les hommes changent mais pas les armes... Comme au bowling, le but consista alors à dégommer non seulement la quille du milieu mais aussi toutes celles qui se trouvaient autour. Partant de là, amis, soutiens, gendres, femme et a fortiori filles, se devaient d'être salis, décrédibilisés. Ainsi ? Marie-Caroline ayant été épargnée grâce à son compagnon, bras droit de Mégret ? Yann et moi étions devenues des gourdasses surpayées, blondes sans cervelle qui se faisaient les ongles toute la journée, n'avaient jamais milité et étaient scandaleu- 176 sement imposées par leur père. L'accusation ? elle reviendra plus tard dans d'autres bouches, preuve d'un manque certain d'imagination ? était lancée : nous assistions à une « dérive monégasque » ! La réalité était bien entendu toute autre. Yann travaillait depuis dix ans au service de presse du Front, puis aux grandes manifestations où elle avait toujours, avec discrétion, fait la démonstration de ses compétences, de son sérieux et de ses talents. Elle avait juste eu l'audace d'épouser Samuel Maréchal, déjà directeur national du FNJ ? le Front national de la jeunesse ? qui était donc devenu, suprême menace, « le gendre ». Quant à moi qui avais, à la différence d'autres, exercé une profession libérale, je ne comptais pas la paresse parmi mes multiples défauts et j'eus l'occasion, grâce à la crise, de le démontrer. Les mois de 1999 furent difficiles. La scission entérinée après le fameux conseil national du 5 décembre 1998, lequel avait vu une partie des cadres conspuer Le Pen, nous vécûmes de longues semaines de querelles politiques. Chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles, telle fédération passée à l'ennemi, telles permanences du FN fermées aux «légalistes» (soutien de Le Pen), les comptes en banque du Front national bloqués et jusqu'à Mégret qui, s'étant attribué le 177 logo et le nom, se déclare à la suite du Congrès de Marignane, « président du Front national » ! Ayant en charge le service juridique, mon adjoint et moi n'avons pas chômé et avons eu à gérer rien de moins qu'une centaine de procès. Paradoxalement, cette épreuve nous a unis, ce combat côte à côte dans le bastion qu'était devenu le Paquebot a été une leçon d'amitié et de courage politique. Plus personne n'était chef de ceci ou responsable de cela. Nous étions tous des soldats, ne rechignant à aucune tâche tant il y avait à faire. Le Paquebot gardait les lumières allumées dans ses coursives jusque tard dans la nuit. Nous répondions aux sympathisants inquiets, déboussolés et menions la contre-offensive contre ce qui nous apparaissait comme une trahison atroce. Beaucoup, dans cette guerre fratricide, ont perdu des amis ; des familles se sont retrouvées éclatées, le père chez Le Pen, la mère chez Mégret. Même notre propre famille n'en sortit pas indemne. Marie-Caroline, ma soeur aînée, s'éloigna de nous et choisit l'autre camp. Mais cette crise permit aussi à certains de sortir du lot, de faire remarquer leur talent et leur ténacité. Ce fut le cas par exemple de Louis Aliot qui devint, à cette époque, directeur de cabinet de Jean-Marie 178 Le Pen, pour être nommé il y a quelques mois, secrétaire général du Front national. Nous avons tous eu très peur. D'un coup, notre parti s'est trouvé en grand danger. C'est le combat d'une vie entière qui, pour certains, était menacé. Tous les sacrifices que nous avions consentis auraient donc été vains, car si nous n'avions pas remporté cette bataille de la scission, comme l'a démontré la suite, le Front national serait mort.  ceux qui sont des découragés perpétuels, des fatigués de naissance, des pessimistes' congénitaux, mon père donna là encore une belle leçon de ténacité et de persévérance, ne cédant pas un pouce de terrain au cours de ces longues semaines où la classe politique et journalistique nous avait déjà enterrés. Et à vrai dire s'il n'y avait pas cru, nous n'y aurions pas cru non plus. J'ai la chance d'avoir une santé insolente, car tout au long de ces mois de janvier, février et mars 1999, au plus fort de la crise, ma grossesse suivait logiquement son cours et mon ventre prenait des proportions inquiétantes. Je priais tous les jours pour que ce que l'on raconte sur les émotions que l'on transmet au foetus soit faux. Car alors mes jumeaux naîtraient avec une dose de stress historique ! Jehanne n'avait que huit mois et, de surcroît, refusait obstinément de faire ses nuits, ce qui réduisait encore mon temps de sommeil. Quelques jours avant l'accouchement, il fallut bien que je renonce à venir au bureau, le volume de mon ventre rendant mon équilibre précaire. Par sécurité pour les bébés, il avait été prévu de les mettre au monde à huit mois, le risque de mortalité pour les jumeaux montant en flèche le dernier mois de grossesse. Hélas, probablement secoués par mon activité forcenée pendant la grossesse, les jumeaux refusaient de mettre la tête en bas ! C'est donc par césarienne que Louis et Mathilde viennent au monde le 7 avril 1999. Leur soeur aînée a dix mois et demi et elle ne marche pas encore. Nous sommes d'ailleurs passés à côté d'un drame : si Louis a déjà une carrure de rugbyman, ma fille Mathilde avait cessé de s'alimenter et ne pesait que 1,6 kg. Emmenée dès la naissance par le Samu pédiatrique dans un service de néonatalité situé dans un autre hôpital, elle ne prendra la route qu'après un bisou de son grand-père qui a insisté pour la voir dans l'ambulance avant son départ. Je ferai l'aller-retour tous les jours avant qu'on ne me la rende deux semaines plus tard : je jubile, elle pèse enfin deux kilos. 180 Des semaines qui suivirent la naissance des jumeaux, je n'ai que des souvenirs fragmentaires. Je me revois étourdie d'amour pour mes tout-petits, mais hagarde et épuisée. Jehanne se réveille trois fois par nuit, les jumeaux toutes les trois heures, et jamais au même moment... Je suis noyée dans les couches et les biberons, à raison d'au moins neuf par nuit. Je ne dors au début que par tranche de vingt minutes, j'ai l'impression d'être un automate. Mon père m'a gentiment offert une dizaine de nuits de baby-sitting que je consomme à la cadence de deux par semaine, les jours où je n'en peux plus. Huguette Fatna, mon amie martiniquaise responsable au FN des Dom Tom, et avec qui j'ai fait dès dix-neuf ans mes premières campagnes électorales, marraine de Mathilde, vient m'aider tous les soirs. Si elle n'avait pas été là, j'aurais très sûrement plongé. Ma soeur Yann, qui a toujours été à mes côtés, est évidemment très présente en ces moments difficiles. Et mon couple va mal... Je n'en oublie pas pour autant que la date du procès « au fond », nous opposant à Mégret, arrive à grands pas. Si nous perdons nous sommes perdus ! Le Front est dans une situation financière dramatique car Mégret a fait suspendre le versement de la subvention. Nous ne pouvons plus payer les permanents et parons au plus pressé, au prix d'acrobaties inimaginables. Et si nous perdons le procès, nous devrons abandonner le nom Front national, le logo, tout... Je tente de me rassurer en me disant qu'il est juridiquement impossible de perdre, tant les violations du droit commises par Mégret sont nombreuses. Mais au fond de moi, je suis bien placée pour savoir que la justice que l'on applique à Le Pen n'est pas toujours celle que l'on applique aux quidams ; les enjeux politiques sont si grands que nous ne sommes pas à l'abri d'un coup de Jarnac. Le 11 mai, aux aurores, je suis au Paquebot et l'attente commence, interminable. A l'heure dite, coup de fil : « On a gagné ! » J'appelle immédiatement mon père qui est en Haute-Savoie, chez mon copain Dominique Martin, en train de faire un déjeuner-débat. «On a gagné!» lui dis-je. Il répercute, soulagé, à l'assemblée, et j'entends alors les cris de joie des militants qui me parviennent par le combiné... Je pleure. Je pleure de soulagement, de ces mois de tension accumulée, de fatigue, de joie. Je pleure pour cette justice qu'on nous a si souvent refusée et que l'on nous accorde peut-être au moment oit nous l'attendions le moins. Je songe à l'une des plus célèbres répliques d'Au- 182 diard : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge. Pour y croire, il faut la voir de temps en temps. » J'ai à nouveau envie d'y croire. Tous les permanents sont partis en voiture klaxonner sous les fenêtres du siège de Mégret. Je suis restée au Paquebot pour répondre à la presse. Quelques ronchons ont critiqué cette initiative bruyante de nos amis, mais moi je les comprenais : nous en avions tellement bavé... Ce jour-lâ, par dizaines, nous sommes allés chercher Le Pen à l'aéroport, drapeaux au vent et dans un tonnerre d'applaudissements, nous avons débouché le champagne dans l'aéroport, sous les yeux ahuris des voyageurs. Nous avons fini cette belle journée par un dîner sur une péniche, avec tous les militants qui nous avaient spontanément rejoints. C'est-à-dire... en famille ! Ayant sauvé juridiquement la maison, il s'agissait maintenant de la sauver politiquement. Les élections européennes de 1999 seraient le test : il fallait à tout prix non seulement battre la liste MNR conduite par Mégret, mais aussi passer la barre de 5 % des suffrages qui nous permettraient d'être représentés et remboursés. Ces considérations financières peuvent paraître mineures ou vénales mais elles sont le nerf de la 183 guerre. Or, le Front national est inégalement traité puisque, interdit de députés à l'Assemblée par des modes de scrutin iniques, il se voit par là supprimer la moitié de sa subvention d'État. Un autre souci, et non des moindres, est que Mégret a surfé sur l'ambiguïté durant des mois, en appelant son mouvement FN-MN, puis MNR. Beaucoup de nos électeurs ne voient pas encore bien la différence entre les deux. Cette élection européenne est donc à haut risque. En juin 1999, les résultats tombent : FN 5,70 %, MNR 3,28 %. C'est gagné. Nous avons eu chaud. Un résultat inverse aurait probablement enterré durablement le Front national. Dès lors, tout reste à reconstruire mais au moins les fondations de la maison tiennent encore debout. Il faut se retrousser les manches. Nous avons perdu pas mal de cadres et de militants et nous mettrons de longs mois à consolider une structure incontestablement affaiblie. On ne peut, in fine, que pleurer sur le temps précieux que nous aura fait perdre cette opération Mégret. 184 Chapitre X Mère célibataire Août 1999. Je suis à La Trinité avec mes trois bébés. Jehanne a quinze mois et marche enfin ; les jumeaux, âgés de quatre mois, font à peu près leurs nuits. Mon mariage va de plus en plus mal. De retour à Paris en septembre, leur père et moi nous séparons. Les circonstances extrêmement pénibles qui présideront à cette décision n'appartiennent qu'à lui et moi. Le divorce est inéluctable et il ne se passe pas bien. C'est un terrible constat d' échec. Je voudrais toutefois dire ici qu'il n'était évidemment pas facile d'être le petit ami, puis le mari de Marine Le Pen. De cela je suis tout à fait consciente. En règle générale, il faut même bien admettre que mon statut de fille Le Pen a pesé d'un énorme poids 185 sur les hommes qui ont traversé ma vie. Car partager ma vie, c'était assumer tout ce dans quoi je baignais avec plus ou moins d'aisance, ou de souffrance, depuis l'enfance : l'attentat, le détail, les campagnes électorales, Carpentras, les tortures, la mère à poil dans Playboy et tutti quanti. Alors, sortir avec la fille Le Pen, l'emmener chez des amis, la présenter à son cercle familial... cela requiert un tempérament d'acier. De mon côté, loin de choisir la voie apparemment la plus simple qui aurait été de puiser mes relations dans le milieu du Front national, je m'évertuais, au contraire, à aller les chercher ailleurs. Façon sans doute de me rassurer en compliquant les choses : ce n'est pas parce que j'étais la fille de... que j'attirais l'intérêt ou la sympathie. C'était terriblement pesant pour ceux ? amis ou amours ? qui disaient « Marine, je l'aime beaucoup, mais le reste, non merci, c'est trop lourd à porter ! » C'est, de fait, un poids que mes soeurs et moi avons toujours traîné. Cela nous a forgées différemment des autres, avec un risque toutefois : celui de trop s'endurcir. Car tout le problème est là : s'endurcir à la douleur, c'est s'endurcir aussi à la douceur. L'armure ne laisse pas passer la lance, mais elle ne laisse pas passer la caresse non plus. Dieu merci, le temps effaçant les blessures, nous 186 avons retrouvé depuis des relations apaisées et amicales, toutes tournées vers l'intérêt supérieur de nos «triplés ». En attendant, me voilà mère célibataire avec les inquiétudes inhérentes à cette situation, dont je sais par avance qu'elle est très difficile. Vais-je réussir à élever correctement mes enfants ? Ai-je le droit de les priver d'un équilibre organisé autour d'un papa et d'une maman ? Est-ce que je leur donne assez d'amour ? Assez de temps ? Et tout simplement : suis-je à la hauteur ? Je continue de travailler, bien sûr. Je ne peux pas faire autrement, et, âgés maintenant de six mois et un an et demi, mes enfants ne sont de toute manière pas près d'aller à l'école... Je vivrai ainsi dix-huit mois, jonglant en permanence entre le boulot, les courses, les enfants et ce fichu sentiment de culpabilité planté dans le coeur de toute mère qui chaque matin doit résoudre l'équation : « Pour les élever, il faut que je gagne ma vie ? pour gagner ma vie, il faut que je travaille ? si je travaille, c'est quelqu'un d'autre que moi qui va les élever. » C'est encore très difficile, les petits ne sont pas du tout autonomes mais déjà extrêmement exigeants, chacun usant de mille stratagèmes pour attirer mon attention et monopoliser câlins et tendresse. 187 Mes proches sont toujours très présents, mais le soir, quand chacun rentre chez soi, la pesanteur de la situation s'impose parfois à moi de manière cruelle. C'est au cours de cette période que je vais rencontrer mon second mari qui, malgré la réticence initiale des enfants, prendra au fil des mois toute sa place dans ma famille décomposée et recomposée. Ce n'est donc plus trois mais quatre enfants qu'il faudra caser dans la voiture, Éric ayant, d'un premier mariage, une petite fille de dix mois plus âgée que Jehanne. La naissance des petits, mon divorce, cette période seule avec eux me rendit quasi « féministe », tant il est vrai que les femmes ont vraiment du courage, que leur situation est souvent et objectivement bien plus difficile que celle des hommes. Les femmes sont en effet soumises à la « double peine » : un travail souvent prenant et une vie de famille à mener, le tout avec le sourire s'il vous plaît ! Quand on est une femme, les trente-cinq heures on ne connaît pas. Les nuits entrecoupées par telle ou telle gastro (quand ils sont trois à être malades en même temps, croyez-moi, c'est sportif !). Il n'y a pas une minute pour soi ; levée tôt le matin, couchée tard le soir, et l'immense responsabilité de donner à ces 188 petits non seulement de quoi manger, mais encore de leur cheviller au coeur jour après jour les valeurs, les règles, les qualités qui en feront des adultes équilibrés, heureux et bons... Quand on connaît cette difficulté, on ne peut qu'être ahuri à l'écoute des divers hommes politiques qui, chaque jour avec condescendance, viennent pérorer sur la liberté des femmes à travailler. Ont-elles encore le choix de ne pas le faire ? Parmi les innombrables caricatures faites du Front national, il en est une qui m'irrite au plus haut point. C'est celle qui consiste à faire croire que le FN voudrait renvoyer les femmes à la cuisine et aux enfants, leur interdisant en quelque sorte de travailler. Or, toute ma jeunesse mon père nous a dit, à mes soeurs et à moi : « Travaillez ! Ne dépendez de personne ! Soyez autonomes. » Orphelin à 14 ans, il n'a dû la possibilité de monter à Paris pour faire des études qu'à sa condition de pupille de la nation et au travail acharné de sa mère qui, à la disparition de son époux, s'était installée comme couturière pour continuer à les faire vivre décemment, elle et lui. Il en a gardé l'idée qu'une femme peut se retrouver seule quelles que soient les circonstances qui le provoquent, et qu'il faut qu'elle puisse s'en sortir sans dépendre d'un mari. 189 La proposition faite par le Front national d'un salaire parental qui permettrait à la femme ou au mari de toucher durant plusieurs années l'équivalent du SMIC à partir de trois enfants n'a en aucune manière pour objectif d'empêcher les femmes de travailler, mais bien de leur donner la possibilité de ne pas le faire. Or aujourd'hui, il est rare qu'un seul salaire suffise à faire vivre une famille nombreuse, et j'ai connu maintes jeunes femmes qui auraient bien voulu se consacrer à eux pendant quelques années plutôt que d'être obligées de travailler pour payer, de surcroît, les frais de garde. Aujourd'hui, la question que de nombreuses femmes se posent n'est donc pas : « Ai-je la liberté de travailler ? », mais bien « Ai-je la possibilité financière de ne pas le faire pour rester avec mes enfants ?» Ceux qui n'ont pas vu ni compris cela sont totalement déconnectés de la réalité économique et sociologique de notre pays. De plus, la surcharge objective de travail et de responsabilités entraîne aujourd'hui pour beaucoup de femmes un véritable isolement affectif. Le temps étant souvent consacré exclusivement au travail et aux enfants, où caser une activité artistique, une passion, du sport, une soirée entre amis même, 190 lorsque faire garder les enfants coûte entre 6 et 15 euros de l'heure ? Lorsque mes enfants étaient plus petits, souvent les journalistes me posaient la question : « Avez-vous des hobbies?» Je les regardais avec des yeux ronds ! Quand et comment aurais-je pu exercer mes loisirs, alors que mon métier, la politique et mes enfants, me prenaient à l'époque l'ensemble de mon temps ? Pour moi, trouver une demi-heure pour se prélasser dans un bain moussant tenait déjà de l'exploit ! Et cela alors même que ma situation matérielle était largement plus reluisante que celle de beaucoup d'autres mères de famille. Lorsqu'on a fait ce constat, on a beaucoup plus de tolérance et de compréhension à l'égard du développement exponentiel de sites de rencontres comme Meetic, tant il révèle souvent beaucoup plus la difficulté de la solitude que l'envie de la gaudriole. On peut maintenant se poser la question : n'en est-il pas de même pour l'avortement, présenté dans les années soixante-dix comme le summum de la liberté ? Celle de disposer de son corps s'appuyait, elle, sur l'affirmation suivante : les femmes doivent pouvoir avoir le choix d'avorter. Qu'en est-il aujourd'hui ? 191 La réalité, c'est que beaucoup n'ont plus le choix de ne pas le faire. L'avortement est un drame, la très grande majorité des femmes le sait. C'est un drame personnel, loin d'être l'acte anodin que l'État a prétendu en faire depuis trente ans. Et même si, incontestablement, il existe des femmes qui se servent de l'avortement comme d'un mode de contraception, une facilité remboursée par la Sécurité sociale et qui n'ont pas une once de conscience de leur geste, c'est une part infime de celles qui y ont recours. Pas une femme n'en connaît une autre qui, passée par là, n'en soit sortie le coeur et parfois même encore le corps brisé. Celles-ci, vous remarquerez, n'en parlent jamais, la simple évocation en étant douloureuse et l'oubli préférable. Et lorsqu'elles en parlent, c'est pour dire : « Mon enfant aurait cinq, quinze, trente-cinq ans... » On m'a tant de fois posé la question : «Êtes-vous pour l'avortement ? », et j'ai maintes fois répondu : « Qui est "pour" l'avortement ?» En effet, qui peut se réjouir que trente ans après la promulgation de la loi Veil, deux cent mille femmes se fassent encore avorter chaque année dans notre pays ? Qui ne voit pas la somme de souffrances et les décisions cornéliennes qui président souvent à ce drame ? 192 ~ J'ai dit qu'il fallait tout mettre en oeuvre pour réduire au maximum le nombre des avortements et qu'il m'apparaissait inefficace et cruel de le faire par des mesures coercitives, ce à quoi tendrait la suppression autoritaire de la loi Veil. Je pense que c'est par des mesures incitatives, évidemment doublées d'une vraie politique d'information et de prévention auprès des adolescentes, qu'il faut lutter contre l'avortement. Et l'on en revient là encore à la question du choix. J'affirme que beaucoup de femmes n'ont simplement pas le choix, qu'elles n'ont pas la possibilité de garder leur bébé. Or, elles voudraient avoir ce choix. Des études ont démontré que plus de la moitié des femmes françaises aimeraient un enfant supplémentaire. Les dirigeants politiques, par leur aveuglement et leur incompétence, ont rendu ce choix impossible. Je suis convaincue que le cas de « la jeune fille mineure victime de son premier rapport non protégé et qui recourt à l'avortement » est une image d'Épinal. Je sais, tout le monde sait, qu'une majorité de femmes doit se résoudre à ce choix terrible pour des raisons économiques et qu'il concerne beaucoup plus souvent le deuxième, le troisième ou le quatrième enfant que le premier. L'inquiétude face à l'avenir, le risque de chômage, la précarité, les logements sociaux impossibles à 193 obtenir, représentent autant de fléaux qui poussent à la peur du lendemain et donc à l'avortement. Car pour nombre de mères, l'inquiétude est vive de savoir dans quel monde nous allons élever nos enfants et si nous pourrons toujours leur offrir le meilleur. C'est en quoi la responsabilité des gouvernants est immense d'avoir refusé pendant des années de tenir compte de cette réalité, sans donner à ces femmes un quelconque choix, c'est-à-dire la possibilité éventuelle de refuser l'avortement en leur accordant les moyens d'assurer à leur enfant un avenir correct. Le respect de la vie est une donnée fondamentale des sociétés humaines mais ce constat fait, on laisse le soin aux femmes de se débrouiller avec le quotidien. Les hommes aussi d'ailleurs devraient se sentir un peu plus concernés, car les exemples oit ils tournent les talons à l'annonce de la grossesse sont encore fréquents, trop fréquents. Quid, dans ces conditions, de la liberté du choix ? Ne doit-on pas s'interroger en priorité sur celle des femmes qui sont obligées d'avorter, ou qui pensent l'être ? N'est-ce pas à leurs côtés et pour leur redonner la chance de garder leur enfant, qu'il faut aujourd'hui mener le combat ? 