[transmis par Florent Latrive] Voici un texte très intéressant sur la validité des licences libres en droit français. Reproduit avec l'autorisation de Cyril Rojinsky sur la liste de diffusion Escap_L. Texte paru dans Propriétés Intellectuelles, juillet 2002, n° 4 Doctrine Les licences libres et le droit français CYRIL ROJINSKY AVOCAT AU BARREAU DE PARIS VINCENT GRYNBAUM JURISTE Les licences libres permettent aux utilisateurs d'intervenir sur les ¦uvres mises à leur disposition, et parfois de les adapter, sans pour autant en devenir les propriétaires exclusifs. Or, les ¦uvres objets de licences libres évoluent via le réseau Internet dans un environnement international. Les principaux contrats actuellement en vigueur dans ce domaine sont-ils compatibles avec le droit français ? Dans quelle mesure les nombreuses failles qu'ils révèlent notamment tant au regard des dispositions protectrices du consommateur, qu'au regard des spécificités du droit d'auteur ne sont pas source d'insécurité juridique non seulement pour les auteurs étrangers mais aussi pour les utilisateurs sur le territoire français ? Face à de telles incertitudes, l'adaptation de ces contrats est aujourd'hui nécessaire. La plus célèbre des licences libres est certainement la GPL (General Public Licence), qui s'applique aux logiciels . Cependant, il existe de nombreuses autres licences dites « libres » qui s'appliquent non seulement aux logiciels, mais également aux ¦uvres littéraires et artistiques en général . En effet le « libre » ne concerne pas que les programmes informatiques ; il s'agit d'une politique de gestion des droits qui peut s'appliquer à toutes les ¦uvres de l'esprit. Cette approche consiste en l'utilisation des mécanismes de propriété intellectuelle dans le but de renverser la logique de protection et d'aboutir à un mode d'exploitation qui favorise le partage et l'échange. Le libre ne s'oppose donc aucunement au droit d'auteur : il s'appuie sur lui. Le père spirituel du logiciel libre - qui marque la naissance du phénomène - est sans conteste Richard Stallman, informaticien au laboratoire d'intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology (MIT), et fondateur en 1985 de la Free Software Fondation. Il est l'auteur de l'emblématique licence GPL qui correspond à la conception la plus libertaire du logiciel libre. Cette licence se caractérise notamment par un mécanisme dit de copyleft qui a pour but d'éviter toute réappropriation ultérieure du logiciel libre par un tiers dans une logique propriétaire. Une conception plus récente, l'Open Source Initiative, cherche, quant à elle, à concilier l'idéologie libre avec les intérêts économiques et industriels. Il sera beaucoup plus difficile d'évaluer la validité d'ensemble de ce modèle étant donné qu'aucun contrat de licence n'a été rédigé. L'Open Source Initiative a simplement défini des principes généraux auxquels les licences doivent se conformer pour bénéficier du label Open Source . À ce jour, et malgré l'importance croissante du phénomène, force est de constater qu'il n'existe pas d'études approfondies sur la validité des licences libres au regard du droit français . Il n'existe pas non plus de décision de jurisprudence française ayant eu à se prononcer sur la validité de ces licences. Aux États-Unis, une première décision de justice est pourtant attendue dans une affaire qui oppose MySQL AB à la société Progress Software Corp. La société MySQL AB, titulaire des droits sur le logiciel MySQL distribué sous licence GPL, reproche à la société Progress Software d'avoir intégré ce logiciel libre au sein d'un logiciel propriétaire sans respecter les termes de la licence GPL et plus particulièrement le mécanisme du copyleft. Eben Moglen, Professeur de droit à l'Université de Columbia et conseil de la Free Software Fondation (FSF), a témoigné en faveur de MySQL AB en qualité d'expert de la licence GPL . Selon sa déposition, la société Progress Software aurait enfreint la licence GPL car elle aurait intégré en un unique programme exécutable compilé, l'un de ses logiciels propriétaires ainsi que le moteur de base de données MySQL. Or, toujours selon le conseil de la FSF, en ne diffusant pas la partie du code source correspondant à son programme propriétaire, la société Progress Software