194 Chapitre XI Les escrocs de l'espérance Bien sûr, la vie m'a réservé des épreuves affectives, plus que d'autres, moins que beaucoup, mais à l'évidence je suis matériellement une privilégiée. En arrivant comme élue dans le Nord-Pas-de-Calais, la pauvreté, la vraie, je l'ai touchée du doigt. Nord-Pas-de-Calais, terre sinistrée. Cette puissance industrielle brisée, ces plaines désertées par l'activité, laissant derrière elles la vraie misère et quelques terrils... Pas la misère des banlieues en difficulté sous la loupe et les pleurnicheries permanentes de la classe politique. Non, la misère épaisse et muette des corons. Ce département a pris de plein fouet tous les fléaux : déscolarisation, alcoolisme, chômage, obésité, pauvreté, délocalisations... Les centaines de petites maisons dans des ruelles aujourd'hui désertes 195 qui voyaient hier rentrer les hommes de la mine. J'y ai vu des vieilles veuves de mineurs dans des maisons délabrées, les toilettes dehors, l'électricité pas toujours, l'humidité qui suinte des murs, les jours sous les fenêtres vermoulues qui laissent passer le froid mordant. Et ces petites vieilles qui, fatalistes, expliquent que les maisons ont été payées par le sang et la sueur de leur défunt mais que les autorités attendent de les récupérer après leur mort pour les réhabiliter et les revendre ou relouer à de jeunes couples. Et les élus de gauche, nouveaux roitelets pérorant sur le danger du Front national en ces terres ravagées ! Bien sûr, dans ces circonscriptions détenues par les socialo-communistes depuis soixante ans, l'échec de cette gauche moralisatrice saute au visage. Bien sûr, le peuple est en train de leur tourner le dos, et il a bien raison de le faire. Bien sûr, le roi socialiste est nu et seuls les imbéciles et les « gamellards » s'extasient encore sur la pourpre et l'or de son habit. Pas de stades ici, ni de cinémas, pas de médiathèque, de « projets citoyens » pour ces Français qui ne réclament rien. Pas de discrimination positive pour les anciens bassins industriels, qu'ils soient du Pas-de-Calais ou de Lorraine, ni pour les anciennes 196 régions agricoles de Bretagne... Pas de colonie de vacances payée par les contribuables, pas de croisière de réinsertion et pas de « politique de la ville » dispendieuse et ruineuse pour ces campagnes. Pas assez de plaintes, pas de réclamation de ces gens du Nord si chaleureux et hospitaliers, si pudiques, trop pudiques, sur leurs difficultés. La gauche, en se substituant aux catholiques sociaux, a pendant longtemps représenté un espoir sincère pour les plus modestes, les travailleurs, les ouvriers, ceux qui n'avaient plus aucun privilège, ni de naissance ni de fortune. Les grands principes sur l'égalité sociale, la solidarité, la défense des femmes, l'école, les valeurs de la République, la gauche les a tous trahis et a trahi en cela le peuple chez lequel elle avait fait naître l'espérance. Alors qu'elle avait fait croire qu'elle voulait élever l'homme par l'intermédiaire, notamment, de ses instituteurs (qui « mettent l'homme debout »), elle a, en détruisant l'école, mis des générations entières à genoux. En refusant à tout prix la promotion au mérite qui était l'un des grands espoirs des pauvres pour s'élever dans l'échelle sociale face à ceux plus aisés qui, grâce à leur fortune, avaient d'autres moyens pour y parvenir, elle a trahi la véritable égalité des chances : celle offerte au travail et au 197 talent. En cassant un fantastique ascenseur social, elle a laissé les moins aisés au rez-de-chaussée sans espoir de jamais y grimper. En soutenant aveuglément une immigration sauvage et débridée, elle s'est fait la complice de ce grand capital qu'elle fait mine de dénoncer. Le grand capital qui, dés les années 70, avait vu dans la venue en masse de travailleurs peu qualifiés, un fantastique moyen de faire pression à la baisse sur le travail manuel des Français. Déjà, la mise en concurrence sauvage profitait aux patrons. La mondialisation, enfant chérie de la gauche internationaliste, est évidemment la mort des classes populaires. Le nouvel esclavagisme, c'est l'immigration, y compris en provenance des pays de l'Est. Que valent les discours et les promesses de revalorisation des salaires au moment où le SMIC français représente dix fois le salaire que peut espérer un Polonais, et cent ou deux cents fois plus que celui d'un Malien ou d'un Chinois ? Qui peut croire que l'arrivée sur le marché de travailleurs étrangers pour qui le SMIC est une petite fortune va contribuer à la hausse des salaires ? Qui ne voit pas qu'en continuant ainsi, le salaire minimum va devenir un salaire maximum ? Comment les syndicats peuvent-ils encore plas- 198 tronner alors qu'ils trahissent ceux qu'ils sont censés défendre ? Qui ne se rend compte qu'en réclamant toujours plus de privilèges exorbitants pour toujours moins de travail, ils ont assassiné peu à peu les services publics, et se sont faits les complices objectifs des privatisations, issue naturelle du gouffre qui finit par se creuser entre service public et privé en terme de compétitivité. Qui ne voit pas qu'en Corse, par exemple, la disparition de la SNCM (Société Nationale Corse- Méditerranée) et donc la rupture de continuité territoriale et les licenciements qui ont suivi, sont de la responsabilité exclusive des syndicats et la conséquence inéluctable de leurs excès et de leur surenchère, les 30 millions d'euros de pertes qu'accusait l'entreprise étant la conséquence directe des conflits sociaux qu'ils avaient déclenchés ? Comment ne pas se rendre compte qu'en imposant les 35 heures ou la retraite de plus en plus tôt, la gauche fait un chèque en bois à nos compatriotes et interdit aux plus démunis qui le souhaiteraient de travailler plus pour gagner plus, les maintenant ainsi inexorablement la tête sous l'eau, leur interdisant de ce fait de construire pour leurs enfants un avenir meilleur que le leur ? La gauche est devenue le défenseur des nantis, de ceux qui peuvent envoyer leurs enfants dans des 199 écoles privées, là où ils pourront échapper aux ravages de la massification et au nivellement par le bas ; défenseur aussi de ceux qui peuvent échapper à une fiscalité confiscatoire en délocalisant leurs capitaux pendant que les plus démunis sont, eux, condamnés à rester. Son électorat n'est plus constitué que de diplômés, de bourgeois-bohèmes, ceux qui ont squatté les quartiers populaires pour y aménager des duplex dans des bâtiments d'usines ou d'anciens ateliers, choix hautement symbolique quand on prétend « faire peuple » tout en nageant dans le luxe, comme si cela pouvait racheter leur responsabilité dans la disparition des emplois industriels ! L'habit de prolétaire est aujourd'hui une défroque qu'on enfile pour faire mode, et les usines ne sont plus que des « lieux de vie » branchés pour ceux qui n'ont jamais mis les mains dans le cambouis. La gauche a trahi la cause des femmes en se faisant la complice d'une immigration qui a importé, aussi, l'islamisme avec elle, et les renvoie à une condition de soumission inconnue jusque-là en Occident. Qui peut croire à ses promesses de promouvoir la parité, de lutter contre les différences de salaire entre hommes et femmes quand, dans certains quartiers, disparaît jusqu'à la liberté de marcher tête nue ou de porter une jupe ? Quand il faut aux femmes un cha- 200 peron pour sortir ? Quand, dans l'indifférence générale, on apprend que sont célébrés 70 000 mariages forcés par an, ou pire encore, quand on commence à se livrer aux « crimes d'honneur » en France ? La gauche, enfin, a trahi tous les principes de la République française, transformant l'égalité entre citoyens français en une chimérique et utopique égalité entre les hommes du monde entier ; en sacrifiant la laïcité sur l'autel d'un communautarisme démagogique et électoraliste. Elle a même trahi Keynes dont les principes ne se justifiaient que dans un espace économique fermé par des frontières. En combattant de toutes ses forces toute notion d'ordre, en se faisant le promoteur du chaos, de la désobéissance, en justifiant inlassablement la délinquance au nom de la misère sociale, elle a créé des armées de victimes, y compris dans les rangs de l'Éducation nationale où nombre d'enseignants ne recueillent plus aujourd'hui dans leurs classes que le mépris et de plus en plus souvent les coups, traités qu'ils sont à l'instar de la petite vieille avec son sac, c'est-à-dire comme une proie. La gauche est le complice objectif des délocalisations qui laissent nos ouvriers sur le tapis, du libéralisme le plus cynique, de l'immigration qui ruine notre système de protection sociale, de la transfor- 201 mation des citoyens en consommateurs, de la disparition, enfin, de la Nation qui, comme le disait Jaurès, « est le seul bien de ceux qui n'en ont pas ». Cette même Nation que la droite a aussi trahie de toutes les manières, elle qui pourtant se présentait, digne héritière de de Gaulle, comme son défenseur. Cette droite qui, depuis la mort du Général, n'a eu de cesse de trembler devant l'idéologie de gauche, tétanisée comme un lapin dans les phares d'une voiture. Incapable de défendre les valeurs des hommes ? honnêteté, éthique, courage, justice, responsabilité individuelle ? mais incapable aussi de défendre les valeurs de notre pays : droit du peuple à disposer de lui-même, gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, liberté d'entreprendre, liberté tout court, fierté de notre histoire, de notre grandeur, de notre destin. Droite qui, en un demi-siècle, est passée de l'Appel du 18 juin à une mauvaise publicité pour le Kârcher®. Cette droite qui a laissé tous les attributs de notre Nation, son hymne, ses symboles, sa langue, son drapeau, sa monnaie tomber dans le caniveau, repro- chant après au Front national de les y avoir ramassés ! Cette droite qui n'en peut plus de s'excuser d'une histoire de France pourtant glorieuse, battant sa 202 coulpe à la moindre occasion, avançant de repentance en repentance, et qui a le culot de verser aujourd'hui des larmes de crocodile sur cette «jeunesse qui n'aimerait plus la France » ! Cette droite qui a abandonné, avec le dernier souffle du Général, le grand souffle de la France éternelle, pour limiter ses ambitions à ne pas perdre les élections. Qui ne sait plus où elle va, ni pourquoi elle y va ; qui, de scrutin en scrutin, n'a plus rien à proposer sinon battre le Front national et qui, lorsque par hasard elle est au pouvoir, passe son temps à faire des réformettes qu'elle s'empresse le plus souvent de retirer sous la pression de l'extrême gauche. Une droite qui envoie une délégation en Grande-Bretagne le jour-anniversaire de la défaite de Trafalgar et refuse d'organiser la moindre commémoration pour la victoire d'Austerlitz ! Comment les Français peuvent-ils lui accorder ne serait-ce qu'une once de crédit alors qu'elle a tant et tant de fois démontré son incompétence ? Comment peut-elle encore oser dire qu'elle peut changer les choses alors qu'elle en a, jusqu'à aujourd'hui, été strictement incapable ? Comment est-il possible que les Français ne se rendent pas compte qu'ils sont « des lions dirigés par des ânes » ? Le peuple français, qu'il vote à droite ou à gauche, 203 ne voit-il pas le fantastique paradoxe auquel conduit une analyse globale du système économique mondial ? Jusque dans les années 1980, alors que les théories marxistes dominaient en grande partie la réflexion économique et intellectuelle et s'incarnaient dans des États socialistes, il suffisait d'un simple constat de la réalité pour démontrer l'absurdité des prévisions de Marx. Contrairement à celles-ci, qui tenaient pour certaine une paupérisation constante des travailleurs, le développement économique produisait au contraire l'enrichissement général des populations, une extension massive de la classe moyenne assortie d'une élévation du niveau de l'éducation. À cela s'ajoutait l'expansion continue de petites entreprises créatrices d'emplois et réellement pourvoyeuses de progrès techniques et technologiques. Malgré une exploitation forcenée des richesses de la planète, certes dans un réel mépris de l'écologie ? mais elle n'existait pas alors en tant que « valeur » ?, on pouvait néanmoins affirmer que l'économie était bien « au service de l'homme ». La décennie 1990 vit s'opérer un renversement total de la situation, renversement dont les effets avalisent aujourd'hui de manière surprenante les thèses marxistes. En effet, une concentration de plus en plus forte 204 des entreprises, par le biais des regroupements et des fusions, a entraîné une importante diminution des postes de travail et a créé une concurrence insupportable pour les PME-PMI ; lesquelles, écrasées de charges, créent moins d'emplois et, faute de pouvoir investir dans la recherche, créent aussi moins de brevets. Quand elle ne sont pas rachetées, si d'aventure elles en produisent encore. On assiste à la création de monopoles mondiaux totalement détachés des États nationaux, détruisant ceux-ci et les cultures qui leur sont associées au profit d'un marché universel où le consommateur, isolé et sans protection, remplace le citoyen enraciné dans son pays et en principe protégé dans ses intérêts essentiels par son État-Nation. C'est cette forme de mondialisation qui, par de multiples aspects, ressemble à z< l'impérialisme, stade suprême du capitalisme » dont Marx projetait l'avènement. Se construit alors un système économique dirigé par des gestionnaires qui ? à l'inverse des petits patrons ? n'engagent pas leur fortune personnelle et n'assument aucune responsabilité pécuniaire de leurs erreurs de gestion, alors que leurs performances sont bien inférieures à celles des gérants-propriétaires des entreprises (± 20 % de différentiel de croissance !). On est ainsi passé d'une économie d'entrepre- 205 neurs à une économie de fonctionnaires de la gestion, entraînant un renversement qui ne met plus l'économie au service de l'homme, mais place au contraire l'homme au service d'une économie qui, de surcroît, ne produit plus d'emplois et crée donc moins de richesses pour la classe moyenne. Celle-ci se paupérise chaque jour davantage sous l'effet conjugué des délocalisations, de la concurrence internationale et de la révolution technologique. Cette dernière, qui a pour conséquence la rationalisation et la modernisation de la production, produit aussi ses effets pervers, entraînant notamment la mise au rancart des seniors et l'inadaptation d'une part croissante de la population, insuffisamment ou mal formée pour affronter les défis du futur. En Europe et plus particulièrement en France, les classes dirigeantes, arguant de leur prétendue compétence, se sont arrogé pendant des années le bénéfice de la croissance qui, en réalité, s'effectuait malgré elles pendant «les Trente glorieuses ». Mêlant une fausse gauche qui a trahi les idéaux de défense des exclus, idéaux qui faisaient son honneur, à une droite qui, elle, a depuis longtemps abandonné la défense des valeurs et des principes qui faisaient son armature, les dirigeants politiques sont devenus 206 de simples auxiliaires d'un système économique qui leur échappe. Il est grand temps de s'apercevoir que la politique n'est plus l'art de défendre les intérêts supérieurs des peuples, mais un moyen technique de placer les hommes en situation de consommateurs captifs d'un « Marché » incontrôlé, nouveau Léviathan des temps modernes qui révèle la perte de sens de nos sociétés. Je suis convaincue qu'anesthésié pourtant depuis des décennies par une classe politique incompétente masquant son incapacité à infléchir ces tendances sous un déferlement de mensonges, transformant ses échecs en succès, ses renoncements successifs en victoires, notre pays est prêt, est mûr pour renaître de ce qu'il faut bien appeler « ses cendres économiques ». Dette publique, déficit de l'État, balance commerciale, chômage : tous les voyants sont au rouge ! La seule erreur d'analyse que nous avons faite en l'espèce, c'est de penser que la France toucherait le fond plus vite. Il faut croire qu'elle était plus riche qu'on ne le supposait pour survivre encore à une situation aussi dégradée. 207 Face à cela, le Premier ministre actuel ne trouve rien à faire ni à dire, sauf à s'en prendre aux « déclinologues », c'est-à-dire à ceux qui osent dire la vérité sur le déclin français ! On a toujours accusé le Front national de surfer sur les peurs, ce qui est à peu près aussi absurde que d'accuser le médecin de surfer sur la maladie ou le plombier sur la fuite d'eau. Quand il y a une épizootie de grippe aviaire, on ne commence pas par trancher la tête des vétérinaires ! Puisque nous parlons de chiffres, il en est deux plus révélateurs encore que tous les autres : 75 % des actifs assimilent leur travail à une obligation subie, et seuls 20 % des salariés français jugent effectuer un travail utile à leur pays. Les sociétés humaines se sont construites sur la conscience aiguë de l'utilité de tous à leur fonctionnement, à leur développement, chacun apportant sa pierre à l'édifice. Pourtant, sous l'influence évidente d'une certaine gauche, le travail a été petit à petit assimilé à un esclavage, une obligation, une exploitation dont il fallait à tout prix se dégager. Ainsi, au fil du temps, l'effort n'a plus porté sur la recherche d'un épanouissement personnel par le travail, mais s'est totalement orienté vers la lutte contre l'oppression qu'il était supposé incarner. Et comme l'idéologie qui sous-tendait cette théorie de 208 l'aliénation est profondément totalitaire, elle s'est exprimée par des mesures de plus en plus coercitives et contraignantes. L'objectif imposé de travailler moins, à un moment où il est vrai que certaines conditions de travail étaient extrêmement pénibles, s'est transformé en interdiction de travailler plus. Pas le droit de travailler au-delà de 60 ans, pas le droit de travailler plus de 35 heures ? même si on le désire, même si on veut travailler plus pour gagner plus, même si pour certains, la retraite c'était la mort, même si ces évictions d'office entraînaient une perte évidente de compétences et une impossibilité à transmettre un savoir-faire, cela au détriment des jeunes générations. Il est encore plus paradoxal de constater que c'est, aujourd'hui, cette absence même de liberté qui constitue l'argument principal des ultralibéraux pour justifier les délocalisations ! Or, après avoir martelé cette idée folle du travail-repoussoir pendant des années, on s'aperçoit soudainement que l'absence de travail est éminemment déstructurante pour l'homme ! Que sans travail, beaucoup ont évidemment l'impression de n'être utile à rien et à personne, ni à la société ni à leur famille. Sans jamais répondre au fond à cette angoissante 209 question, tout a été parallèlement mis en oeuvre pour détruire la Nation, donc l'économie nationale, au bénéfice d'un mondialisme sans foi ni loi, ouvrant notre pays à tous les vents d'une concurrence sauvage et cruelle. Combien de fois n'a-t-on pas ridiculisé le Front national lorsqu'il parlait de patriotisme économique et de préférence nationale alors que, sans complexe aucun, M. de Villepin faisait mine, il y a quelques semaines, de se scandaliser de la tentative d'OPA hostile de Mittal sur Arcelor, en appelant de ses voeux à un sursaut national pour défendre les entreprises françaises ! Il s'oppose aujourd'hui au rachat de Suez par l'entreprise italienne Enel, justifiant une fois de plus les analyses du FN. Sans verser un centime de droit d'auteur ! Comme si avoir raison trop tôt, c'était une autre façon d'avoir tort. Or, la conclusion de ce double phénomène de l'abandon de la valeur travail ? assorti de ses conséquences désastreuses ? et de l'organisation de la mondialisation, a engendré sur notre sol l'économie la plus soviétisée du monde, à l'exception notable de la Corée du Nord ! Notre système est profondément perverti. Ces phénomènes ayant rendu impossible la croissance, le chômage augmente, le PIB par habitant 210 chute, la demande de protection sociale s'accroît et la gestion financière de la précarité s'alourdit. Pour financer cette augmentation, on assiste à une explosion de la fiscalité qui pèse lourdement sur les PME-PMI, lesquelles, dès lors, ne peuvent plus investir. Donc plus créer d'emplois. Victimes de cette pression fiscale, les entreprises cherchent alors à faire des marges là où elles le peuvent encore, c'est-à-dire sur les salaires. Ceux-ci n'augmentent plus, et même baissent à cause de l'arrivée sur le marché d'une main-d'oeuvre étrangère à bas coût. Cela quand les entreprises ne licencient pas ou ne se délocalisent pas, purement et simplement. La croissance ne peut pas être au rendez-vous. Or sans croissance, pas d'emplois, et une jeunesse qui déclare à 80 % vouloir être plus tard fonctionnaire ! La peur de l'avenir est ancrée et bride l'ensemble des énergies et des rêves de nos compatriotes : la peur du chômage, la peur de faire des enfants, la peur d'investir, la peur de se projeter dans le futur... Ce n'est pas le FN qui est à l'origine de toutes ces peurs, mais c'est lui qui est à l'origine d'une nouvelle espérance. Pour autant, briser ce cercle vicieux nécessite une véritable révolution intellectuelle, culturelle et économique, soit un profond bouleversement des men- 211 talités. Cela ne peut évidemment être le fait de ceux qui sont tout à la fois les créateurs et les enfants de cette spirale mortelle. Alors que 65 % des Français pensent que l'on vivait mieux il y a trente ans, les seules innovations des gouvernements successifs, depuis lors, ont consisté à mettre en place le CPE après le CNE, le RMI, l'APL, l'ALS, la CMU et pour chaque veille d'élection, le DORG (demain on rase gratis...). Offrir une espérance à notre jeunesse, rebâtir un avenir pour notre peuple, reconstruire une économie en balayant les carcans administratifs et fiscaux qui brident nos forces productives, voilà notre volonté. Tous ces escrocs de l'espérance, tous ces charlatans de la fausse science économique, si loin de la vie réelle, si éloignés de l'entreprise, si incompétents que s'ils se faisaient croque-morts on cesserait de mourir, nous ont entraînés dans une voie sans issue. L'économie, ce n'est pas des courbes ou des chiffres abstraits. Un taux de croissance ne se décrète pas. C'est le reflet de la vie ! Il n'y a pas d'économie sans optimisme, sans confiance dans l'avenir, sans idéal. Investir, c'est croire, c'est espérer que demain sera meilleur qu'aujourd'hui. Or, dans ce monde de plus en plus complexe, l'application de solutions techno- 212 cratiques, forcément parcellaires, donc aboutissant in fine au contraire du résultat espéré, a démontré amplement son échec. C'est donc à la révolution du choix et de la liberté que j'appelle notre pays. Croire en l'avenir, c'est rendre aux Français la liberté de se constituer un patrimoine, fruit de leur travail. C'est leur permettre de le transmettre en héritage à leurs enfants pour leur offrir une vie meilleure, ce à quoi les hommes se sont de tout temps attachés. Redonner à chacun la possibilité de vivre de son travail, de faire vivre sa famille en réduisant les impôts, tous les impôts, pour que la solidarité nationale ne se décline pas en un assistanat indigne de la qualité de citoyen, c'est rendre un destin à nos compatriotes. Restaurer l'économie, c'est libérer le travail de toutes ces contraintes en redonnant à chacun, femmes, jeunes, seniors, la maîtrise de la durée de son travail, de l'étendue de sa vie professionnelle. C'est redonner aux femmes le choix de travailler ou pas. C'est aussi rendre possible la création d'entreprises pour qui le souhaite, salariés, chômeurs, jeunes, retraités, et surtout d'en permettre la survie et la transmission. C'est encore fournir à chacun une formation 213 adaptée au marché du travail, garante d'un emploi et d'un revenu stable. C'est enfin relancer l'ascenseur social bloqué par l'alliance des nantis de droite et de gauche, tous d'accord en cette période de crise pour conserver leurs privilèges en maintenant les pauvres, les obscurs, les sans-grade dans leur fonction subalterne. Salauds de pauvres ! Telle est aujourd'hui la devise des escrocs de l'espérance. Je n'y consentirai jamais ! 214 Chapitre XII 2002 Je suis dans le jardin de Montretout. J'appelle mon père. Mon mari Eric a fait le tour de quelques copains secrétaires départementaux et les nouvelles paraissent très inquiétantes. « Papa, c'est moi. Le taux de confirmation des signatures de maires est mauvais. Très mauvais. »  notre dernier Bureau politique, les nouvelles données par Martine Lehideux, chargée de la prospection des maires, étaient pourtant rassurantes. Mon père m'interroge : « C'est-à-dire ? ? Je pense qu'il en manque... près de 200 ! » Il tranche : « Ça n'est pas possible ! » Les quarante-huit heures qui suivront nous donneront hélas raison. Le bilan tourne à la catastrophe. La 215 moitié des maires qui s'étaient engagés à signer n'ont pas donné suite. Carl Lang est aussitôt chargé d'une cellule d'urgence. Il nous reste trois semaines avant la date fatidique du dépôt au Conseil constitutionnel. La donne est simple : si l'on échoue, Le Pen ne sera pas candidat aux présidentielles. Cette perspective, véritable épée de Damoclès, est d'autant plus insupportable et cruelle que la campagne se déroule cette fois sous d'excellents auspices. Le Pen est bon. Très bon, même. Les journaux évoquent d'ailleurs le « nouveau Le Pen », plus mesuré, serein, charmant, qui ressemble tant à celui que je connais depuis toutes ces années. Nous sommes convaincus qu'il se passe quelque chose. La rue, le peuple est en adéquation avec nous et, à la cellule Idées-Images que dirige Jean-François Touzé 1 et dans laquelle je me suis insérée, nous mettons les bouchées doubles pendant cette campagne pour faire preuve d'imagination et de dynamisme. Cette cellule est en effet chargée de donner un ton nouveau à cette campagne, notamment en « relookant », comme l'ont dit les journalistes, le candidat Le Pen. 1. Créateur, dix ans plus tôt, des Comités Espace Nouveau. 216 Et nous nous attendions à tout, sauf à cette douche froide ! Il manque 200 signatures, nous sommes déjà le 12 mars et la clôture au Conseil constitutionnel est fixée au 4 avril. Il reste vingt-cinq jours ! L'abattement est palpable. Carl, qui s'était déjà chargé de cette collecte en 1995, sait que la résignation et l'accablement qui ne vont pas manquer de frapper nos militants à l'annonce de ce chiffre, sont nos pires ennemis dans ce challenge : il prend alors la décision de mentir. Pieux mensonge... Le mouvement sonne le branle-bas de combat et annonce qu'il manque... 100 signatures ! Un grand tableau est installé dans le couloir du Secrétariat général et la décision, entre quelques initiés, est prise : chaque fois qu'on recevra deux signatures, on se contentera d'en indiquer une. Le décompte commence... Il était impératif que ceux qui étaient informés de l'enjeu véritable gardent ce secret : j'eus moi-même à jurer que seules 100 signatures manquaient (Dieu me le pardonnera!) devant les quelques militants qui avaient eu écho de fuites sur la terrible réalité. D'aucuns m'ont avoué plus tard que, s'ils avaient su ce qu'il en était réellement, jamais ils ne seraient allés chercher ces maudites signatures, tant ils 217 auraient alors été persuadés de l'impossibilité de réunir autant de paraphes en si peu de temps. Dans les jours suivants, Le Pen prend la bonne décision en cassant le morceau devant la presse. Il organise une conférence et expose la situation : nous n'avons pas à ce jour les signatures. Peu le croiront, et seuls les journalistes qui nous suivaient au quotidien s'apercevront rapidement qu'il disait lâ la stricte vérité. Il ne fait plus aucun doute aujourd'hui que les manoeuvres destinées à nous empêcher de recueillir ces signatures émanaient de l'UMP, par l'intermédiaire, notamment, de l'Association des Maires de France. Des consignes avaient en effet été diffusées, enjoignant les maires de refuser leur signature à Le Pen et de... les accorder à Mégret, adversaire bien moins dangereux qui, très probablement, aurait été à Canossa en apportant son obole à Chirac au second tour. Ces trois semaines furent un cauchemar et, dans le même temps, une fantastique leçon de courage et de dévouement de la part de nos adhérents, sympathisants et même électeurs. Tout le monde s'y est mis, des grands-mères jusqu'aux petites-filles. Nous avons arpenté des milliers de kilomètres, parcourant les campagnes carte en main, poussant 218 1 jusqu'au coeur de villages parfois minuscules dans l'espoir de permettre à nos idées, à notre candidat d'être présents dans cette bataille. Chaque jour apportait son lot de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Le Paquebot s'était transformé en plate-forme téléphonique géante. C'était une véritable ruche. Pas un seul bureau, une seule chaise qui ne soit occupée par des militants qui, inlassablement, douze heures par jour, appelaient aux quatre coins de la France pour parlementer avec les maires et les convaincre, parfois grâce à des trésors de persuasion et d'imagination. Pas une seule de nos pensées qui ne fut, durant ces trois semaines, tournée vers eux. Le Pen téléphonait en personne aux indécis que nous indiquaient nos amis sur le terrain. J'ai moi aussi, avec Eric, sillonné durant des jours les routes du Pas-de-Calais pour trouver ces signatures. La réponse des maires était toujours la même : « Moi, j'ai trop peur pour vous la donner, mais vous allez les avoir ! Ne vous inquiétez pas ! D'ailleurs, je vote moi-même Le Pen. » Et nous leur répondions inlassablement : « Mais vous ne pourrez pas voter Le Pen. Il ne pourra pas se présenter si vous ne donnez pas votre parrainage ! » 219 Je n'ai pas compté les crises de rage et de désespoir qui m'ont réguliérement submergée pendant ces trois semaines. L'idée que tant d'années de combat risquaient à nouveau de se trouver réduites à néant m'était tout simplement insupportable. J'ai, au fond, encore plus mal vécu cette recherche de signatures que la scission avec Mégret, et je rends ici hommage à l'abnégation de ces centaines de cadres, responsables, simples adhérents ou militants qui ont su tout oublier ? hiérarchie, préoccupations et soucis personnels ? pour se consacrer exclusivement et avec passion à cette tâche. Le 4 avril, nous déposions 532 signatures au Conseil constitutionnel. On avait vraiment senti souffler le vent du boulet ! Les trois petites semaines qui nous séparaient encore du premier tour des élections présidentielles nous laissaient évidemment assez peu de temps pour respirer. Un parfum de victoire flottait sur les derniers meetings. La ferveur qu'on y ressentait me faisait étrangement penser à l'ambiance des quelques jours précédant l'élection présidentielle de 1988, dont on se souvient qu'elle s'était conclue par un séisme politique (un de plus, pas le dernier !) avec un Le Pen à 14,5 % des suffrages exprimés. 220 Mon père était cette fois convaincu qu'il accéderait au second tour, mais il faut bien admettre que plusieurs des plus illustres dirigeants du Front national affichaient ouvertement leur scepticisme quant à la fiabilité de ce diagnostic. Arrive enfin ce 21 avril 2002. Je passe la journée dans un état second. J'y crois ? je n'y crois pas ? je ne peux pas y croire ? j'aimerais tellement y croire ? c'est évident ? ça ne peut pas se passer autrement... Plus on approchait de la barre fatidique du 20 h, plus mes certitudes vacillaient. Ayant hérité de surcroît du caractère superstitieux des Bretons, je cherchais partout des signes du destin qui, hélas, n'en finissaient pas d'être contradictoires. Et même lorsque, à 19 h, je suis rentrée dans le bureau de mon père et qu'avec un sourire, il m'a fait un grand clin d'oeil, je n'ai voulu y voir qu'un signe de complicité... avant de comprendre, médusée, qu'il s'agissait bien de cela : il était au second tour ! Je me suis jetée dans ses bras en pleurant. D'ailleurs, je vais pleurer de joie toute la soirée, comme une gosse. Pourtant, j'ai encore peur que cela change, pour je ne sais quelle raison rationnelle ou irrationnelle : un 221 mauvais décompte, les résultats des DOM-TOM qui changeraient la donne. Je ne sais... Lorsque PPDA apparaît à l'écran quelques minutes avant 20 h pour annoncer, avec sa tête d'enterrement, que les résultats sont «une grosse surprise », je sens que c'est vraiment gagné. A 20 h, les photos de Le Pen et de Chirac s'affichent et une vague d'émotion pure déferle sur la salle. Tout le monde pleure, hurle, s'embrasse. Une si belle victoire, enfin, en récompense des années de sacrifices, de blessures, d'un combat mené jour après jour depuis de si longues années ! Mon père est dans son bureau, enchaînant les interviews. Il fera ce soir-là une de ses plus belles interventions sur la cohésion nationale. Après avoir exprimé sa gratitude à l'égard de tous ceux qui l'ont soutenu, il leur dit : «N'ayez pas peur. Rentrez dans l'espérance. L'événement, c'est le 5 mai. N'ayez pas peur de rêver, vous les petits, les sans-grade, les exclus. Ne vous laissez pas enfermer dans les vieilles divisions de la gauche et de la droite. Vous, qui avez supporté depuis vingt ans toutes les erreurs et les malversations des politiciens. Vous, les mineurs, les métallos, les ouvrières et les ouvriers de toutes ces industries ruinées par l'euro-mondialisme de Maastricht. Vous, les agriculteurs aux retraites de misère et acculés à la 222 ruine et à la disparition. Vous, qui êtes les premières victimes de l'insécurité, dans les banlieues, les villes et les villages. J'appelle les Françaises et les Français, quelles que soient leur race, leur religion ou leur condition sociale, à se rallier à cette chance historique de redressement national. Sachez que, homme du peuple, je serai toujours du côté de ceux qui souffrent, parce que j'ai connu le froid, la faim, la pauvreté. Je veux reconstruire la cohérence de notre grand peuple français, l'unité de la République, l'indépendance de la France, notre patrie, rétablir la sécurité sur l'ensemble du territoire national et libérer nos compatriotes du fiscalisme et de la bureaucratie. (...) » Mais ce n'est pas le moment de se reposer sur ses lauriers : la profession de foi du second tour, tirée à près de 40 millions d'exemplaires, doit être chez l'imprimeur le lendemain matin, lundi, à 10 heures. Il faut la rédiger et la maquetter. Nous y passerons, entre amis, le reste de la nuit, dans un minuscule bureau et dans une ambiance fantastique, mélange de ferveur et d'émotion. Il y avait là Samuel, Jean-François, Stéphane, Éric, Milou, Louis et Olivier, ceux que nos amis du Front appelleront plus tard «les night-clubbers » parce qu'ils sont jeunes, talen- 223 tueux, heureux de vivre, et qu'ils savent même travailler la nuit en gardant enthousiasme et sourire ! « La France retrouvée » sera le slogan de ce deuxième tour, un slogan récupéré quelques années plus tard par Sarkozy... Décidément ! Au Front, on n'a pas de pétrole, de boîte de com, de boîte de pubs, ni des centaines de salariés, mais on a des idées si bonnes, semble-t-il, que tout le monde cherche à les copier. Cette équipe de trentenaires et de jeunes quadras, qui constituera plus tard l'ossature de « Générations Le Pen », était très présente durant la préparation du premier tour, travaillant d'ailleurs en bonne intelligence avec Bruno Gollnisch et ses adjoints. Mon père trouvait auprès de nous, je pense, un dynamisme, une foi et une énergie précieuses. Je regrette pourtant que, durant ce deuxième tour, nous ayons un peu perdu le contact... A sa demande, nous nous étions réunis avant le premier tour pour l'envisager, ce fameux second tour. Or, je dois admettre aujourd'hui que rien ne s'est déroulé comme nous l'avions prévu. Nous pensions par exemple avoir les pires soucis pour diffuser nos documents par la poste ? comme cela avait été le cas quelques années auparavant où certains postiers refusaient de distribuer notre matériel électoral ? et pour tenir nos meetings. 224 Ce ne fut pas particulièrement le cas. Bien sûr, nous savions que toutes les autorités morales, immorales et amorales du pays iraient de leur couplet sur le danger fasciste et autres âneries de la même farine. Mais pas à ce point... Pas ce déferlement irrationnel où l'on a fini par entendre et lire n'importe quoi ! Pas les enfants retirés des écoles pour les entraîner en rang par deux dans des manifestations anti Le Pen ! Pas les bureaux de vote du second tour où l'on menaçait les électeurs qui osaient prendre les deux bulletins avant d'aller dans l'isoloir, et encore moins les bureaux de vote où il valait carrément mieux ne pas passer par l'isoloir ! Pas que l'adversaire du second tour refuserait le débat télévisé traditionnel. Pas cette caricature de démocratie où toutes les règles les plus élémentaires ? égalité de temps de parole entre les candidats, respect du scrutin, neutralité du service public et de l'école, confidentialité du vote ? ont toutes été bafouées et foulées au pied. Ce que beaucoup de gens ignorent, c'est que les centaines de médias étrangers qui ont suivi ce deuxième tour ont eu des mots d'une grande dureté devant le spectacle de république bananière auquel la France les a conviés entre les deux tours. Les autorités, qu'elles soient politiques, journalis- 225 Ce ne fut pas particulièrement le cas. Bien sûr, nous savions que toutes les autorités morales, immorales et amorales du pays iraient de leur couplet sur le danger fasciste et autres âneries de la même farine. Mais pas à ce point... Pas ce déferlement irrationnel où l'on a fini par entendre et lire n'importe quoi ! Pas les enfants retirés des écoles pour les entraîner en rang par deux dans des manifestations anti Le Pen ! Pas les bureaux de vote du second tour où l'on menaçait les électeurs qui osaient prendre les deux bulletins avant d'aller dans l'isoloir, et encore moins les bureaux de vote où il valait carrément mieux ne pas passer par l'isoloir ! Pas que l'adversaire du second tour refuserait le débat télévisé traditionnel. Pas cette caricature de démocratie où toutes les règles les plus élémentaires ? égalité de temps de parole entre les candidats, respect du scrutin, neutralité du service public et de l'école, confidentialité du vote ? ont toutes été bafouées et foulées au pied. Ce que beaucoup de gens ignorent, c'est que les centaines de médias étrangers qui ont suivi ce deuxième tour ont eu des mots d'une grande dureté devant le spectacle de république bannière auquel la France les a conviés entre les deux tours. Les autorités, qu'elles soient politiques, journalis- 225 tiques, religieuses, ont toutes perdu la boule, donnant de notre pays une image durablement flétrie. Cela au nom de la démocratie ! Mais quelle démocratie ? 99 % du temps d'antenne télévisuelle et radiophonique, tous les journalistes, les éditorialistes, l'ensemble des papiers de la presse écrite furent durant quinze jours des appels à faire battre Jean-Marie Le Pen, quand ce n'était pas purement et simplement des appels à la violence. Toutes les associations possibles et imaginables y allèrent de leur communiqué de condamnation, jusqu'à l'association des Victimes de l'amiante... Quel rapport avec Le Pen ? A quelques jours d'intervalle, Olivier Mazerolles, qui parlait courtoisement à Le Pen avant le 21 avril, l'interrogeait entre les deux tours comme s'il était le pire des criminels. France Inter, qui s'était fait remonter les bretelles par le CSA en raison de sa scandaleuse partialité, n'avait rien trouvé de mieux que de dire : « Puisqu'on nous oblige, pour des raisons d'égalité de temps d'antenne, à parler de Le Pen, on va en parler... » La station diffusa alors le « Horst Wessels Lied », l'hymne officiel nazi, pendant que le journaliste répétait durant de longues minutes « Le Pen, Le Pen, Le Pen, Le Pen... ». Les mêmes qui n'hésiteraient pas, du moins je le suppose, à se dire scanda- 226 usés de la violation des règles démocratiques dans tel ou tel pays africain ! Cette élection présidentielle n'a été, en réalité, qu'un révélateur de la grave maladie dont se meurt la démocratie en France, et du profond mépris dans lequel les dirigeants de notre pays tiennent le choix du peuple français. Les millions de Français qui ont voté Le Pen et qui, scrutin après scrutin, confirment la place de ce parti dans le paysage politique français, n'ont toujours aucune représentation à l'Assemblée nationale, laquelle est pourtant censée être, justement, l'émanation du peuple.  chaque élection, le gouvernement tripatouille le mode de scrutin dans l'unique but ? avoué, d'ailleurs ! ? d'empêcher le Front national d'avoir le moindre élu (parfois cela fonctionne, parfois moins bien...). L'équilibre médiatique est un mensonge. Ainsi, les chiffres de temps de parole du Front national dans les journaux télévisés en 2005 (source Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) sont les suivants : 2,43 % pour TF1 ; 0,84 % pour France 2 ; 1,03 % pour France 3 ; 1,44% pour Canal + ; 1,60 % pour M6. Or, la pluralité de l'information est un des fondements de la démocratie, car pour autant que le vote soit libre et secret, encore faut-il que les électeurs 227 soient informés des idées et des programmes qui leur sont réellement proposés et n'aient pas uniquement accès à une mauvaise caricature exposée par des adversaires politiques. Alors c'est vrai, nous n'étions pas assez préparés à ce second tour. Nous n'étions même pas préparés du tout, pour ne l'avoir jamais vécu. Nous y avons bien sûr commis des erreurs, comme celle qui consiste à laisser le candidat, lors d'une conférence de presse géante de 400 journalistes, répondre pendant des heures à des centaines de questions aussi décousues et éloignées les unes des autres. L'erreur aussi de ne l'avoir pas assez préservé. Nous n'avions pas suffisamment de recul, submergés que nous étions par les demandes d'intervention de la planète entière, auxquelles, pour partie, nous aurions dû dire non. Nous étions profanes en la matière. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous voulions, je l'ai dit, faire preuve d'imagination dans cette présidentielle, sortir des sentiers battus et du politiquement conforme. En cela, l'histoire de l'affiche du second tour est emblématique. Ma soeur Yann avait alors eu l'idée de cette affiche en noir et blanc. Son objectif : montrer le vrai Le Pen, celui que nous connaissions, souriant, en pull marin. 