n'aurait pas respecté la licence GPL et devrait perdre ainsi le droit de distribuer le logiciel MySQL. Afin de pouvoir se prononcer sur ce litige, le juge devra donc déterminer si le programme exécutable, distribué par la société Progress Software, est une ¦uvre dérivée des logiciels originaux ou s'il s'agit seulement de logiciels indépendants regroupés au sein d'un « package » et ne nécessitant pas de placer le tout sous licence libre. Voici un litige qui pourrait fort bien survenir en France. Or, les ¦uvres objets de licences libres évoluent via le réseau Internet dans un environnement international. C'est pourquoi il est nécessaire - avant de s'interroger sur la compatibilité de ces licences avec le droit français - de rechercher à quelles conditions cette loi leur est applicable. I. L'applicabilité du droit français aux licences libres Ceci induit une double réflexion : tout d'abord, la loi française est-elle applicable aux contrats de licence libre, que les parties aient (A) ou non (B) désigné une loi applicable ? Ensuite, dans quelles conditions la loi française reconnaît-elle aux étrangers le bénéfice de la protection du droit moral ? (C). A. Application de la loi française en présence d'une clause désignant une loi étrangère 1. Contrats internationaux et désignation de la loi applicable Les ¦uvres libres, et les logiciels libres en particulier, sont fréquemment mis à disposition via l'Internet. Partant, leurs licences sont le plus souvent des « contrats internationaux » au sens du droit international privé, soumis en tant que tels à la Convention de Rome du 19 juin 1980 . Les parties à la licence désignent parfois une loi applicable au contrat ; mais encore faut-il vérifier si ce choix est valable. Exemples de licences libres prévoyant une loi applicable (autre que française) : - Licence QT (QPL) : Choice of Law: This license is governed by the Laws of Norway. Disputes shall be settled by Oslo City Court. - Mozilla 1.0 : 11. Miscellaneous : This License shall be governed by California law provisions (except to the extent applicable law, if any, provides otherwise), excluding its conflict-of-law provisions. - IBM public licence 1.0 : This Agreement is governed by the laws of the State of New York and the intellectual property laws of the United States of America. L'article 3 de la Convention de Rome pose le principe de l'autonomie de la volonté en matière de contrats internationaux, principe aux termes duquel : « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter d'une façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ». Il résulte de cet article que le critère essentiel pour la validité de la désignation de la loi applicable par les parties est l'absence d'ambiguïté. À ce titre, une référence à des dispositions législatives particulières d'un pays déterminé peut être révélatrice de la volonté de rattachement des parties . Mais il semble que la simple référence à la notion de copyright ne sera pas suffisante pour que les juges puissent en déduire la désignation d'une loi applicable par les parties . A fortiori, la langue employée par le contrat ne peut, à elle seule, commander la loi applicable. Cette précision n'est pas négligeable sachant que la plupart des licences libres n'existent - dans leur version officielle - qu'en langue anglaise . En tout état de cause, le principe serait qu'en présence d'une clause expresse désignant une loi étrangère applicable au contrat, la loi française serait écartée. Cependant, comme tout principe, l'autonomie de la volonté comporte des exceptions : les dispositions d'ordre public du for et les lois de police ayant un lien avec le contrat peuvent être appliquées par dérogation. Mais l'exception majeure concerne ici les contrats conclus avec des consommateurs. 