228 Elle l'avait proposée pour le premier tour et nous avions été quelques-uns à avoir appuyé sans réserve cette idée. Mais cette proposition fut refusée. D'aucuns, dans les hautes sphères, trouvaient que le candidat ne faisait pas assez « présidentiable », que le costume-cravate était incontournable, que la tenue décontractée de Le Pen ne faisait pas assez officielle, trop dilettante, trop nature... À regret, mon père en avait donc abandonné l'idée, écoutant la voix de la « raison ». Cette idée l'avait pourtant immédiatement séduit, lui qui a toujours été le plus créatif du FN et trouvé la plupart des slogans de l'histoire du mouvement. Bref, c'était mal connaître Yann qui a la tête dure et, sur ce plan, un instinct rarement pris en défaut. C'est ainsi que, sans en prévenir personne, sauf Jean-Michel Dubois, elle décida d'imprimer malgré tout cette affiche et d'en placarder tous les derniers meetings de campagne. Le succès fut immédiat : c'est précisément cette affiche-là que les militants choisirent en priorité ! Ils furent même si enthousiastes que la décision fut prise d'en faire l'affiche officielle du second tour. Du jamais vu dans l'histoire des partis politiques de la Ve République ! Cette affiche restera chez nous comme la marque de fabrique de cette présidentielle, vraie, nature et 229 chaleureuse. Nombre de militants nous rapporteront d'ailleurs les remarques sidérées et sidérantes de certains électeurs se disant « outrés » que Le Pen « puisse s'afficher avec un visage aussi souriant », qui, de surcroît, empêchait la caricature ! Difficile en effet de lui griffonner sur ce cliché, comme ils en avaient l'habitude, une moustache à la Hitler... Pour en revenir au scrutin et à la présence de mon père au second tour de cette élection, il faut se souvenir que les « politologues » se sont perdus en conjectures sur les raisons de ce résultat, allant même jusqu'à s'accuser les uns les autres d'en être les responsables. C'est ainsi que TF1 fut sommé de se justifier sur l'évocation, quelques jours avant le premier tour, d'un fait divers au cours duquel un pauvre papy avait été dévalisé et violemment frappé par une bande de jeunes qui avait en plus incendié sa maison. Appliquant les bons vieux principes qu'ils utilisent en permanence, les donneurs de leçons reprochèrent à TF1 de ne pas avoir caché la vérité aux Français, peuple d'enfants et de vieilles dames apeurées ? en tout cas pas assez mature ni suffisamment intelligent pour pouvoir se faire une opinion de la situation réelle du pays, et donc incapable de savoir ce qui est bon pour lui. On connaît la chanson : « Dormez 230 sur vos deux oreilles, braves gens... ceux qui se sont toujours trompés veillent sur vous ! » L'insécurité a-t-elle fait pour autant l'élection de 2002 ? Oui, sûrement, comme le chômage, le trou de la sécu, la crise des retraites, l'écrasement fiscal des individus et des entreprises, l'immigration, l'abandon de toutes les valeurs, la disqualification du travail, l'affaiblissement international de la France, son incontestable déclin économique, la disparition progressive de nos libertés individuelles. Bref, le constat qu'il n'y a pas un seul domaine dans lequel nos dirigeants aient fait preuve de prévoyance, de raison et de compétence. Mais il est vrai que l'aggravation de la délinquance reste un des sujets d'inquiétude majeurs de nos concitoyens, et à juste titre. Le Gouvernement nous berce depuis des années avec des chiffres dont tout le monde sait qu'ils sont inexacts ou faux. En 2002, au moment où le Gouvernement évoquait 4,5 millions de crimes et délits, une enquête de victimisation de l'INSEE annonçait, elle, un chiffre de 16,5 millions. Soit quatre fois plus ! Excusez du peu. Mais au-delà de cette augmentation faramineuse qui est un des indicateurs de régression de notre société les plus inquiétants, il faut aussi relever que 231 cette délinquance a changé de nature. J'ai pu voir cette évolution en quinze ans, mais elle a commencé en réalité il y a vingt-cinq ans. Les faits montrent que nous sommes en grande partie passés d'une délinquance immorale à une délinquance amorale. Dans le passé, compte tenu de l'éducation reçue et des principes que la société savait transmettre, notamment par l'intermédiaire de son école, de ses institutions, de son armée et de ses églises, ceux qui commettaient un crime, un délit, ceux qui violaient la loi, le faisaient consciemment. Les délinquants connaissaient les règles, les transgressaient délibérément et prenaient en connaissance de cause la responsabilité de ne pas s'y conformer. Il était donc plus facile pour eux de comprendre la peine à laquelle ils étaient condamnés. Or, depuis un certain nombre d'années, on est confronté à une délinquance bien plus dangereuse car amorale, conséquence de l'effondrement des règles morales et civiques, de l'incurie de l'Éducation nationale à en imposer les bases, et il faut bien le dire aussi, de l'inassimilation revendiquée de certains fils d'immigrés. Pour une bonne partie, les délinquants n'ont même pas conscience de violer la loi, n'ayant jamais acquis les fondements de celle-ci. 232 Avec effarement, on voit des jeunes criminels qui trouvent normal de violer une femme à plusieurs dans une cave, d'assassiner un homme qui leur a refusé une cigarette, d'arracher le sac d'une pauvre vieille, d'asperger d'essence une jeune fille parce qu'elle s'est refusée à eux, ou de torturer un innocent. Ceux-là, qui n'ont pas intégré les valeurs ni même les règles fondamentales de notre société, sont de véritables dangers publics car ils sont en général inaccessibles à la moindre raison et a fortiori à la moindre peine. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Dans son dernier rapport, l'Observatoire national de la délinquance a dressé un sombre constat (que les Français, hélas, avaient fait bien avant lui) . En un an, les violences dites « non crapuleuses », c'est-à-dire gratuites, ont progressé de 9 %, soit une moyenne de 500 agressions déclenchées « la tête du client », chaque jour, en France... officiellement. Ce chiffre n'inclut pas, bien sûr, les agressions non déclarées ; certains de nos compatriotes terrorisés n'osent, même plus aller se plaindre, soit parce qu'ils n'ont aucun espoir qu'on retrouve leurs agresseurs, soit par peur des représailles. Ces «nouveaux» délinquants sont les enfants de nos gouvernants qui, par lâcheté, les ont laissés prospérer et se multiplier. Or, comme disait Albert Einstein : 233 « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien dire. » Dans ce domaine comme dans tant d'autres, c'est donc bien la responsabilité des gouvernements qu'il faut aller rechercher, ceux qui ont sans cesse, depuis vingt ans, justifié inlassablement la délinquance, laissé faire en refusant toute répression et culpabilisé ceux qui osaient s'en plaindre. Aujourd'hui, personne n'est épargné, et jusque dans le fin fond des campagnes françaises, les petits maires ruraux hésitent à organiser leur fête de village annuelle de peur de voir débarquer de la ville voisine des bandes de voyous. Cette délinquance continue son escalade, et le bilan de M. Sarkozy est, sur ce point comme sur tant d'autres, nul ! Il n'est donc un secret pour personne que, comme en 2002, l'insécurité sera encore un des thèmes centraux de la prochaine présidentielle. Mais revenons à 2002. L'après-midi du 5 mai, nous savons que la diabolisation a fonctionné à plein et nous nous attendons au score « soviétique » de Chirac. Revenant de Lille où je suis allée voter, je croise Alain Vizier, vieil ami et responsable de la presse, dans un couloir du Paquebot. 234 « Tout le monde est dispersé sur les plateaux et auprès des radios. Je n'ai plus personne à disposition. Il faut que tu ailles à la télévision ce soir commenter les résultats. » Je me retourne pour regarder s'il ne parle pas à quelqu'un d'autre que moi... Non. C'est bien à moi qu'il s'adresse. Ma réponse fuse : « Ça va pas la tête ! » Mais il a l'air sérieux. Je me lance alors dans un discours senti sur le caractère hautement fantaisiste de sa demande. Tout y passe... Je ne suis que la modeste directrice du service juridique, je vais être tétanisée par le trac, je n'ai aucune légitimité particulière, je vais m'évanouir sur le plateau, je ne m'en sens pas capable, etc. Rien n'y fait. Il faut y aller ! A choisir, j'aurais quand même préféré aller commenter la victoire du premier tour ! C'est ainsi que, bon petit soldat, le doigt sur la couture du pantalon, j'abandonne à regret mes camarades de combat pour rejoindre dès 19 h 30 le terrain miné de la soirée électorale. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, j'arrive sur le plateau totalement ignorante des règles du jeu ; règles non expressément formulées mais auxquelles tout le monde se conforme, mélange de 235 condescendance et de langue de bois propre aux politiciens français professionnels. Je le confesse : je n'ai de facilité ni pour l'un, ni pour l'autre. Et somme toute, un peu inconsciente de l'enjeu, je m'amuse... Je remercie ainsi mes interlocuteurs pour l'hommage appuyé qu'ils rendent aux vingt ans de la disparition de Dalida : « encore des mots, toujours des mots... les mêmes mots ». Ma naïveté, qui n'est pas feinte, me sert et je suppose que ma franchise apparaît, clans le contexte finalement très consensuel, comme une formidable audace. Puis la soirée se termine, comme souvent au Front quels que soient les résultats, dans la bonne humeur, entre amis et militants ? pas si déçus que cela, au fond. Je pars me coucher sans imaginer une demi-seconde le tournant que cette soirée allait faire prendre à ma vie... Je suis donc abasourdie lorsque, dès le lendemain, Main Vizier me fait part de demandes d'interviews diverses. Je ne suis pas la seule étonnée, d'ailleurs. Mon père l'est aussi face à ce soudain intérêt pour moi. En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il ne considérait pas que sa fille, parce qu'elle était sa fille, possédait des qualités particulières. C'est d'ailleurs 236 au cours de cette campagne présidentielle que nous avons commencé à parler sérieusement de politique. Et quand je suis arrivée sur ce plateau de télévision, sa démarche a été la même que d'habitude : il a été le premier étonné. Comme il n'est pas du tout le genre de père à se dire : « C'est ma fille, donc elle va s'en sortir... », ce sont les autres qui viennent le lui dire et il en convient : « C'est vrai, vous avez raison. Finalement, elle se débrouille bien ! » Je le redis, son attitude est à l'inverse du népotisme. Il faut le convaincre et ça n'est pas toujours facile. Il est parfois même l'un des derniers à se rendre compte des qualités de ses enfants ! Rétrospectivement, je pense que ce qui plut alors aux médias était tout simplement la nouveauté et l'incongruité que constituait, dans leur esprit, la présence d'une jeune femme plutôt décontractée dans un mouvement que l'on caricaturait en permanence, le présentant comme un rassemblement d'individus machistes et violents. Quoi qu'il en soit, c'est entourée d'une nuée de caméras et de micros que je pars faire campagne pour les législatives dans la 13e circonscription du Pas-de-Calais. Des journalistes du monde entier sont venus rencontrer « la fille du monstre », celle dont parle toute la presse française, et ils ont trouvé une jeune femme normale. 237 Français, Japonais, Suédois, Italiens... m'emboîtent le pas sur les marchés de Lens, à la grande fureur de mon adversaire socialiste qui parlera même de « concurrence médiatique déloyale » ! J'y vais tous les jours et tous les soirs, je rentre à Paris. Physiquement, je n'en peux plus. Les 400 kilomètres par jour me tuent. Il faut dire qu'avec Steeve Briois et Éric Iorio, mon futur mari, qui se présentent tous deux dans les circonscriptions voisines, nous ne ménageons pas nos efforts. J'ai mauvaise conscience. Mes petits (qui ont 5 et 4 ans) commencent à pleurer en me voyant partir le matin et je suis déchirée entre mon devoir de militante et mon devoir de mère. Leurs petites têtes, à la fenêtre, reflètent une vraie tristesse que j'ai de plus en plus de mal à gérer. Il est grand temps que ça s'arrête. Nous avons déjà dans les jambes la campagne présidentielle, avec le mois de cauchemar à courir après des signatures de maires, puis le premier tour, le deuxième tour. Je termine cette législative littéralement sur les genoux. C'est donc avec un plaisir non dissimulé que je vois arriver le 9 juin 2002, dernier jour de campagne. Enfin, c'est ce que je crois... jusqu'à la publication des résultats ! 238 Jean-Claude Bois, candidat socialiste ... 38,2 % Marine Le Pen 24,2 % Yvan Druon, communiste 13,9 % Beatrice Pernuy, UMP 13,3 % Je suis donc à la manoeuvre pour le second tour, comme Steeve Briois, Eric Iorio et Louis Lecoeuvre, respectivement dans la 12e, 14e, l le circonscription. Le bassin minier a voté massivement Front national, et je suis partagée entre l'immense fierté du résultat et la perspective de devoir faire une nouvelle semaine de campagne alors que je ne suis plus sûre d'en avoir encore la force. Mais on a toujours plus de résistance qu'on ne le pense... Ce deuxième tour sera particulièrement difficile. Socialistes et communistes ont fait alliance et ils sont ivres de rage devant nos résultats. Le maire d' Harnes, une commune de ma circonscription, me le fera savoir le jour du deuxième tour, alors que je visite les bureaux de vote en me mettant, sans autre forme de procès, à la porte de la mairie ! C'est ce qu'on appelle une ambiance « chaudement républicaine »... Il faut dire que j'ai fait 40 % dans sa ville, ce qui est un cinglant désaveu de sa politique dans une 239 circonscription qui vote socialo-communiste depuis soixante ans. J'obtiens 32,3 % au second tour, soit la deuxième meilleure progression en France. Curieusement, ce résultat-là sera plus tard oublié, le moins bon qui suivra (celui des régionales après mon retour en Île-de-France, « terre de mission» pour le FN), les bonnes âmes du Front n'hésiteront d'ailleurs pas à me le rappeler sans cesse. Les résultats nationaux du Front national ne sont du reste pas à la hauteur de nos espérances. La vague bleue est passée par là et les Français, lassés de l'irresponsabilité engendrée par la cohabitation, ont donné tous les pouvoirs à l'UMP. Les députés du parti chiraquien entrent en force à l'Assemblée. En ce qui me concerne, les sollicitations médiatiques ne faiblissent pas et je suis invitée en octobre par Christine Ocrent à « France Europe Express ». Comme d'habitude, c'est Alain Vizier qui m'en informe, et comme d'habitude, je refuse... avant de me laisser convaincre, non sans avoir proposé de laisser ma place à Marie-France Stirbois. Donner des interviews à des journalistes de la presse écrite, aller sur les plateaux de télévision commenter avec une brochette d'autres personnalités politiques des résultats électoraux, parler quel- 240 ?~ ques minutes à la radio est une chose ; mais faire seule une émission de deux heures, en est une autre. C'est absolument terrorisée que je m'installe sur le plateau après que Bruno Gollnisch, me prenant à part, m'eut mise en garde au dernier moment sur ce que j'allais dire de... l'avortement ! Cette émission fut la première d'une longue série, et même si le trac me reprend parfois sans prévenir, j'ai fini par m'habituer. Toutefois, je garde celle-ci dans mon coeur avec la mention « plus-grossefrayeur-de-ma-vie ». Un certain nombre de personnes, au Front national, m'ont reproché cette médiatisation, accusant tour à tour notre attaché de presse, mon père ou moi-même d'en être responsables, m'accusant de monopoliser volontairement l'antenne au détriment des autres responsables du mouvement. La vérité est infiniment plus simple : les journalistes choisissent ceux qu'ils invitent, et si vous déclinez l'invitation, eh bien... ils n'invitent personne, tout simplement ! Très sincèrement, j'aurais aimé qu'il en fût autrement. D'abord parce que je considère que le Front national est un grand mouvement qui rassemble des millions d'électeurs et devrait, à ce titre, être beaucoup plus présent qu'il ne l'est dans les médias. Deuxiè- 241 mement, parce que j'estime que nombre des dirigeants du Front mériteraient d'avoir, eux aussi, la liberté d'exprimer leurs idées, car ils sont talentueux et compétents. Troisièmement, et de manière égoïste, parce que la responsabilité est lourde lorsqu'on est, avec son Président, quasiment le seul porte-parole d'un aussi grand mouvement. L'angoisse de mal faire, de mal exprimer la pensée de millions de gens pèse, et la peur de décevoir devient difficile à supporter car j'ai une grande conscience du devoir qui est le mien dans le combat pour nos idées et notre idéal. Enfin, et j'aurais aimé là aussi qu'il en fût autrement, il faut bien convenir que cette médiatisation m'a valu de solides inimitiés au sein de mon propre mouvement... 242 4.: Chapitre XIII En finir avec les caricatures... Je pensais très sincèrement que l'ensemble du Front national ne bouderait pas cette opportunité et serait heureux de l'ouverture médiatique qui s'offrait grâce a moi. J'ai tant entendu les responsables se plaindre qu'on ne parlait pas de nous ? plainte très légitime d'ail leurs ?, que cette « fenêtre de tir » médiatique per mettant de développer nos idées ne pouvait être que bien accueillie. De surcroît, la possibilité qui nous était donnée de faire connaître au public l'existence de jeunes responsables, cassait l'image de parti vieil lissant dont on nous affublait en permanence. J'admets, avec le recul, avoir fait preuve de naïveté. Si l'immense majorité des militants que je rencon trai durant l'année 2003, lors de plus d'une cinquan- 243 taire de dîners-débats, m'accueillit avec joie et chaleur, je sentais bien, en revanche, que cette soudaine notoriété faisait grincer quelques dents. Les journalistes qui, bien entendu, adorent créer des conflits de personnes au sein des mouvements politiques, avaient très rapidement affirmé que je pouvais m'inscrire dans la succession possible de mon père, cela bien sûr sans me demander ni mon avis, ni mon sentiment, ni mon analyse. J'étais persuadée que cette tentative ? cousue de fil blanc ? de faire naître une polémique au sein du Front national s'éteindrait d'elle-même. Mon père avait été on ne peut plus clair sur le sujet, indiquant à maintes reprises que s'il devait se retirer, Bruno Gollnisch prendrait les rênes du mouvement jusqu'au congrès, lequel désignerait alors par un vote démocratique le nouveau président du Front national. Nous étions tous assez aguerris pour ne pas courir après cette baballe que nous lançait la presse... Et pourtant, dès le 6 juin 2002, à la question : « Que pensez-vous de la montée en puissance de Marine Le Pen ? », Bruno répondait : « Je communiquerai en temps voulu... ». Ce qui revenait à donner corps à la rumeur. Cette réponse sibylline et les commentaires amers de certains autres cadres allaient contribuer à accré- 244 diter l'idée d'une compétition qui n'existait pourtant que dans l'esprit de ceux qui l'avaient créée, en l'occurrence les médias. J'eus beau me débattre, expliquer sur tous les tons que je n'avais ni vues ni prétentions sur la présidence du Front national, rien n'y fit. Plus je m'en défendais, plus on me prêtait cette ambition et plus certains s'en persuadaient et en persuadaient d'autres. Un cauchemar ! La joie qui était la mienne de pouvoir développer nos idées et convaincre de nouveaux Français, grâce à l'intérêt que les médias me portaient, se transforma bientôt en lassitude face aux querelles de personnes, devenues le sujet de toutes les discussions. Décidant alors de traiter cette polémique par le mépris qu'elle méritait, je repris en 2002 l'association « Génération Le Pen » dirigée par un ami fidèle, Jean-Lin Lacapelle et dont je viens de transmettre la présidence à Marie-Christine- Armantu, cadre commercial à Air France et femme exceptionnelle. Cette association avait pour vocation de s'exprimer à l'extérieur du Front. Il m'apparaissait que ceci aurait dû suffire à rassurer ceux qui ne portaient un intérêt qu'au fonctionnement interne de notre parti. Lors d'une assemblée générale d'une trentaine de jeunes où Jean-Marie Le Pen s'était invité et qui se 245 termina dans le jardin de Montretout bien plus tard que prévu, nous décidâmes d'adjoindre un « s » à Génération puisque tout le monde, quel que soit son âge, était au fond bienvenu dans cette association. Ce pluriel allait pourtant servir de révélateur, ouvrant la boîte de Pandore d'où s'échapperaient de bien mauvais génies. Il est vrai que « Génération Le Pen » avait été constitué quelques années plus tôt autour d'une bande de jeunes cadres et élus, avec la bénédiction de Carl Lang, alors secrétaire général du mouvement, dans le but de s'opposer à la mainmise de Mégret sur l'appareil. Ce n'était pas la mutinerie dans le Paquebot, mais un contre-pouvoir dans la salle des machines. Bien que majoritairement trentenaires, nous avions tous entre quinze et vingt ans de carte au FN : nous étions des « bébés Le Pen » dont le Front national avait été le premier, et pour beaucoup le seul, engagement politique. Un grand nombre avaient fait leurs armes dans les rangs du FNJ, le Front national de la Jeunesse que dirigeait à cette époque Samuel Maréchal. Ce mouvement de jeunesse est en effet, comme dans tous les partis politiques qui en sont dotés, une pépinière de futurs cadres. Nous avions bien entendu notre vision du Front, de ses défauts et de ses qualités. 