2. Dérogation en matière de contrats conclus avec des consommateurs Si l'on admet qu'une loi étrangère a été valablement choisie par les parties dans le cadre d'une licence libre, l'application de cette loi se heurtera à des difficultés non négligeables si le bénéficiaire de la licence est un consommateur . Le contrat de licence libre ne saurait en effet « priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives » de la loi française . Toutefois, il convient de préciser que les dispositions protectrices de l'article 5 de la Convention de Rome ne seront applicables que si la conclusion du contrat de licence a été précédée, dans le pays du consommateur, « d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité » et si le consommateur a « accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat » . Or il s'agit là de critères cumulatifs. Si l'on applique ces dispositions à un mode de distribution passif des logiciels libres en ligne (technique qualifiée de pull ), le consommateur français ne pourra, semble-t-il, se prévaloir des dispositions protectrices de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle, en l'occurrence la loi française. Ainsi, en l'absence de « sollicitation électronique », il est très douteux que les conditions d'application de l'article 5 de la Convention de Rome soient remplies. En revanche, si les conditions posées par l'article 5 de la Convention étaient remplies, ceci aurait principalement pour conséquence d'empêcher que la désignation d'une loi étrangère applicable ne prive le consommateur français des dispositions sur les clauses abusives . 3. L'exemple de la loi Toubon Nous avons déjà souligné que certaines licences libres sont rédigées en anglais. Or la rédaction du contrat dans une langue autre que le français pose problème au regard de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, aux termes duquel : « Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire ». Ainsi, s'agissant des « modes d'emploi ou d'utilisation » des logiciels libres, et des « conditions de garantie » prévues par les licences, souvent entièrement rédigés en anglais, une amende correspondant aux contraventions de la 4e classe serait encourue . La circulaire d'application du 19 mars 1996 précise le champ d'application de la loi en affirmant que sont concernés par cet article : « 1° Tous les documents destinés à informer l'utilisateur ou le consommateur : [?]. Les modes d'utilisation intégrés dans les logiciels d'ordinateurs et de jeux vidéo et comportant des affichages sur écran où des annonces sonores sont assimilés à des modes d'emploi. En conséquence, les modes d'utilisation des logiciels d'application et des logiciels d'exploitation doivent être établis en français, qu'ils soient sur papier ou intégrés dans le logiciel. Les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes de droit privé françaises et étrangères, qui ne sont pas consommateurs ou utilisateurs finaux des biens, produits ou services, ne sont pas visés par ces dispositions ». Ce texte interprétatif est facteur de confusion en ce sens qu'il vise non seulement les « consommateurs », mais aussi les « utilisateurs finaux » des produits et services. Or il existe des utilisateurs finaux qui ne sont pas des consommateurs, telle une entreprise qui utilise un logiciel pour ses besoins propres. Il convient toutefois de remarquer que si nous ne sommes plus en présence d'un consommateur, nous sortons de l'exception prévue dans cette hypothèse par la Convention de Rome. Par conséquent, pour avoir vocation à s'appliquer, la loi Toubon devrait être considérée comme une disposition d'ordre public du for ou une loi de police ayant un lien avec le contrat. La circulaire aborde aussi l'application de cette loi en matière de logiciels, et la Cour d'appel de Paris a d'ailleurs confirmé que la loi de 1994 s'appliquait au domaine informatique et que la prédominance de la langue anglaise sur ce marché ne dispensait pas les distributeurs traditionnels de logiciels de la respecter . En revanche, il n'existe à notre connaissance aucune décision appliquant la loi de 1994 à un site Internet distribuant des logiciels, adressé aux consommateurs et rédigé intégralement en anglais. On peut néanmoins citer une récente décision de la Cour du Québec - État dans lequel des dispositions similaires sont en vigueur - qui a condamné un site Internet faisant, pour un produit, de la publicité commerciale uniquement en langue anglaise . Dans l'hypothèse de la désignation d'une loi étrangère par le contrat de licence libre, subsistent ainsi de nombreuses situations dans lesquelles le droit français aura vocation à s'appliquer. Il reste à démontrer que ce constat demeure valable pour les contrats de licence qui ne désignent pas la loi applicable au contrat. B. Application de la loi française en l'absence de choix de la loi applicable par les parties 1. Le critère des liens les plus étroits À l'instar de la licence GPL, la plupart des contrats de licence libre ne précisent pas la loi qui leur est applicable. Or, dans la mesure où le contrat de licence ne prévoit pas expressément de loi applicable, la Convention de Rome dispose que l'accord est régi « par la loi du pays avec laquelle il présente les liens les plus étroits » . La Convention y ajoute une présomption générale selon laquelle le contrat entretient les liens les plus étroits avec la loi du pays où « la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ». Cependant, cette présomption générale ne s'applique que s'il est possible de clairement identifier la « prestation caractéristique » au sein du contrat. On est tenté de penser qu'en matière de licence, la prestation caractéristique est le fait de céder les droits de propriété intellectuelle. Cependant, une partie de la doctrine estime qu'en matière de droit d'auteur il est souvent difficile de déterminer « qui fournit l'obligation essentielle du contrat », et préconise une recherche au cas par cas de la loi applicable . Il a ainsi été proposé d'analyser concrètement les obligations des parties au sein des contrats d'exploitation des ¦uvres et de rechercher celles qui sont les plus caractéristiques . Ceci conduit M. J. Raynard à distinguer les contrats d'exploitation portant obligation d'exploiter l'¦uvre, où « l'effet caractéristique du contrat réside alors dans l'exploitation » , des contrats d'exploitation ne portant pas obligation d'exploiter l'¦uvre, pour lesquels « l'effet caractéristique du contrat réside dans le transfert du droit » . 2. Prestation caractéristique et licences libres En matière de logiciel libre, cette analyse est particulièrement pertinente du fait que nous ne sommes pas en présence d'un simple contrat de licence d'utilisation de programme informatique par lequel seul le donneur s'engage à accorder des droits. En effet, si l'on prend l'exemple de la licence GPL, le titulaire des droits accorde un droit d'adaptation de son logiciel, et conditionne cette cession à l'obligation pour le bénéficiaire de concéder ses droits sur le logiciel adapté dans les mêmes conditions que le logiciel initial. Il est donc possible de considérer que, plus la licence de logiciel libre mettra des obligations à la charge du bénéficiaire de la licence, plus la prestation caractéristique aura des chances d'être de son côté. La prestation caractéristique pourra ainsi être, en quelque sorte, inversée par rapport aux schémas contractuels classiques. Il existe enfin une limite non négligeable à ce critère de détermination de la loi applicable, qui concerne une fois encore les consommateurs. En effet, vis-à-vis de ces derniers, et toujours sous réserve que le contrat soit intervenu dans les conditions rappelées plus haut (« proposition spéciale » ou « publicité »), la loi applicable au contrat de licence sera « la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle ». Nombreuses sont donc les hypothèses dans lesquelles, sur le territoire français, des dispositions du droit français seront applicables aux contrats de licences libres. Il est donc nécessaire de s'intéresser, au-delà du cadre strict de la loi applicable à ces accords, aux droits reconnus en France aux auteurs étrangers. C. Le droit moral, une norme impérative 1. Le droit moral reconnu aux auteurs étrangers Il s'agit de déterminer dans quelle mesure le droit français reconnaît aux auteurs étrangers un droit moral sur leurs ¦uvres. Chacun pense ici au célèbre arrêt Huston de la Cour de cassation, en date du 28 mai 1991 . Par un arrêt du 6 juillet 1989, la Cour de Paris avait refusé aux héritiers d'un auteur étranger le bénéfice du droit moral français qui leur aurait permis de faire interdire une exploitation portant atteinte à l'intégrité de l'¦uvre de leur légataire. La Cour, visant ensemble les articles L. 111-4 et L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle , a censuré la décision d'appel en affirmant que ces dispositions sur le droit moral de l'auteur sont « des lois d'application impérative ». La Cour semble avoir ainsi érigé le droit moral en norme supérieure en reconnaissant son bénéfice aux auteurs étrangers sur le territoire français. Il faut toutefois nuancer ce propos, car l'article L. 111-4 alinéa 2 ne vise qu'une sorte de « droit moral minimum garanti » comprenant uniquement le droit à la paternité et à l'intégrité de l'¦uvre. Or en matière de licence libre, ces prérogatives de droit moral ont une importance toute particulière, et il faut donc déterminer dans quelle mesure les auteurs étrangers peuvent, ou non, s'en prévaloir sur le territoire français. 