246 C'est tout cela que nous exposions à Le Pen lors de cette assemblée générale. Et le constat que nous faisions alors était celui-d : le Front national est un parti d'opposition efficace. Il a acquis ses galons en faisant preuve de clairvoyance, hélas, et plus souvent qu'A son tour de courage. Mais si ses idées rencontrent l'aval de plus en plus de Français, trop nombreux sont encore ceux qui ne le trouvent pas suffisamment crédible pour pouvoir gouverner. « Vos idées sont bonnes, mais on préférerait que d'autres que vous se chargent de les appliquer », voilà ce que nous nous entendons dire souvent. Comment s'en étonner du reste, nos adversaires s'étant depuis vingt ans évertués à répéter que nous n'avions pas de programme, que derrière Le Pen il n'y avait personne, que nous n'avions pas dans nos rangs de hauts fonctionnaires... que sais-je encore. Tout cela est faux. Les gens de qualité sont aussi présents au Front qu'ailleurs ; notre programme, s'il est perfectible n'en est pas moins sérieux, et au vu de ce que certains énarques apportent à la France, on s'en passe finalement très bien ! Reste qu'il fallait tout de même asseoir notre action, affûter nos chiffres et nos données économiques, nous adjoindre des expertises solides de la 247 248 société civile, nous ouvrir vers l'extérieur, former encore et toujours nos cadres pour qu'ils acquièrent le sérieux et le professionnalisme attendus de tous. Il fallait chercher des pistes de réflexion pour mieux faire passer notre message. Il fallait profiter de l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles pour asseoir le crédit politique du Front national. Apparaître non plus comme un parti d'opposition mais comme un parti prêt à gouverner. Enfin, l'objectif de Génération Le Pen n'était évidemment pas de concurrencer le Front ou de faire de l'ombre à ses cadres ? dont nous étions ?, mais d'apporter une pierre nouvelle à l'édifice sans prétendre se poser en détenteurs de la vérité ou en donneurs de leçons. Pour cela, il fallait faire peau neuve, c'est-à-dire se débarrasser de la tunique de Belzébuth dont on nous a affublés depuis trop longtemps. Est-il admissible que nos militants, nos candidats ne puissent pas faire de la politique normalement encore aujourd'hui, que nos meetings soient attaqués, qu'on ne puisse tenir une conférence de presse sans recevoir des oeufs ou des cailloux, que notre accès aux médias soit toujours fixé sur le strict minimum accordé par la loi ? Le Front national a été victime d'une diabolisation délirante depuis deux décennies, diabolisation qui, même si nous avons commis parfois des erreurs ou mal apprécié des situations, est due en très grande partie à nos adversaires politiques. Ce qui a par ailleurs sa logique. Un grand nombre de forces politiques et d'associations ne vivaient et ne vivent toujours qu'en réaction au Front national. Elles avaient donc tout intérêt A faire de notre mouvement l'épouvantail de la politique française. Il n'y avait que des bénéfices pour elles à forcer le trait, à rendre la caricature la plus repoussante possible. Quid, en effet, de SOS Racisme ou du MRAP s'ils ne parvenaient pas à convaincre les Français que le Front national est un parti raciste ? Quid de la LICRA si le FN était autre chose qu'un ramassis d'antisémites ? Quid de Ras l'Front, du SCALP et autres activistes antifascistes s'il n'existait pas de risques fascistes ? Nous étions tout à la fois leur raison d'être et un utile « abcès de fixation » pour leurs troupes agitées. Il faut se souvenir, par exemple, des conditions fort éclairantes dans lesquelles SOS Racisme fut porté sur les fonts baptismaux. Nous sommes alors fin 1984. Le Front national a fait une formidable percée aux européennes du mois de juin précédent. La gauche, au pouvoir depuis trois ans, est contrainte de faire face au principe de réalité. 249 Il lui en a déjà coûté trois dévaluations et deux gouvernements. Fabius arrive pour incarner « le changement du changement » et épauler Jack Lang dans la «politique rock» qui lui a acquis les faveurs des plus jeunes. La méthode choisie est cette fois aussi machiavélique que subtile : il s'agit de créer de toutes pièces une «génération morale » tout acquise à François Mitterrand, laquelle ne pourra s'élever que contre un repoussoir. Il faut donc, dans le même temps, inventer et promouvoir l'image d'une France raciste et xénophobe : ce sera le Front national qui tiendra ce rôle, comme à Guignol. Dans un livre qu'il publia d'ailleurs en Suisse', personne n'ayant osé l'accepter de ce côté-ci de la frontière, Jean-Pierre Colin, ami intime du ministre de la Culture et chargé de mission à ses côtés, racontait qu'ils avaient eu tous deux une conversation au lendemain du premier passage de Le Pen à «l'Heure de vérité ». Faisant part à Lang de ce qui lui semblait pouvoir être un danger, celui-ci lui répondit : « Pas du tout. Avec un bon score du Front national au premier tour d'une élection, la droite sera cassée dans son élan et nous garderons des chances de l'emporter. » 1. Jean-Pierre Colin, L'acteur et le roi ? Portrait en pied de Jack Lang, Georg éditeur, 1994. 250 C'est dans cet esprit qu'est lancé SOS Racisme dont les slogans sont élaborés directement par la cellule communication de l'Élysée, de même que le badge, ce fameux petit insigne jaune, à la fois rappel de la main de Fatma du Prophète et allusion très ambiguë à l'étoile juive de sinistre mémoire. C'est Globe, le magazine de Pierre Bergé et de Bernard-Henri Lévy (lequel est également co-directeur de l'Agence de presse SOS-Racisme) qui servira de caisse de résonance. Écrivant l'histoire quelques années plus tarde, Harlem Désir, premier président de SOS Racisme, avouera : « Il nous fallait devenir à la mode et pour cela être adoptés par cette petite société parisienne qui décide de ce qui a droit à l'existence et de ce qui doit retourner aux poubelles de l'histoire [...j Bernard-Henri Lévy nous a ouvert les portes que nous cherchions à forcer. » Et il ajoute : «Mais il nous fallait aussi obtenir le soutien des Éblouis, jour- nalistes. blouis, nous l'écoutions réciter négligemment l'annuaire du Gotha parisien. » C'est ainsi que Jack Lang va offrir généreusement, sur les fonds du ministère de la Culture, la coquette somme de 1,3 millions de francs pour la soirée de lancement de SOS Racisme, le 16 juin 1985, place de la 1. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Grasset 1986. 251 Concorde (beau symbole !). à cette occasion, Marek Halter, parrain du mouvement, écrit dans Le Monde : « "La fin du XXe siècle sera marquée par le retour du spirituel, ou le XXIe siècle ne sera pas" disait Malraux. Le x;Ge siècle sera donc. Les centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui portent le badge "Touche pas à mon pote" annoncent ce retour au spirituel, à une morale minimale, faute de quoi les hommes se dévoreront vivants. » En guise de morale antiraciste, le Gouvernement avait donc créé, pour les dresser l'une contre l'autre et terrasser l'adversaire du milieu, deux France distinctes par leur couleur. Cela méritait d'être rappelé. Nous verrons plus tard quelles gravissimes conséquences aura engendrées cette opération en termes de communautarisme. Les purs fantasmes créés autour du Front national auront fait vivre grassement bien des gens, aux frais des contribuables qui plus est ! Tout cela pour aboutir, en novembre 2005, aux émeutes de banlieue, témoignage flagrant de l'échec de cette politique... Belle leçon de morale, en effet ! Il faut dire aussi que toute cette mascarade arrangeait bien les partis traditionnels, lesquels voyaient dans nombre de nos propositions et de nos résultats électoraux le reflet de ce qu'ils n'avaient ni le courage de proposer, ni la volonté d'appliquer, 252 toutes leurs forces étant tournées vers un unique objectif: se démarquer du vilain Front national. La « Gauche de droit divin», comme l'a nommée Jean Baudrillard, cette gauche anatomiquement moralisatrice puisque le coeur est de son côté, aura au moins réussi à mener à bien une entreprise : celle qui consistait à si bien assimiler la droite au mal qu'elle l'a culpabilisée au point de la convertir à ses propres idéaux. Parvenus à ce point de l'histoire, c'est-à-dire au succès inouï au premier tour de Le Pen malgré les manipulations de la classe politique, nous nous devions désormais de faire acte de pédagogie et de transparence ; nous devions ouvrir nos dîners-débats et nos réunions à tous, y compris aux médias afin qu'ils voient que nous n'étions pas des nostalgiques bottés et casqués, la matraque à la main. Que les électeurs du Front national n'étaient pas les abrutis, les archaïques, les imbéciles, les racistes, les peureux, les angoissés de l'avenir qui étaient systématiquement décrits et décriés avec mépris. Ils sont des patriotes. Ils aiment leur pays. Nous devions nous battre pour leur rendre leur fierté ; or en luttant contre cette injuste diabolisa- 253 Lion, c'est leur honneur et leur considération que je voulais défendre. On les accusait de vouloir retourner au Moyen Âge alors qu'ils sont pour moi ceux qui ont vu, su et compris avant les autres. Il ne s'agissait en aucune façon, comme quelques grincheux du Front ont voulu le laisser croire, d'abandonner nos idées, de nous couler dans le moule d'un système condamné, mais de faire un effort sur la forme pour que de nouveaux Français se penchent enfin sur le fond. Nous ne supportions plus d'entendre ce qu'ont entendu tous les militants, adhérents, candidats ou même simples électeurs du Front national: « Comment, toi, tu peux être FN ? » Ce qui signifiait : Comment toi, si sympa, si ouvert, si correct... en un mot si « normal », peux-tu être au FN ? Parce que le FN n'est pas ce qu'on vous a montré, tout simplement. Plus facile à dire qu'à faire... Il n'empêche, et il faut le dire, que nous portons aussi notre part de responsabilité dans cette mauvaise image, mais nous avions en cela des circonstances atténuantes. En particulier, et c'était parfaitement humain, certains de ceux qui se battaient depuis longtemps avaient développé une sorte de paranoïa, craignant 254 systématiquement tout ce qui ne provenait pas du cercle fraternel et rassurant du mouvement.  force de prendre des coups de toutes parts, on en oubliait de temps en temps de poser l'armure et, de fait, beaucoup voyaient arriver des ennemis là oû il y avait seulement des hommes de bonne volonté. Il fallait donc oeuvrer à retrouver un contact plus facile avec les autres, sans les envisager a priori comme des adversaires. De surcroît, il fut facile à nos contradicteurs de nous coller l'épithète d'extrémistes lorsque nous n'avions, pour nous exprimer, que quelques minutes grapillées ici ou là. Par définition, la modération découle de l'explication, or l'explication nécessite du temps. Un temps qu'on ne nous a jamais accordé, l'espace médiatique étant si restreint que le Front a été contraint de procéder par slogans, lesquels par définition, excluent la nuance. C'est le manque de temps qui rend caricatural. L'objectif de « Générations Le Pen» était de mener aussi le combat sur ce terrain-là. Pouvoir et savoir imposer nos nuances, l'équilibre des propositions qui sont les nôtres et que nous ne pouvons exprimer faute de temps. Ce constat en amenait évidemment un autre : nous devions cesser l'évocation de sujets qui, d'un autre 255 systématiquement tout ce qui ne provenait pas du cercle fraternel et rassurant du mouvement. À force de prendre des coups de toutes parts, on en oubliait de temps en temps de poser l'armure et, de fait, beaucoup voyaient arriver des ennemis là oit il y avait seulement des hommes de bonne volonté. Il fallait donc oeuvrer à retrouver un contact plus facile avec les autres, sans les envisager a priori comme des adversaires. De surcroît, il fut facile à nos contradicteurs de nous coller l'épithète d'extrémistes lorsque nous n'avions, pour nous exprimer, que quelques minutes grapillées ici ou là. Par définition, la modération découle de l'explication, or l'explication nécessite du temps. Un temps qu'on ne nous a jamais accordé, l'espace médiatique étant si restreint que le Front a été contraint de procéder par slogans, lesquels par définition, excluent la nuance. C'est le manque de temps qui rend caricatural. L'objectif de « Générations Le Pen» était de mener aussi le combat sur ce terrain-là. Pouvoir et savoir imposer nos nuances, l'équilibre des propositions qui sont les nôtres et que nous ne pouvons exprimer faute de temps. Ce constat en amenait évidemment un autre : nous devions cesser l'évocation de sujets qui, d'un autre 255 temps, créaient des polémiques et nous éloignaient des vrais soucis de nos compatriotes ? ces polémiques qui continuent à renforcer la caricature, à nourrir les accusations formulées de manière récurrente contre notre mouvement. Nous ne devions plus, non plus, avoir la moindre indulgence à l'égard d'individus dont la provocation gratuite fait le jeu de nos adversaires, et sont éminemment nocifs pour nos idées. Je pense par exemple à ce 1 er mai où une chaîne nationale avait complaisamment filmé un groupe de jeunes skinheads qui, foulards sur le visage, levaient le bras devant la statue de Jeanne d'Arc en appelant à une « Europe blanche ! ». Contrairement à ce que laissait entendre le reportage, ceux-là, arrivés plusieurs heures après, ne faisaient pas partie du défilé du Front national, ce qu'avait confirmé la justice devant qui nous avions déposé une plainte en diffamation. Peut-être sans mesurer pleinement la portée de leurs agissements, souvent en nous reprochant d'être « trop à gauche » (dixit !), ces groupuscules ont largement contribué à donner du FN une image très éloignée de la réalité. Je crois que l'immense majorité des personnes fréquentant de près ou de loin le Front national pense comme moi, mais il faut admettre que, face 256 à cette volonté de « dédiabolisation », certains dans l'appareil ont développé des réticences. C'est le cas de Bruno Gollnisch qui s'interrogeait il y a quelques mois : « Je ne sais pas si nous réussissons malgré la diabolisation ou grâce à la diabolisation. » Si ce questionnement avait un sens dans les années 1980, il est à mon avis aujourd'hui dépassé. Et ma réponse à cette équation posée par lui, c'est « malgré », tant je suis convaincue que le vote FN est un vote d'adhésion et non un vote de réaction. Quant à la volonté qui est la mienne d'acquérir une culture de gouvernement, elle servit de fondement à une campagne de dénigrement interne qui me laisse encore aujourd'hui perplexe. Dans une mauvaise querelle, version éculée du conflit entre les Anciens et les Modernes, on m'a accusée de tout et de n'importe quoi. Un petit groupe, toujours le même, interprétant ses variations sur un même thème... Il y avait les machos classiques, m'accusant d'être une femme, donc stupide, évaporée, sans fond, sans amarre, prête à m'allonger avec le premier venu ? forcément ! ?, et sans doute mauvaise mère et mauvaise cuisinière. Les jaloux congénitaux, eux, me disaient obsédée par la petite lucarne, intéressée que par l'image, sensible aux flatteries médiatiques. 257 Quant à la catégorie des nostalgiques, ils me reprochaient de ne pas savoir chanter «Maréchal nous voilà», ni réciter Maurras ou Léon Bloy dans le texte. Mais ça, c'était l'entrée. Le plat de résistance me fut confectionné par ceux que les journalistes nommèrent «les historiques », vocable sous lequel se retrouvaient en réalité des responsables bien différents les uns des autres, dont un grand nombre que je n'avais vus arriver au Front national que dans les années 80, pour devenir députés. Adorateurs du complot, ils m'accusaient d'être manipulée ? par qui ? On ne savait pas trop, mais pourquoi, ça, on le savait ! Mon objectif, disaient-ils, était d'abandonner les « fondamentaux » du Front national pour, comme Gianfranco Fini en Italie, aller vendre mon parti à «la droite » contre un maroquin ministériel ! Rien que cela ! Il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Moi qui plaidais pour faire du Front national une force politique maître d'oeuvre d'un plus vaste rassemblement, qui pense toujours qu'un jour viendra où nous attirerons à nous des cadres, des élus, des électeurs qui, s'apercevant de l'impuissance de leurs mouvements respectifs, nous rejoindront 258 pour nous permettre, en passant la barre des 50 %, d'appliquer nos idées... j'étais accusée de haute trahison ! Je persiste à me convaincre que le fond de cette affaire est une incompréhension, un malentendu, même si les Bompard (le maire d'Orange), Antony et autre Baeckeroot (représentants d'une minorité des catholiques traditionnalistes) qui initièrent ces rumeurs ont l'intention, quand ils n'ont pas déjà sauté le pas, de vendre leurs idées en passant chez... Villiers, flotteur droit de la majorité UMP. La vie a parfois tellement d'humour ! Alors, s'il faut pour la énième fois dissiper ce malentendu, à ceux qui sont de bonne foi, ceux qui ont vraiment à coeur l'avenir de notre pays et pas la defense de petits avantages acquis, je fais les mises au point suivantes. Je pense que le Front national, s'il faut un jour un parti d'extrême droite, est aujourd'hui un grand parti populaire. Qu'à ce titre, il doit s'apprêter à accueillir en son sein des millions de Français qui le rejoindront, non pas sur des éléments secondaires de son programme, mais sur son seul fondamental : «la défense de notre nation et de nos compatriotes ». Que pour ce faire, il doit se tourner résolument 259 3. vers l'avenir et que, sans oublier le passé, il doit cesser de se quereller sur les guerres d'hier. Qu'il ne peut plus, n'en déplaise à certains, se contenter d'être le caillou dans la chaussure du système, mais se préparer à appliquer ses idées lorsque le peuple l'appellera. Que, fidèle à ses idées, il doit néanmoins tenir compte de la société actuelle pour convaincre de son aptitude à gouverner. Que les jalousies de personnes ou les rivalités de fonction sont stériles et nous éloignent de l'idéal devant lequel nous devons tous nous effacer. Qu'il doit enfin être lui-même à l'image de notre pays, jeunes et vieux, fonctionnaires et professions libérales, paysans et employés, ouvriers et patrons, catholiques, musulmans, juifs et athées, femmes, hommes, anciens communistes ou déçus de l'UMP, rassemblement du peuple français lié par la politique, la vraie, dont Dostoïevski disait qu'« elle est l'amour de la patrie... rien que cela ! ». Pour autant, ces coups de pieds en vache me blessèrent et me révoltent encore. Le summum fut atteint au congrès du Front national de 2003 (chargé d'élire les instances représentatives du mouvement), où le mot d'ordre « TSM : Tous sauf Marine », avait été distillé consciencieuse- 260 ment auprès des délégués départementaux, consigne fondée sur des diffamations, des calomnies, la dénaturation de mes propos ou de mes objectifs. Je me trouvai ainsi reléguée de la dixième à la trente-quatrième place sur cent. Ces opérations n'ont pas grandi ceux qui en sont les instigateurs et je reste face à un abîme de perplexité lorsque l'on sait que quelques-uns des responsables qui me poursuivaient de leur vindicte me connaissaient depuis le berceau! Ils m'ont vue évoluer, ils savent mieux que quiconque ce que j'ai vécu, quelle a été ma vie, quelles sont les épreuves auxquelles j'ai été confrontée, combien il a fallu parfois d'abnégation pour les surmonter et de courage pour ne jamais dériver. J'imaginais qu'ils auraient à mon égard ne serait-ce qu'un a priori positif, qu'ils m'accorderaient au minimum le bénéfice du doute. Non. Quoi que je puisse faire ou dire, j'étais l'ennemi à abattre. S'ils avaient utilisé seulement 30 % du temps qu'ils ont consacré à me faire des croche-pieds à combattre nos adversaires politiques, nous aurions doublé notre score aux dernières élections. J'ai fini par admettre que «Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie ». 261 Mais je me refuse à dépenser mon énergie pour contrer les petites bassesses d'une petite minorité lorsque l'immense majorité des patriotes lutte au quotidien et partage avec moi la certitude que nous avons mieux à faire... Sauver le pays, par exemple ! 262 Chapitre XIV D'élection en élection... « Marine, économise-toi ! » m'avait conseillé mon père dès 2002, lorsqu'il m'avait vue me débattre entre mes déplacements dans les fédérations, les passages dans les médias, mes enfants et mon quotidien politique, qui nécessitaient souvent de travailler sept jours sur sept. Naïvement, je lui avais alors répondu que ça ne durerait qu'un moment, que j'aurais le temps de me reposer plus tard... Depuis, j'ai appris qu'en politique il se passe toujours quelque chose ; les campagnes succèdent aux campagnes, et il faut en effet mesurer son effort si l'on ne veut pas y laisser sa santé. Celle de mon père étant insolente, je ne m'étais jamais rendu compte de l'aspect harassant d'une vie politique bien remplie. Et à cela il y a une raison 263 simple, entre autres : il n'y a que les soirs et les week-ends qu'on peut rencontrer nos compatriotes ; le reste du temps ils travaillent, et ces rencontres s'ajoutent à l'emploi du temps habituel. Les électeurs ont souvent tendance à penser que les politiques se la coulent douce. Rien n'est moins vrai. En tout cas pas tous et surtout pas toutes ! J'avais ainsi eu l'occasion, interrogée par l'Observatoire de la parité, de rappeler que la politique était d'autant plus difficile à exercer pour une femme qu'elle entre en compétition directe avec la vie de famille. Ceux qui n'ont jamais donné d'interview en direct à France Inter enfermé dans les toilettes parce que Jehanne hurle : « Maman, Louis a arraché la tête de ma Barbie ! », ne savent pas ce que signifie être une dirigeante politique avec trois enfants en bas âge... L'année 2004 qui va voir se succéder, coup sur coup, élections régionales et élections européennes, ne va pas non plus être de tout repos ! La campagne commence en réalité un an auparavant. Il faut dire que, disposant d'inf aiment moins de moyens que nos adversaires, nous avons pris l'habitude, telle la tortue, de partir plus tôt. Je dois alors faire un choix. 264 Je suis à ce moment conseiller régional dans le Nord-Pas-de-Calais et les bons résultats que j'ai enregistrés aux législatives de 2002 poussent évidemment mes amis à me demander de rester avec eux. Le choix est cornélien : ça me rend malade de les abandonner, mais en même temps mes enfants sont à Saint-Cloud et je ne me vois pas recommencer à avaler, chaque jour, quatre cents kilomètres, qu'il pleuve ou qu'il vente, pour mener correctement cette campagne. De plus, l'île-de-France est devenue une véritable terre de mission. Le coût de la vie, l'insécurité, les problèmes de logement, le remplacement progressif de population ont fait fuir les classes modestes vers les départements limitrophes à la région, et les résultats du Front national accusent depuis plusieurs années une baisse régulière en 11ede-France. Ainsi, même à la présidentielle où l'on enregistre régulièrement nos meilleurs scores, le résultat en Île-de-France a été de 14,5 % au second tour, soit trois points de moins que le résultat national. C'est un argument pour ne pas y aller. Je décide donc de poser ma candidature ! La nécessaire reconquête de cette région et la relative facilité pratique que me procurera le recen- 265 trage géographique de mes activités politiques non loin de ma vie de famille achèvent de me convaincre, et c'est avec émotion que, lors d'un apéritif, j'informe mes amis et militants du Pas-de-Calais que je repars à Paris. La vie politique étant assez injuste, nous ferons une campagne remarquable avec un résultat... un peu décevant. On trouve d'ailleurs toujours le résultat maigrelet si on l'envisage à l'aune du travail fourni, de l'énergie dépensée et de la conviction qu'on a déployée. Cette campagne régionale très dynamique, qui nous a vus plus d'une fois à 4 ou 5 heures du matin, dans des nuits glaciales, coller nos affiches au Kremlin-Bicêtre ou distribuer des tracts à l'entrée de l'usine de Flins, nous a néanmoins permis de crédibiliser considérablement nos positions. Nous avions rédigé un programme complet et fourmillions d'idées novatrices. Idées reprises plus tard par nos adversaires politiques, comme de coutume. C'est ainsi que, devant le fiasco du collège unique et de la massification de l'enseignement, nous avions alors proposé de revenir à l'apprentissage à quatorze ans, constatant que la formation, dans cette région comme dans tant d'autres, non seulement ne correspondait pas à la demande mais était de plus en plus 266 stérile, laissant des enfants qui n'avaient aucun goût pour le système scolaire s'y ennuyer jusqu'à seize ans. Après nous avoir combattus sur cette proposition durant toute la campagne, le gouvernement Villepin ? auquel appartient un de mes adversaires d'alors, M. Jean-François Copé ? l'adoptera. Nous proposerons aussi que les entreprises ne soient plus subventionnées mais qu'elles bénéficient éventuellement de prêts immédiatement remboursables en cas de suppressions d'emplois ou de délocalisation. Cette proposition vient d'être reprise à l'échelon européen! Nous avions également imaginé la mise en place de vigiles référents dans les lycées, assermentés bien sûr, pour tenter d'enrayer l'augmentation vertigineuse de la délinquance scolaire. Sarkozy fera sienne cette idée, comme il avait fait sienne la création d'une police régionale des transports proposée par le Front national dés... 1986. Il est regrettable que, sur nos propositions fondamentales, la « pompe à idées » ne fonctionne pas aussi bien car la situation de la France s'améliorerait sans doute... Durant cette campagne, je fis la connaissance de Jean-Paul Huchon, candidat socialiste qui s'avéra ? 267 ce qui ne s'est jamais démenti depuis ? un homme courtois et respectueux, qualités qui ne furent pas, loin s'en faut, l'apanage de mon adversaire UMP. Un peu «plombés» par la compétition UMP/UDF représentée par André Santini, nous avons fini à 12,5 %, soit, comme à la présidentielle, trois points en dessous de la moyenne nationale. Cette campagne fut pour moi l'occasion de mesurer la force du clientélisme en milieu urbain où, catégorie sociale par catégorie sociale, profession par profession, communauté après communauté, la politique se fait à coups de promesses ciblées, qu'on ne tiendra pas mais peu importe, et ce en faisant fi de l'intérêt général ! Comme à l'accoutumée, grâce au mode de scrutin savamment mitonné par Jean-Pierre Raffarin pour éliminer le Front national, la gauche ? toujours pas majoritaire dans les urnes ? deviendra ultramajoritaire dans toutes les régions, à une exception près. Parvenus au second tour, nous rejoindrons quand même le conseil régional avec quinze élus. André Santini, tête de liste UDF, ayant démissionné pour éviter le cumul des mandats (il était déjà maire et député), Copé disparu corps et biens (nous l'avons vu deux fois en deux ans au conseil régional !), Jean-Paul Huchon devint, comme chacun sait, président de la région Île-de-France. 268 Je regrette que nos compatriotes ne puissent voir et constater ce que nous faisons pour eux dans les instances régionales, et l'opposition constructive et argumentée que nous y menons. Ils auraient alors, pour beaucoup, une autre image du Front national et de ses élus qui sont, je crois pouvoir le dire, unanimement respectés pour leur sérieux. Tête de liste en Île-de-France pour les régionales, je le fus aussi pour les européennes. Comme aux régionales, il fallut compter sur les missions-sabotages de Ras l' Front (et autres officines subventionnées) qui n'ont comme vision de l'action politique que celle qui consiste à venir sur les marchés, nous hurler dans les oreilles de manière compulsive : « F comme fachos, N comme nazis, non non non au Front national ! » Non seulement c'est un peu répétitif, mais en plus ils chantent faux et ne se fatiguent pas vite. Lorsqu'ils ne font que brandir des pancartes en vociférant, c'est déjà pénible, d'ailleurs beaucoup plus pour nos compatriotes qui aimeraient bien pouvoir nous parler que pour moi qui suis depuis longtemps habituée à ce type d'opération. Mais lorsque, comme ils le firent à Étampes, ils vinrent à cinquante gros bras, dont quelques responsables de la CGT et du Parti socialiste, pour s'en prendre physiquement à nous, c'est évidemment beaucoup plus inacceptable. 269 Je ne sais où ils ont pris leurs cours de démocratie, mais ils ont dû en sécher pas mal... Ce fameux jour, nous étions cinq candidats aux régionales dont trois femmes, venus faire campagne sur le marché d'Étampes, dans l'Essonne. Nous nous étions donné rendez-vous chez notre responsable local, lorsqu'a l'appel de l'habituelle cohorte des associations gauchistes, un attroupement de cinquante ou soixante excités se forma devant sa maison. Le commissaire de police, légèrement inquiet, vint me demander si j'entendais renoncer à la visite du marché que j'avais programmée. C'était mal me connaître. A peine sortis de la maison où nous étions réunis, les coups suivirent rapidement les insultes, et les échauffourées entre la police et les contre-manifestants persuadèrent rapidement le commissaire de faire appel aux CRS. Tétue comme le veut mon demi-sang breton et malgré l'insistance du brave commissaire de plus en plus inquiet devant l'agressivité des démocrates de gauche, nous fîmes une heure de campagne sur le marché au milieu d'un carré de CRS en panoplie complète de ninjas : protège-tibias, matraque, bouclier et casque. Inutile de préciser qu'aucun de nos électeurs ne pouvait nous approcher ni même nous parler, mais il 270 ne serait pas dit que nous avions cédé à cette violence. Je voulais que les habitants d'Étampes voient à quoi nous étions sans cesse confrontés et comment se comportait la gauche, qu'ils voient les CRS et nous cinq harcelés, agrippés par nos vêtements, et les échauffourées provoquées par ces « défenseurs des droits de l'homme et du citoyen ». Je voulais qu'ils entendent aussi ce militant de la CGT crier à Huguette Fatna, candidate dans le département mais originaire de la Martinique : « Sale négresse, t'es une traîtresse à ta race ! » Qu'ils entendent aussi ces hommes courageux traiter les femmes que nous sommes de « salopes » et de « sales putes ». Mission accomplie ! J'ai regretté quand même un peu en partant que le commissaire ait le nez en sang, mais il était exclu que ce jour-la, comme hier, comme clans l'avenir, nous capitulions devant les pressions. Eh oui ! La politique, en tout cas au Front, n'est pas un long fleuve tranquille... et devant de telles pratiques, il n'y a guère à s'étonner, au fond, que nos concitoyens désertent les urnes. Les taux d'abstention n'ont en effet cessé de grimper dans notre pays ces vingt dernières années, constituant en Europe la véritable « exception fran- 271 çaise »1. Ceci témoigne sans doute moins du désintérêt des Français pour la politique que du peu d'estime qu'ils portent en général aux élus. J'en tiens d'ailleurs la classe politique pour grandement responsable. Il faut bien reconnaître que par leur comportement, leur absence d'éthique, de morale élémentaire, en trichant, en tapant dans la caisse, en mentant, nombreux sont ceux qui ont contribué à donner de la politique une image vile et dégradée. Quant à ceux qui l'exercent, ils passent pour profiteurs, âpres au gain, aveugles et sourds à tout ce qui ne sert pas leurs intérêts propres. Or la politique, lorsqu'elle est menée par des honnêtes gens, est à mes yeux l'art le plus noble. C'est celui qui consiste à s'occuper des autres lorsque tout pousse à ne s'occuper que de soi ; la plus belle preuve d'estime et d'amour envers ses 1. Taux d'abstention : ? second tour des élections présidentielles : 1965: 15,4 %, 2002: 28,4%; ? second tour des élections législatives : 1958: 25,2 %, 2002 : 39,7 %; ? élections européennes de 2004: 57,2 %. À noter que la France est, en outre, l'un des rares pays on ne sont pas comptabilisés les bulletins blancs ou nuls. 272 concitoyens puisqu'elle tend avant tout à améliorer leur existence et assurer leur avenir. Elle est en réalité un don de soi, un refus du fatalisme, la concrétisation d'une foi, d'un espoir en un monde meilleur. Mais je comprends le peuple français de l'avoir oublié, tant certains de nos dirigeants se sont rendus indignes des mandats qui leur avaient été confiés. Leur amoralité est telle qu'ils en avouent même parfois leurs turpitudes avec une naïveté désarmante ; ainsi Charles Pasqua qui, sans vergogne, déclara un jour : « Les promesses n'engagent que ceux à qui elles sont faites ! » Et que penser de Loïc Le Floch-Prigent, grand patron socialiste ? l'ex-PDG d'Elf au coeur du retentissant procès où fut notamment impliqué le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas ? à qui les journalistes ayant demandé : « Avez-vous versé des commissions occultes à tous les partis politiques ? », fit cette réponse magnifique : « Ah non, pas au Front national ! Question d'éthique ! » Belle éthique en effet que celle qui consistait à détourner l'argent des entreprises au profit des politiques, de sa famille et de ses amis pendant qu'on refusait les augmentations de salaire aux employés du groupe. Ça, c'est du socialisme à la française ! 273 La corruption a un prix et celui-ci est toujours payé par les contribuables ou les consommateurs, souvent les deux. En la matière, il semblerait d'ailleurs que ces grandes déclarations de principes mènent tout droit ceux qui les professent à la Santé ou à Fresnes. Ainsi les « rénovateurs » ? les Noir, Carignon et consorts, vertueux défenseurs de la « morale républicaine » qui n'avaient su, en l'espèce, que rénover la corruption ? déclaraient à propos d'une éventuelle alliance avec le FN : « Nous préférons perdre les élections que perdre notre âme ! » Ils ont eu le temps d'y réfléchir en cellule. Au terme de la campagne des européennes, en juillet 2004, grâce à un scrutin en partie proportionnel, nous sommes sept élus Front national à assister à la première séance du Parlement européen à Strasbourg. Le Parlement européen, disons-le sans détour, c'est la tour de Babel ! 732 députés représentent 450 millions de citoyens des vingt-cinq pays de l'Union, pour un coût de 16 milliards d'euros par an pour la seule France ? dont 3,4 milliards ne lui sont pas redistribués. Strasbourg c'est aussi vingt-cinq langues différentes, une armée de traducteurs... 274 On nous a souvent posé la question : «Pourquoi vous présentez-vous aux élections européennes puisque vous êtes contre l'Europe telle qu'elle se construit ?» La réponse est évidente : qui donc informerait les Français de ce qui se déroule là-bas dans leur dos, si ce n'est nous ? Qui les préviendrait qu'ils n'ont plus sur leur avenir que l'apparence du contrôle, celui-ci étant incontestablement détenu aujourd'hui par les technocrates de Bruxelles ? Qui les informerait que leurs services publics sont en train d'être sacrifiés sur l'autel de l'ultralibéralisme, que la directive Bolkestein, même revisitée, contient à terme la mise en concurrence sauvage de nos emplois avec des pays dont le coût horaire du travail est jusqu'à dix fois moins élevé que chez nous ? Que l'Europe cherche à imposer le droit de vote des immigrés même extra-européens dans tous les pays de l'Union ? Qu'ils ne peuvent plus décider aujourd'hui de la politique agricole, monétaire, économique, ni de la politique d'immigration qu'ils veulent voir appliquer dans leur propre pays ? Que plus un seul domaine de leur vie n'échappe aux fourches Caudines de Bruxelles ? 275 4."11 p\E~ ~~~ i~- Tous ces éléments que les Français ont finalement découverts, pour certains avec effarement, lors du référendum de mai 2005 sur la Constitution européenne, moment, où sortant enfin de l'utopie, on a pu faire un premier bilan de la construction européenne. Une Europe qui, avec l'assentiment de la gauche et de la droite, s'est emballée dans une fuite en avant, et dont les résultats, dans tous les domaines où elle est intervenue au cours des années, se sont révélés catastrophiques. Ils ont fait l'Europe du charbon et de l'aller, il n'y a plus de charbon, il n'y a plus d'acier ! Ils ont fait l'Europe de la pêche et de l'agriculture, les pêcheurs et les paysans sont en voie de disparition ! Ils ont exigé et obtenu la suppression de nos frontières nationales, nous expliquant que l'Europe nous protégerait. Leurs frontières sont inexistantes, la pression migratoire n'a jamais été aussi forte et des pans entiers de notre économie sont dévastés par une concurrence sauvage de produits à un coût de production quasi nul. L'industrie de la chaussure, la sidérurgie, l'industrie du textile, l'électroménager et tant d'autres branches de l'économie meurent les unes après les autres. Ils nous ont vendu l'Europe sociale, la compétition 276 au sein même de l'Europe transforme petit à petit notre salaire minimum en salaire maximum ! La mauvaise foi le disputant à l'irréalisme, cette campagne du référendum sur la Constitution européenne fut émaillée d'un florilège de déclarations des européistes toutes plus farfelues les unes que les autres. On trouvait de tout. Et encore et toujours les « démocrates ». M. Juncker, par exemple, à l'époque président en exercice de l'Union : « Si c'est oui, nous dirons donc on poursuit. Si c'est non, nous dirons : on continue!» Ou Valéry Giscard d'Estaing : «C'est une bonne idée d'avoir choisi le référendum à condition que la réponse soit oui. » Il y eut aussi les «je-ne-vois-pas-le-rapport » comme Jack Lang : « Je ne comprends pas que la France qui veut organiser les Jeux Olympiques dise non à l'Europe. » Les injurieux tels Rocard : « Le non et ses partisans représentent une pollution, une simplification et un mensonge, le choix du néant, une piscine sans eau, une agitation d'analphabètes. » Les lyriques comme M. de Villepin : « Une France humiliée qui aura du mal à se regarder elle-même et aura du mal à se regarder dans les yeux des autres parce qu'elle aura soudain rapetissé. » Les grands traumatisés du type Hollande : « Dois-je rappeler le 21 avril ? Tout est possible ! L'invraisemblable, la crise, l'irrationnel. » Les modestes, encore Giscard d'Estaing: « C'est un texte facilement lisible et assez joliment écrit. Je le dis d'autant plus aisément que c'est moi qui l'ai rédigé. » Enfin mil ne peut égaler Jean-Pierre Raffarin qui concluait cette campagne par une superbe lapalissade, art dans lequel il excelle, jointe à une recommandation qui ne manque pas d'air : « Ceux qui votent non sont mécontents de l'Europe ; un bon non est un non qui s'abstient. » Et sans oublier bien sûr, prononcé avec un accent que n'aurait pas renié Maurice Chevallier, son magnifique « And the yes needs the no to win against the no» qui passera, n'en doutons pas, à la postérité. Eh bien, monsieur Raffarin, non seulement les Français ne se sont pas abstenus, mais ils ont dit à 55 % qu'ils étaient mécontents de cette Europe-la! Le fantastique intérêt que nos compatriotes ont nourri à l'égard de la politique lors de ce référendum a démontré qu'ils entendaient à nouveau avoir leur 278 mot à dire. Ceci légitime, me semble-t-il, la proposition du Front national qui avait, dès 2002, envisagé d'instituer une consultation populaire annuelle, sur tous les grands sujets qui les concernent au premier chef : désengagement européen et rétablissement du franc, immigration, défense nationale, taux de fiscalité, école... Car ce qu'a révélé plus que tout cette campagne du référendum, c'est l'immense fracture qui s'aggrave année après année entre les Français et leurs élites. Les « élites », cette caste politique et intellectuelle spécifique à la France, est une sorte d'aristocratie constituée d'individus formés dans les mêmes écoles, se cooptant entre eux, interchangeables : politiques devenant grands patrons, directeurs de chaîne ou de radio devenant politiques au gré de leurs humeurs et de leurs intérêts. Cette pseudo élite totalement déconnectée de la réalité, qui arrive avec cinquante caméras dans les quartiers après que la police eut prié les dealers d'aller dealer plus loin ; qui ne visite les barres HLM qu'après que la municipalité eut fait retirer les seringues dans les halls d'entrée, et passé un coup de peinture sur les graffitis. Des élites caméléons de la politique, sans conviction, qui ne forgent leur parcours qu'en fonction des places libres dans tel ou tel mouvement. Qui se 279 coalisent lorsqu'un nouveau venu risque de piétiner leurs plates-bandes. Qui expliquent doctement que «les Français ne veulent pas travailler » sans savoir que beaucoup de nos compatriotes ont deux boulots : l'un déclaré et l'autre au noir, pour pouvoir s'en sortir ! Qui tombent des nues lorsqu'on leur explique qu'on peut être policier le jour et peintre la nuit, qui ouvrent de grands yeux lorsque le peuple qu'ils manipulent si aisément et depuis si longtemps leur dit NON ! Cette élite représentative d'un système qui finit par être honni tant il est tout à la fois inefficace, démotivant et moralisateur. Nos compatriotes, lassés des mensonges, des manoeuvres, des leçons, ne se rendent pas compte du pouvoir réel qui est le leur. Depuis qu'ils ont goûté à la déconfiture desdites élites le soir du 21 avril 2002, ils n'en finissent plus de leur concocter des surprises, souvent pour le simple bonheur de voir leurs bobines effarées annoncer l'arrivée de Le Pen au deuxième tour ou la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne! Ces visages hagards d'une élite qui a la gueule de bois sont la petite revanche d'une France qui n'en peut plus. 280 Mais lorsque les Français s'apercevront qu'ils peuvent faire mieux et se choisir un véritable représentant, alors les choses changeront. Lorsqu'ils ne se contenteront plus d'élire Magalie à la Star'Ac parce que « ça emmerde le bourgeois » de voir gagner une fille du peuple, courageuse, accrocheuse mais loin des normes esthétiques et sociales du système. Lorsqu'ils ne se contenteront pas de dire qu'ils trouvent Ségolène Royal très bien, juste pour « emmerder » les éléphants machos du PS, notables bouffis d'orgueil d'un parti de bobos. Lorsqu'ils ne se contenteront pas de dire que « pour finir, il a raison Le Pen », cela dans le seul but de voir les aristocrates de la politique danser sur des charbons ardents, alors ils reprendront les rênes de leur destin en les confiant à quelqu'un qui leur ressemble ! Les responsables politiques qui jouent de la lutte des classes, de la lutte des âges, de la lutte des sexes, de la lutte des couleurs de peau pour s'attirer des électeurs par identification, n'ont pas compris que représenter le peuple, c'est tout bonnement partager ses aspirations à la sécurité, à la prospérité, à la protection de sa famille, à l'identité, à des valeurs, à l'épanouissement personnel. Car faire peuple, ce n'est pas représenter le peuple. Le premier n'est que du marketing, le second, de l'amour. Dans un texte remarquable titré Que peuvent être les hommes, les meilleurs dans une démocratie 1, Claude Polin rappelle ainsi que la démocratie est le contraire de l'aristocratie, qu'il ne peut pas y avoir d'élite dans une société où tous sont réputés égaux. Il écrit : « Celui que le peuple choisit pour le représenter est extraordinaire, surtout parce qu'il n'est pas une seule de ses paroles qui ne doive pouvoir passer pour avoir été prononcée par le peuple lui-même, par chacun de ses citoyens. Il n'est que l'ombre du peuple, mais que ce peuple projette en avant de lui pour mieux le suivre. » Or, si l'on écoute nos gouvernants, on ne comprend simplement pas pourquoi ils aspirent à nous diriger. Ils n'ont de cesse d'affirmer que le peuple français est paresseux, refuse les réformes, n'arrête pas de se plaindre, quand il n'est pas en plus raciste, xénophobe et trouillard. Ne leur en déplaise, le peuple français est un grand peuple courageux, lucide, généreux, ambitieux, qui cherche désespérément un dirigeant à sa mesure, « un homme à projeter en avant de lui pour mieux le suivre ». Il l'a pourtant déjà croisé... 282 Chapitre XV Quel peuple ? Racistes ! ? Longtemps, je me suis posé la question de savoir pourquoi l'accusation de racisme pesait sur Jean-Marie Le Pen depuis la création du Front national, au début des années 70. C'était d'autant plus incompréhensible que, à l'époque, la France venait de vivre le conflit algérien dans lequel mon père avait été à la pointe du combat pour le maintien de l'Algérie dans la France, donc pour « la France de Dunkerque à Tamanrasset », comme disait de Gaulle avant 1962. Si, comme on le dit, il avait été raciste, il se serait, à n'en pas douter, réjoui de l'abandon de ce territoire.  mon sens, l'explication est tout autre. Le Pen fut le premier à pressentir que l'immigra- 283 Alm tion, telle qu'elle était envisagée, entraînerait des conséquences néfastes sur le plan économique et social ; il en fit un thème de campagne central du tout jeune mouvement qu'il venait de créer. Or à l'époque, personne ne percevait l'immigration comme un problème ; il fut par conséquent assez facile à ses adversaires d'en déduire que sa motivation pour s'opposer à celle-ci ne pouvait être que le rejet de l'étranger. Donc, le racisme et la xénophobie. Le supposé racisme de Jean-Marie Le Pen reposait sur un axiome simple : puisqu'il n'avait pas dénoncé les vagues d'immigration précédentes ? immigration alors européenne, rappelons-le ? et ne se mettait à le faire que lorsque le courant provenait du Maghreb ou de l'Afrique noire, c'était bien la preuve que la religion ou la couleur de la peau étaient en cause. C.Q.F.D. Une fois encore, l'adage se vérifiait : « Avoir raison trop tôt c'est une autre façon d'avoir tort. » En réalité, pour précoce et peu agréable à entendre qu'elle fût, l'analyse de mon père s'est trouvée depuis, hélas, justifiée par les faits. En ces années 70, l'immigration a en effet changé de nature. L'arrivée dans notre pays des Italiens, des Polonais, des Espagnols était fondée sur une démarche tout à la fois individuelle et volontaire. Cette immigration 284 était le fait d'hommes et de femmes qui avaient choisi la France, pas nécessairement pour devenir Français, mais pour travailler sur notre sol, attirés qu'ils étaient par la fascination qu'exerçait encore la France et tout ce qu'elle représentait : un pays de liberté, imprégné d'une culture dense et riche. Un pays respectueux d'un certain nombre de valeurs issues du siècle des Lumières : la Raison, l'Égalité, la Fraternité. On voyait bien, et l'avenir le confirma ensuite, qu'il s'agissait d'une véritable adhésion à l'âme de la France. La naturalisation de ces immigrés, lorsqu'ils l'ont demandée, était la concrétisation naturelle de cette communion. Parce qu'ils respectaient notre mode de vie, nos principes républicains, notre histoire, notre culture, nos valeurs, qu'ils y adhéraient fondamentalement, ils se sont fondus dans la communauté nationale qui les a assimilés. Ce ne fut certes pas toujours facile, mais il faut admettre que cette assimilation fut un succès et que ces fils et filles d'ailleurs sont devenus des fils et filles d'une France à laquelle ils sont souvent plus attachés que ne le sont même certains Français plus anciens qu'eux, lesquels n'ont pas eu à se battre pour partager son destin. 285 Mais au début des années 70, les choses ont changé.  la demande du grand patronat, le pouvoir politique a fait appel à l'immigration. Il n'est pas sorcier de comprendre, comme l'avouera Georges Pompidou dans ses Mémoires, que le grand patronat fit là un choix mercantile. Plutôt que d'investir dans la technologie en plein essor ou de revaloriser le travail manuel, ils préférèrent répondre aux besoins immédiats et faire venir des travailleurs étrangers, pour peser à la baisse sur le coût du travail. L'objectif, comme toujours, est le profit à court terme, ce profit qui les fait aujourd'hui choisir les délocalisations au détriment des travailleurs de notre pays. Et le pouvoir politique, limité lui aussi par son désir de réélection facile, se soumet à ce choix. Il croit même en tirer un bénéfice supplémentaire et inattendu, en pariant que cette immigration pourra inverser la tendance à la dénatalité qui commence alors à frapper sévèrement l'Europe. Sous la houlette de Jacques Chirac, Premier ministre de Giscard, le gouvernement commet même une erreur supplémentaire, aux conséquences délétères incalculables : il met en place le regroupement familial. La philosophie qui préside à ce choix est simpliste : 286 puisque les Français ne font pas assez d'enfants et que ce déficit compromet à terme notre système de retraite, fabriquons des Français en feront à leur place. Par la voie du regroupement familial et de l'acquisition automatique de la nationalité française en vertu du droit du sol, l'immigration de travail va dès lors devenir une immigration de peuplement. C'est le moyen pratique ? du moins le croient-ils ? pour résoudre tout à la fois les problèmes à court terme du patronat, comme les enjeux à long terme du déficit de la natalité. Le Pen, lui, fait une analyse inverse. Il dit que la dévalorisation du travail manuel entraînera, à terme, un déséquilibre profond du marché du travail et de la nécessaire harmonie nationale. Ayant de surcroît à coeur la défense des travailleurs français, il considère comme moralement condamnable l'option du profit fondé sur l'écrasement des salaires. Quant à la baisse de la natalité, il plaide pour une solution beaucoup plus logique dans l'intérêt de la France, la mise en place d'une grande politique familiale. Si l'on veut que nos compatriotes fassent des enfants, il faut leur donner les moyens de les élever dans les meilleures conditions. Il est piquant de constater qu'à l'époque, le Parti communiste imprimait des affiches sur lesquelles on 287 pouvait lire : « Produisons français » ou « Vivre et travailler au pays ». Les communistes militaient alors pour la préférence nationale ! Des considérations ultérieures de basse politique les feront pourtant changer leur fusil d'épaule, les transformant en partisans convaincus de l'immigration, et en adversaires déclarés du concept de nation ! Tous les ingrédients étaient évidemment réunis pour faire de la France, en quelques années, un eldorado vers lequel se tourneraient les populations déshéritées du monde entier : absence quasi totale de conditions à l'immigration, pas même celle d'avoir un contrat de travail, des aides sociales accordées à tous les étrangers, y compris pour certaines aux clandestins, l'acquisition automatique de la nationalité française aux enfants nés sur le territoire, l'accès gratuit aux soins ? y compris pour les irréguliers ?, l'accès gratuit à l'école, la priorité dans les logements sociaux, la nationalité française accordée dans des délais de plus en plus brefs sans aucun engagement ni aucune condition particulière... Comment leur en vouloir ? Comment ne pas comprendre qu'un Malien ou un Chinois vienne en France s'il sait qu'il pourra y obtenir cent fois plus pour faire vivre sa famille 288 qu'il ne gagnerait chez lui en travaillant douze heures par jour ? La fantastique attraction que représente l'ensemble de ces avantages est évidemment irrésistible pour des gens qui, très légitimement, aspirent à fuir la misère. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours dit que nous n'en voulions pas aux immigrés, notre critique s'étant toujours focalisée non pas sur eux ? qui n'y sont pour rien dans ce laxisme absurde ? mais sur les politiques responsables, par leur aveuglement, de cette déferlante. Comment ne pas voir que, parallèlement, la classe politique ? que ce soit sous le règne de Giscard d'Estaing, celui de Mitterrand ou sous Chirac ? a fait le choix cynique du pillage et de la corruption à l'égard des pays africains. Pillage que veut aujourd'hui aggraver Sarkozy en retirant à ces pays leurs élites par la voie de l'immigration choisie, interdisant de ce fait toute possibilité pour le continent africain de se sortir de son marasme. Il fallait au contraire mettre en place une grande politique de coopération avec eux afin de leur permettre de se développer économiquement et ainsi contribuer à fixer les populations sur leur sol d'origine en leur donnant les moyens d'obtenir par un emploi local des conditions de vie décentes. On ne quitte jamais sa patrie de gaieté de coeur. 289 On le fait parce que l'on pense, à tort en l'espèce, que l'on trouvera ailleurs un avenir meilleur pour ses enfants. Racistes ! ? Qui sont les racistes ? Ceux qui, comme nous, jouent la franchise et leur disent que nous ne pouvons plus les accueillir ou ceux qui continuent à les faire venir pour les loger dans des hôtels insalubres parce que l'ensemble des logements sociaux sont déjâ surchargés par ceux qui sont arrivés avant eux ? Qui sont les racistes ? Ceux qui veulent, comme nous, d'abord tenter de nourrir l'ensemble de nos compatriotes ou les nouveaux esclavagistes qui font venir cette main-d' oeuvre étrangère pour la faire travailler pour des salaires de misère ? Qui sont les racistes ? Ceux qui nomment un préfet parce qu'il est musulman ou un présentateur télé. parce qu'il est noir, ou nous qui les aurions nommés parce qu'ils étaient compétents ? Les racistes ne sont pas ceux qui, comme nous, parlent avec la raison. Nombre de ces étrangers comprennent parfaitement que nous défendions notre peuple avant tout. Les racistes, ce sont ceux qui leur vendent du rêve, un travail qu'ils n'auront pas, sans avouer que l'assi- 290 milation est devenue impossible et que l'ascenseur social est bloqué. Les racistes, ce sont les bourgeois de l'UMP et du PS qui inscrivent leur progéniture dans des établissements privés et dont la sortie ressemble à une caricature de l'apartheid, pleine de petits enfants blancs et nounous noires. La gauche et la droite sont impardonnables et leurs responsabilités, dans ce dossier de l'immigration, me paraissent réellement écrasantes. On a souvent accusé le Front national d'être « obsédé » par l'immigration, de ne parler que de cela. C'est faux, nous parlons évidemment de bien d'autres sujets. Mais la vérité c'est que l'immigration, si elle n'est pas le seul problème de la France, loin s'en faut, est néanmoins l'un des plus graves et des plus lourds de conséquences. Beaucoup de nos compatriotes commencent ainsi à se rendre compte que ce problème a été minimisé, caché, rendu tabou pendant trente ans à coups de déclarations lénifiantes sur la générosité, la fraternité, quand on ne prétendait pas ? pour se débarrasser de la question, sans doute ? que l'immigration avait été stoppée en France depuis 1974 ! Dans le temps de cette migration encouragée, la conjonction de l'abolition des frontières dans le cadre de la mondialisation ? et l'irruption de l'idéologie multiculturaliste, concept d'extrême gauche, conduisaient à une attaque en règle contre la nation et ce qui constitue son essence. La nation est un cadre. C'est un espace politiquement, culturellement et économiquement délimité ; il est nécessaire, à notre sens bénéfique et protecteur. À l'évidence, tous ne l'entendent pas ainsi. Certains voient au contraire dans la nation un cadre contraignant qu'il faut contribuer à détruire pour ne pas gêner leurs aspirations. C'est vrai pour les internationalistes de gauche, gênés qu'ils sont par un espace qu'ils jugent politiquement et culturellement étriqué, mais c'est vrai également pour les grandes multinationales, gênées, elles, par un espace économiquement restreint. C'est ainsi que les entreprises multinationales cotées en Bourse se retrouvent main dans la main avec l'extrême gauche mondialiste, qu'elle soit « alter » ou non. Or, le moyen de saboter une nation consiste, d'abord et avant tout, à faire disparaître ses frontières. C'est chose faite. Nos frontières ont aujourd'hui disparu, la libre circulation des biens et des person- 292 nes est totale au bénéfice de certains et au détriment de tous les autres. Mais une nation, ce n'est pas un simple espace géographique. C'est aussi la cohérence de son peuple, une cohésion culturelle. L'idéologie du multiculturalisme en fut la grande destructrice. Elle a consisté d'abord en une attaque en règle de l'assimilation, celle-là même dont j'ai dit tout à l'heure qu'elle avait permis aux premières vagues d'immigrés de faire partie intégrante du peuple français ; donc celle aussi qui s'est appliquée à marginaliser au maximum les différences linguistiques, régionales, culturelles. L'assimilation dont l'école fut longtemps le berceau d'où naissaient des générations de Français chez qui, parfois à coups de règle sur les doigts, on inculquait ce que nous avions en commun plutôt que ce qui nous différencie, et souvent nous divise. Les Bretons ont ainsi abandonné de force le breton et les petits créoles avaient interdiction de parler leur langue à l'école. Faut-il rappeler que l'unité linguistique de la nation était l'un des grands idéaux porteurs d'égalité de la Révolution de 1789, cette révolution si chère au coeur de la gauche ? La période révolutionnaire mit en valeur le senti- t 293 ment national. Ce sentiment de patriotisme s'étendit aussi au domaine de la langue et l'on associa alors pour la première fois langue et nation. La langue devenait une affaire d'État : il fallait doter d'une langue nationale la République une et indivisible, laquelle n'était pas conciliable avec le morcellement linguistique et le particularisme des anciennes provinces. Il faudrait relire l'abbé Grégoire, dénonçant une France qui en était encore linguistiquement à la tour de Babel alors que, pour la liberté, elle formait « l'avant-garde des nations ». La Révolution française marqua la naissance de l'idée que l'unité politique passait aussi par l'unification linguistique. C'est un concept qu'on semble avoir totalement oublié, sinon sciemment rejeté. Il y a moins d'un siècle, on trouvait encore en Bretagne ? dans les bus, les écoles ou autres lieux publics ? des panneaux portant : «Interdiction de parler breton et de cracher par terre. » Cinquante ans après, on rétablissait la signalisation bilingue et Jack Lang, voilà trois ou quatre ans, affichait sa volonté de subventionner les écoles Diwan où l'enseignement n'est dispensé qu'en breton ! On ne peut que s'interroger sur des revirements politiques aussi radicaux. Où en est cet idéal commun lorsque nous, parents, lisons dans le cahier de correspondance de nos 294 enfants le texte suivant : « Les familles de nationalité ou d'origine algérienne, espagnole, marocaine, portugaise, tunisienne, turque qui souhaitent que leur enfant suive un cours de langue et de culture d'origine sont priées de le faire savoir dans les plus brefs délais» ? Cela alors que de plus en plus d'enfants arrivent en sixième sans maîtriser ni la langue française, ni l'écriture ! Ce pseudo-respect des cultures, régionales ou étrangères, a interdit de facto, on le voit bien, l'assimilation des populations immigrées, cela au prétexte qu'elle serait une violence faite à l'individu. Certes, l'assimilation est incontestablement une violence tant il est vrai que renoncer à une partie de sa culture ou à la pratique de sa langue pour en acquérir une autre, c'est abandonner une partie de soi et que, pour cela, il est nécessaire de se faire violence. Violence d'autant plus forte que la culture d'origine sera éloignée de la nôtre... Et c'est justement ce sacrifice et cet effort sur soi qui sont le gage d'une volonté avérée d'entrer dans la communauté nationale. C'est par cette preuve du désir d'un destin commun, ce témoignage de l'amour porté à la France, que celui qui oeuvre ainsi à son assimilation 295 est d'autant mieux accueilli par la communaute nationale. Nos compatriotes de toutes origines, aujourd'hui assimilés, peuvent témoigner des sacrifices qu'ils ont consentis, mais ils ont été payés de retour par leur pleine adoption par la nation française.  cette mécanique républicaine de l'assimilation, la gauche, suivie en cela comme un toutou par la droite, a substitué au fil du temps la chimérique et dramatique idéologie de l'intégration. Réfutant l'idée d'un peuple pétri de la même culture, élevé dans les mêmes valeurs, se sentant un destin commun, cette idéologie a préféré mettre en avant l'idée selon laquelle un pays serait uniquement constitué d'une somme d'individus épars. Partant de là, il fallait que les immigrés, d'où qu'ils viennent, conservent scrupuleusement leur identité et ne cherchent surtout pas à s'assimiler. Ils se devaient de conserver leur mode de vie, d'exprimer publiquement leur religion, de garder leur langue, leurs traditions vestimentaires, leurs valeurs quand bien même celles-ci étaient en contradiction flagrante avec les nôtres. Ceux ? et ils furent infiniment nombreux ? qui acquéraient la nationalité française, ne devenaient pas simplement des Français, comme cela avait toujours 296 été, mais des «Français d'origine immigrée », et leurs enfants des «Français de la deuxième ou troisième génération». L'apologie de la différence s'est vite transformée en théorie de la division, de la fragmentation, nourrissant le communautarisme qui heurte aujourd'hui de plein fouet notre unité et notre cohésion nationale. Ces idéologies dangereuses, imposées par les gouvernements français depuis trente ans, ont dépassé les plus folles espérances de leurs promoteurs car, entre-temps, le phénomène migratoire était devenu massif. Tellement important en nombre qu'on peut même se demander si nous aurions pu assimiler un tel flux d'étrangers pour autant que nous l'eussions voulu! En effet, assimiler deux ou trois enfants étrangers dans une classe de trente élèves est aisé, mais lorsqu'on recense, comme aujourd'hui, jusqu'à dix-sept nationalités différentes dans cette même classe, qui s'assimile à quoi et dans quel sens, au juste ? Le constat chiffré est aujourd'hui catastrophique. Il entre chaque année dans notre pays 350 000 immigrés légaux, et selon les conclusions du rapport du sénateur de Guyane (M. Othilly, socia- liste), ce sont 600 000 immigrés illégaux qui les rejoignent. 5 % seulement des entrants légaux disposent d'un contrat de travail. Soit, si l'on additionne les immigrés légaux et les clandestins, 17 500 immigrés qui entrent dans notre pays avec un contrat de travail quand 933 500 n'en ont pas ! Toutes catégories confondues, la France a accueilli en trente ans plus de 15 millions d'immigrés. Cela, comme je l'ai dit plus haut, alors que la machine à fabriquer des Français était hors service et que, derrière les trente glorieuses, s'annonçaient les trente piteuses. Le poids économique et social de l'immigration devenait insoutenable pour la communauté nationale et pour son économie fragilisée par des choix plus hasardeux les uns que les autres. Au moment où la France se débat dans une situation économique proche du dépôt de bilan, nos gouvernants continuent à faire payer, au propre comme au figuré, le coût de leur utopique générosité mondiale aux seuls Français qui travaillent et qui sont, comme on le sait, de moins en moins nombreux à le faire ! Car il n'est pas nécessaire d'avoir fait l' ENA pour comprendre que les centaines de milliers d'immigrés 298 qui rentrent en France chaque année sans pouvoir subvenir à leurs propres besoins, deviennent peu à peu à la charge des contribuables. Pas besoin non plus de sortir des grandes écoles pour comprendre que la France n'a précisément plus les moyens de telles largesses. Lorsque le pouvoir politique a, par bêtise ou par lâcheté, imposé aux Français de loger tous ces gens, de les soigner, d'éduquer leurs enfants, d'assurer la prise en charge financière de la population pénale qu'ils constituent à hauteur de 30 %, de leur attribuer des aides de plus en plus nombreuses pour couvrir les frais d'électricité, les vacances, la cantine, la rentrée scolaire... mais aussi les allocations familiales, allocation de parent isolé, allocation jeunes enfants... prestations dont la liste a même du mal à être tenue de manière exhaustive par les services concernés, tant elles sont nombreuses et variées. Et ne parlons même pas des aides versées à ceux entrés frauduleusement sur notre territoire. Il faut être naïf ou malhonnête pour penser que cette situation peut encore perdurer. On a cru qu'en accordant la nationalité française à la louche on camouflerait le problème. Mais les épaves des voitures calcinées, lors des émeutes de novembre dernier, ou les violences observées contre les manifestants anti-CPE ce printemps, n'en sont qu'un épiphénomène. Chacun peut constater aujourd'hui que nous sommes confrontés à une juxtaposition de populations qui, privées du ciment national, se constituent en communautés antagonistes pour obtenir des avantages financiers ou politiques. Enfant naturel de l'immigration non contrôlée et de l'abandon des principes de l'unité nationale, le communautarisme a explosé en France au cours des dix dernières années. Le communautarisme fait de la communauté ? ethnique, religieuse, culturelle, sociale, politique, sportive... ? une entité supérieure en droit aux valeurs universelles au nom desquelles les démocraties modernes se sont construites. Le communautarisme se situe à l'exact opposé de l'universalité dont on nous vantait dans le même temps les mérites à l'école publique. Il constitue la dérive obligée des sociétés sans repère. Sur d'autres continents, on parlerait volontiers de tribalisme et à d'autres époques, de féodalisme. Son apparition au détriment de l'État a toujours été analysée comme une régression. Comment peut-on alors le considérer aujourd'hui comme un progrès ? 300 Comment peut-on le laisser prospérer et même s'étatiser ? Car du jour où les associations, représentant chacune une communauté, ont sollicité et obtenu des financements publics, est apparu un communautarisme d'État taisant son nom et préférant se retrancher derrière les vocables plus politiquement corrects de « discrimination positive », «diversité » ou « égalité des chances ». C'est ainsi que depuis de nombreuses années, le pourcentage d'associations communautaires financées par les deniers publics au niveau national, régional ou départemental, a augmenté de manière vertigineuse, nos politiciens ayant vite compris tout l'intérêt qu'ils pouvaient tirer de l'existence de clientèles électorales identifiables, finançables et donc rendues captives. On ne peut que constater avec déplaisir, et je le fais tous les jours au conseil régional d'Île-de-France, que l'ensemble de la politique de la ville, qui représente au niveau national des milliards d'euros chaque année, est intégralement axée sur le maintien systématique de ces populations dans leur culture d'origine. On subventionne l'association des travailleurs turcs ou l'association des femmes sénégalaises... Refusant ceux qui ont vraiment la volonté de s'as- 301 ro similer, cette politique, assez méprisante d'ailleurs, consiste à ne proposer que concours de rap, concerts de hip-hop ou séances de cinéma pour aller voir « Retour au bled», quand ce n'est pas des chantiers d'insertion au Mali. Que ceux qui voudraient découvrir Mozart ou visiter les châteaux de la Loire le fassent donc ailleurs, sans le soutien des collectivités publiques ! Par faiblesse ou par clientélisme, le pouvoir politique cède donc à toutes les revendications, y compris les plus nocives pour notre République. Dans ce climat de laisser-aller, toutes ces revendications minoritaires issues de communautés sexuelles, ethniques, religieuses, régionalistes sont donc prises en compte, chacune contribuant à faire s'effondrer les piliers de notre société. Et lorsque le mouvement est lancé, il ne peut à l'évidence que s' accélérer. Chaque communauté d'individus se croyant obligée de se trouver des particularismes auxquels l'État doit répondre par des réformes législatives ou réglementaires, la priorité est de se faire reconnaître une spécificité pour sortir de la norme, avec, in fine, le refus de se plier aux règles sociales presque unanimement admises. C'est ainsi qu'avec inquiétude, les Français ont vu 302 ce phénomène naître et s'amplifier. Pression des femmes pour obtenir une loi sur la parité qui, même pétrie de bonnes intentions, n'en demeure pas moins inconstitutionnelle ; pression des homosexuels pour obtenir le Pacs, puis le mariage. à quand, sur le même modèle, la pression de certains religieux pour légaliser la polygamie ou la répudiation ? Il existe une communautarisation dans l'information télévisuelle, radiophonique ou Internet : Amado (pour la communauté noire), Cite Gay (pour les homosexuels), Radio J, Ouma.com (pour les musulmans), Al Djezira, Pink TV, et j'en passe... Communautarisation de l'économie par la création de campagnes de pubs ou de rayons ciblés dans la grande distribution : rayon hallal, Mecca Cola, Barbie tchador, mais aussi agences de voyages réservées aux gays, campagne de la Poste pour les mandats à destination des immigrés... Les campagnes électorales voient apparaître elles aussi des listes communautaristes qui se concentrent sur des revendications n'ayant rien à voir avec la gestion du pays. Même le regard sur l'Histoire se communautarise, en voyant telle ou telle communauté faire le tri entre l'histoire acceptable et celle qu'elle conteste car elle la trouve peu à son goût. Comme si l'Histoire n'était 303 pas un tout, fait d'ombre et de lumière, indivisible : que penser des dérives attristantes où l'on voit apparaître à Verdun une stèle pour nos soldats de confession juive et une autre pour nos soldats de confession musulmane, ruinant ainsi le plus beau des symboles du sacrifice et de l'unité nationale que représentait jusqu'alors l'ossuaire de Douaumont ? On ne pouvait que s'attendre, hélas, à ce que certaines communautés se servent de cette fragmentation pour asseoir leur pouvoir politique au sein même de notre pays, avec la complicité souvent active de la classe politique. C'est bien entendu ce que font quelques groupements musulmans pour qui cette pente naturelle est une véritable aubaine. M. Lasfar, recteur de la mosquée de Lille Sud, s'en est expliqué clairement dans Le Parisien du 12 avril 2003: « La loi française ne reconnaît pas la communauté, seulement la citoyenneté. Dans l'Islam, la notion de communauté est très importante, car reconnaître la communauté, c'est reconnaître les lois qui la régissent. Nous travaillons à ce que la notion de communauté soit reconnue par la République. Alors nous pourrons constituer une communauté islamique appuyée sur les lois que nous avons en commun avec la République, et ensuite appliquer nos propres lois à notre communauté. » 304 Cette déclaration, extraordinairement claire, pose avec acuité le problème le plus fondamental auquel les politiques, demain, vont devoir répondre. Notre République et notre nation existent-elles encore? Chapitre XVI Quelle République ? La nation française est en voie de disparition, victime d'un double phénomène concourant à sa perte : une Europe qui la dilue et un communautarisme qui la fragmente. L'Europe a eu raison de notre monnaie, de nos frontières, de notre souveraineté, tant il vrai, comme le disait Pierre Mendès-France, que «l'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un seul homme, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique». L'Europe aura bientôt raison de notre langue : M. Trichet, M. Seillières et bien d'autres délaissent déjà la langue de Molière pour celle de Shakespeare quand ils s'expriment au sein d'assemblées internationales. Vidant peu à peu la nation de son contenu, les gouvernements successifs ont dans le même temps vidé de son contenu la nationalité, d'abord et en premier lieu en l'accordant sans aucune condition d' adhésion. La carte d'identité distribuée au premier venu n'est plus un honneur chèrement mérité. Ce n'est plus que l'attestation plastifiée d'une simple situation administrative, qui ouvre droit à des prestations, au même titre que la carte Vitale ou la carte Orange. Lorsqu'il n'est plus fait aucune différence entre ceux qui ont la nationalité et ceux qui ne l'ont pas, lorsque, sommé d'accueillir en son sein des nationalités, des cultures, des religions aussi différentes que celles qui s'expriment au travers des flux migratoires massifs, on n'arrive plus à défendre l'identité française, comment s'étonner du profond malaise qui saisit les Français ? Nos dirigeants français n'ont de cesse de critiquer la France et son peuple, et nous invitent même à expier des fautes que nous n'avons pas commises. Ils n'ont pas de mots assez durs à l'égard de notre histoire, et dénigrent avec masochisme notre passé ; ils semblent se délecter des quelques zones d'ombres 308 inhérentes au passé deux fois millénaire d'un grand pays. Or l'histoire de France, ça n'est pas que la traite des Noirs, la rafle du Vél d'Hiv, ou le massacre de Sétif c'est surtout et d'abord Saint-Louis et Jeanne d'Arc, Valmy et le Pont d'Arcole, le Chemin des Dames et les Cadets de Saumur. Tant que notre identité ne sera pas défendue ou même simplement apprise, il ne faudra pas s'étonner qu'elle ne soit plus un rêve, un idéal auquel on s'identifie, et que de plus en plus nombreux soient ceux qui s'en détournent pour choisir des identités de substitution. Et alors qu'ensemble, dirigeants politiques de tous bords, autorités morales et religieuses de toutes confessions, chanteurs et artistes appellent en choeur au vote européen, à la disparition subséquente de la nation, voilà que ces aristocrates des temps modernes (qui se gaussent du peuple et de son patriotisme d'un autre âge), voilà qu'ils osent nous traiter d'antirépublicains ! Antirépublicains ! La suprême accusation était lancée à la tête du Front national : nous serions des antirépublicains 1 Rejetés hors du cercle politique par un «Front 309 républicain» se fondant sur les «principes républicains », en appelant aux « valeurs de la République ». Quel est donc cet objet politique non identifiable dont nous avions violé les principes sans le savoir ? Pas de réponse ! Car enfin, la République, c'est vague. Quelle République, pour quel modèle : la République islamique d'Iran ? La République populaire de Chine ? La République démocratique du Congo ? Ceux qui nous ont lancé cet anathème n'avaient oublié qu'une chose : notre République, la République française, est indissociable de notre nation Or, pendant de longues années, nous avons été victimes d'une dialectique aussi politicienne qu'artificielle : la République d'un côté, la nation de l'autre. Les républicains dans un camp, les nationaux dans un autre. Les défenseurs de la nation étaient protectionnistes, ringards, égoïstes, culturellement pauvres, alors que ceux de la République étaient bien entendu ouverts sur le monde, généreux, humanistes. Le citoyen étant le ressortissant d'un État, d'une nation, « les droits de l'homme et du citoyen» sont devenus «les droits de l'homme » tout court, donc vidés de toute référence à la nation. La devise de la République française « Liberté, Égalité, Fraternité » qui ne se concevait en 1789 310 qu'entre les citoyens de la même nation est devenue la liberté, l'égalité et la fraternité entre les hommes du monde entier. Tarte à la crème du politiquement correct... Cette dichotomie est une absurdité historique doublée d'une stupidité politique. À la suite d'un long processus historique, la gauche a transformé les valeurs de la République en un ensemble désincarné, les coupant du cadre national. Comme si l'histoire de France avait commencé en 1789, absurdité historique et politique car la République et ses principes sont les enfants de l'histoire de la nation française depuis ses origines. La France fut la France avant 1789, le peuple français a existé avant la Révolution, et c'est notre immémorial héritage judéo-helléno-chrétien laïcisé par le siècle des lumières qui fonda nos valeurs républicaines. Introduire un antagonisme entre République et nation, c'est retirer à la première son essence et sa raison d'être. C'est si vrai que l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen édicte que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Mais si l'on se fait le défenseur de la République et l'assassin de la nation, de qui et de quoi tire-t-on la souveraineté ? 311 ~ Or, attaquée de toutes parts par ceux-là même qui l'ont à la bouche en toute occasion, la République va mal. La République française, j'entends, celle porteuse de nos valeurs et dont les opportunistes ont dévoyé les principes pour priver nos compatriotes de ses bénéfices. La lecture de l'article 2 de notre Constitution est édifiante : « La langue de la République est le français. » Mais nos apprentis sorciers ne l'apprennent plus correctement à nos enfants dans les écoles de la République, où l'on préfère dispenser des cours de « langue d'origine » pour les enfants issus de l'immigration, ou de dialecte régional au fin fond de nos provinces. « L'emblème national est le drapeau tricolore bleu, blanc, rouge. » Ce même drapeau que nos compatriotes n'osent plus arborer de peur de se faire traiter de xénophobes, de racistes ou pire encore, de « Lepéni stes », et que l'on voit régulièrement souillé, au propre comme au figuré. « L'hymne national est La Marseillaise. » Marseillaise sifflée dans les stades de France et dont M. Azouz Begag, ministre de la République, vient de soutenir la traduction en arabe ! « La devise est : Liberté, Égalité, Fraternité. » 312 Ici, je voudrais m'arrêter quelques instants ; cette devise est inscrite au fronton de chacun de nos édifices publics. Nous avions, peuple de France, réussi un temps le prodige de concilier liberté et égalité. Ces deux concepts sont pourtant contradictoires. L'égalité ne peut s'imposer qu'au détriment de la liberté individuelle, et l'expérience soviétique témoigne de l'impossibilité structurelle du défi posé. La liberté, de son côté, aggrave les inégalités comme le démontre chaque jour plus durement le spectacle peu encourageant du système ultralibéral américain. Or, seule la fraternité peut réconcilier ces contraires. Et qu'est-ce que la fraternité, sinon la conscience et le sentiment d'appartenir à un même peuple, à une même destinée, à une même nation ? Il n'y a que dans le cadre national, et dans ce cadre seulement, que peuvent prospérer ces trois principes. D'abord, par la matrice de l'école laïque et républicaine, condition de l'égalité des chances d'où seules naissent les élites légitimes. Cette école républicaine qui, abolissant les différences de conditions, est le meilleur vecteur de l'ascension sociale des plus méritants par la réussite à l'examen, qui protège des passe-droits, des privilèges dus à l'argent, à la naissance, aux relations. C'est ensuite par les services publics et plus particulièrement par notre système de protection sociale et de santé, si nécessaire à nos concitoyens les plus humbles et les plus démunis. C'est enfin dans la sécurité, première des libertés, sécurité aujourd'hui inexistante dans notre pays oû, par faiblesse et par laxisme, on laisse nos concitoyens seuls et désemparés face à une violence gratuite inouïe, qui se déchaîne chaque jour davantage. Et qu'en est-il enfin du principe de notre République, exprimé dans notre Constitution : « Le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », quand des millions de Français, toujours les mêmes, sont exclus de la représentation nationale, soit parce que leurs idées ne plaisent pas aux élites éclairées, soit parce qu'ils ne votent plus, dégoûtés par cette situation ? Quand on a dépossédé le peuple français de sa spuveraineté pour la transférer à Bruxelles entre les mains de fonctionnaires européens qu'ils n'ont pas élus ? Quand le principe qui fonde l'action politique n'est plus « que puis-je faire pour mon peuple ? », mais « comment vais-je gagner les prochaines élections?» Quand, de Marie-Georges Buffet à Nicolas Sarkozy, on s'apprête à accorder le droit de vote aux étrangers, ce qui vide la citoyenneté de son contenu. 314 La France n'est plus une République une et indivisible comme l'annonce l'article 1 de notre Constitution, depuis que sous l'influence de certains, dont Nicolas Sarkozy, on introduit le poison de la «discrimination positive » et donc du communautarisme. Et que devient l'alinéa 2 de ce même article 1 : « Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race, de religion» ? Chaque communauté revendique aujourd'hui, en cultivant un statut victimaire, une protection particulière, et la loi s'adapte à n'en plus finir, créant autant de cas particuliers. C'est l'affaiblissement du modèle général qui permet la fragmentation de la nation, l'identité nationale passant alors au second plan derrière l'identité religieuse, régionale, sexuelle, etc. Il existe des textes pour tous et surtout pour chacun, les homosexuels, les femmes, les juifs, les obèses, les handicapés, les descendants d'esclaves ; chacun doit pouvoir arguer d'une protection spéciale en fonction de son âge, de sa nationalité, de ses opinions politiques, de son appartenance syndicale. Mais la France, rappelons-le, était aussi une République laïque. Bien sûr, la laïcité fut une arme, en 1905, contre la religion catholique, mais elle est devenue en un siècle le cadre organisé des relations entre l'État et les religions. 315 W C'était sans compter sur la volonté farouche d'organisations musulmanes de soumettre notre République à leurs valeurs et leur mode de vie religieuse, c'était sans compter aussi sur la faiblesse congénitale de notre classe politique, incapable de défendre rien ni personne, hormis elle-même ? et encore. Aujourd'hui, comme nous l'avons vu, la situation est dramatique. Des jeunes filles sont instrumentalisées pour porter le voile, véritable retour à l'obscurantisme ; des communes aménagent les repas dans les cantines de l'école de la République pour répondre à telle ou telle prescription religieuse, ou aménagent des horaires dans les piscines publiques pour éviter la mixité, laquelle disparaît aussi dans les activités sportives, les centres sociaux. Des groupes religieux organisent une contestation systématique du programme éducatif : l'étude de l'édification des cathédrales, Darwin, Rousseau, l'évocation de la Shoah, l'anglais «langue de l'impérialisme » deviennent de plus en plus difficiles à aborder en classe quand ils ne sont pas carrément supprimés par des professeurs dépassés, terrorisés et abandonnés à eux-mêmes par une autorité de tutelle prête à toutes les reculades et toutes les compromissions pour -préserver ce qu' elle croit être la paix civile 316 On refuse de pratiquer le chant choral, de manipuler du porc dans les lycées professionnels d'hôtellerie-restauration. L'hôpital public ne sait plus, lui non plus, à quel saint se vouer, et il voit de plus en plus de femmes refuser d'être soignées par des hommes et d'hommes d'être soignés par des femmes. Nos politiques n'ont rien fait, rien dit. Churchill disait : « Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront et le déshonneur et la guerre. » Où sont-ils, les défenseurs des « valeurs républicaines » ? Que n'ont-ils su défendre ces « principes républicains » ? Serait-ce que l'évocation de ceux-ci n'avait d'intérêt que pour se débarrasser d'un concurrent politique, en l'espèce le Front national ? Pourquoi M. Sarkozy et M. de Villepin n'ont-ils pas pensé aux principes républicains lorsque le premier réclame le financement public des mosquées, quand le second reconnaît « la Fondation des oeuvres de l'Islam de France » ? où siègent pas moins de trois ministères : Intérieur, Affaires sociales et Affaires étrangères ! ?, et dont l'objectif est de construire des mosquées, de financer le Conseil français du culte musulman et la formation des imams, et ce en contradiction flagrante avec l'article 2 de la loi de Aff 1905 qui édicte que «la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ? a Plutôt que d'imposer fermement nos principes, ids légifèrent pour s'adapter à la pression imposée par ceux dont ils craignent le vote. Qui sont ces politiques qui, plutôt que de lutter de toutes leurs forces, par l'autorité de nos textes législatifs, contre le mariage forcé des jeunes musulmanes, votent une loi penaude pour abaisser l'âge légal de celui-ci de dix-huit à quinze ans ? Pourquoi voter ? enfin ? des lois contre les mutilations sexuelles quand il aurait mieux valu ne pas les laisser se développer vingt années durant dans les banlieues, à l'instar de la polygamie, admise par certaines mairies ? Qui baisse la tête devant les nouveaux gangs, préférant taper sur des étudiants qui déifient que sur les hordes de casseurs qui effectuent, à la moindre occasion, des razzias dans les villes ? Qui obligent notre police à se laisser caillasser sous peine d'être accusée de faire de la provocation ? Cette classe politique peut-elle vraiment nous donner des leçons, alors que nous sommes les seuls aujourd'hui à vouloir remettre l'État à sa place et défendre les valeurs nationales françaises ? À quoi sert de pleurnicher comme M. de Villiers sur l'islamisation de la France quand, à l'évidence, celle-ci est la conséquence d'une politique migratoire 318 folle et d'un abandon de nos principes qu'il a personnellement accompagné pendant toute sa carrière politique ? On m'a souvent posé la question : « L'Islam est-il soluble dans la République ? », et j'ai souvent répondu : « C'est aux musulmans de répondre. » Encore faut-il que l'on ne transige pas, dès le départ, sur nos principes d'unité nationale et de laïcité. Ce n'est pas à la République française de se soumettre aux valeurs de l'Islam, c'est à l'Islam de se soumettre à la République française. Beaucoup de Français musulmans adhèrent à ce contrat et vivent leur foi dans le respect de nos lois et de nos valeurs. Mais si certains d'entre eux considéraient que nos principes, notre mode de vie est en contradiction avec ceux de leur religion ; si, ce qui est respectable, certains étaient heurtés par nos règles et nos lois, je comprendrais qu'ils cherchent dans les dizaines de pays du monde qui appliquent la charia avec plus ou moins d'orthodoxie, un endroit où vivre leur foi sans entrave. Car la nation française, elle, ne changera pas ! L'affirmer, c'est faire à leur égard preuve d'honnêteté. C'est la raison pour laquelle il faut affirmer haut et 319 fort que le retour du rouleau compresseur républicain, une laïcité sans concession, le refus absolu du communautarisme, une guerre sans merci à la criminalité et la fierté retrouvée de ce que nous sommes, incarnent le dernier espoir pour protéger notre nation et notre République, sauver le peuple français de la désespérance et à terme de la disparition. Il n'y a de « sens de l'histoire » que celui que le peuple veut lui donner. C'est lui et lui seul qui doit décider de son destin. Maintes fois dans son passé, le peuple français a failli disparaître, maintes fois il a su puiser dans son amour profond de la vie et de la liberté les forces nécessaires à sa survie. Je suis convaincue qu'il saura le faire une fois de plus à l'aube de l'élection présidentielle de 2007 qui, seule, pourra réellement changer le cours de l'histoire. « La vie commence toujours demain... ». 320 Arrivée au terme de ce livre, je mesure l'étendue de ce que j'aurais encore voulu vous dire. L'étendue aussi de l'affection que je porte à ma patrie, la souffrance qui est la mienne de ne pouvoir faire plus, et plus vite, pour soulager les peines des plus humbles d'entre nous et redonner l'espoir à ceux qui l'ont perdu.  ceux qui ont peur de l'avenir, qu'ils sachent que, comme la fièvre est l'indication de la maladie, la peur est un réflexe sain et naturel face à un danger. Ce n'est ni une faiblesse, ni un vil sentiment ; ceux qui ne la ressentent jamais sont soit des fous soit des imbéciles.  ceux qui doutent : qu'ils sachent que notre avenir commun dépend de leur foi en eux-mêmes, de leur croyance en notre nation, imparfaite sans doute, mais unique. CONCLUSION 44-?h,.;: Je sais qu'il est des vérités difficiles à entendre, des constats désagréables à faire, que face à l'ampleur de la tâche à accomplir, on a parfois la tentation de renoncer ou de se soumettre. Et pourtant, il va nous falloir, comme Le passeur d'eau, «garder les mains aux rames » et continuer, à contre flots, à être porteur de ce roseau symbole d'espoir et de liberté, conscient qu'en politique il n'y a de courage, de volonté et d'ambition qui ne s'incarnent dans la persévérance. 322 Achevé d'imprimer sur les presses de BUSSIERE GROUPE CPI d Saint-Amand-Montrond (Cher) pour le compte des Editions Grancher en avril 2006 N° d'impression : 061480/1. Dépôt légal : avri12006. Imprimé en France