2. L'existence d'un droit moral a minima en matière de logiciels La difficulté consistant à étendre la solution de l'arrêt Huston aux logiciels vient du fait que l'un des articles visés par la Cour de cassation (CPI, art. L. 111-4, al. 2) n'aura pas forcément vocation à s'appliquer en la matière. En effet, la loi du 3 juillet 1985 a introduit une exigence de réciprocité spécifique en matière de logiciels . Or, l'une des singularités de la réciprocité en matière de logiciels réside dans l'absence de protection minimale en matière de droit moral. En effet, l'article L. 111-5 ne contient pas d'alinéa 2 prévoyant, comme le fait l'article L. 111-4 en matière de droit d'auteur classique, que même à défaut de réciprocité « aucune atteinte ne peut être portée à l'intégrité ni à la paternité de ces ¦uvres ». Un débat doctrinal s'est ainsi développé sur le point de savoir si le législateur avait souhaité priver les auteurs de logiciels de cette disposition ou si, en l'absence de disposition spécifique, l'on devait revenir aux règles régissant le droit d'auteur général et donc à l'article L. 111-4 alinéa 2 prévoyant qu'en tout état de cause aucune atteinte ne peut être portée à certains attributs du droit moral . En faveur de la première interprétation certains estiment que l'absence d'alinéa 2 dans le texte spécifique aux logiciels est un « signe, parmi d'autres, de l'inadaptation du droit moral aux logiciels » . Il semble donc bien qu'en adoptant une disposition particulière, et en ne reprenant pas cet alinéa 2, le législateur a effectivement souhaité exclure, à défaut de réciprocité, le bénéfice du droit moral aux auteurs étrangers de logiciels. Cependant, contrairement aux défenseurs de cette position, nous ne pensons pas que le droit moral soit inadapté en matière de programmes informatiques. Même en l'absence de réciprocité, il aurait été fort utile, en matière de logiciels libres, que le droit français reconnaisse aux auteurs étrangers le bénéfice du droit moral qui reprend tout son intérêt dans cet environnement (v. § II. C, infra). Mais cette condition de réciprocité étant presque toujours remplie, la conception française du droit moral aura néanmoins vocation à s'appliquer dans la plupart des hypothèses. C'est pourquoi la question de la conformité des licences avec le droit français et de l'incidence du droit moral se pose avec une grande acuité. II. L'application du droit français aux licences libres Supposons donc que la loi française s'applique aux licences libres. Les premières interrogations concernent naturellement la validité même des dispositions de ces contrats de licences au regard du droit français. Or cette validité est particulièrement incertaine en ce qui concerne le respect du formalisme des cessions de droits (A) et des clauses d'exclusion de garantie (B). Il faudra enfin tenter d'aborder la délicate question de la compatibilité entre le droit moral et les mécanismes de licence libre (C). A. Le formalisme insuffisant des licences libres 1. Le constat du non-respect du formalisme dans les contrats de licence libre Force est de constater que la plupart des contrats de licence libre ne détaillent que trop peu les conditions de cession des droits d'auteur à l'utilisateur. Le plus souvent, les licences ne précisent pas l'étendue de la cession, sa destination, sa durée et son étendue géographique. À titre d'illustration, les licences suivantes ne semblent pas suffisamment précises : - pour les ¦uvres libres en général : Ethymonics Free Music License, Licence Open Content ; - en matière de logiciel libre : GNU GPL, BSD, Licence X. En revanche, la Licence Art Libre apparaît suffisamment détaillée quant aux conditions de cession des droits. Ces licences concèdent un droit d'utilisation et de modification du logiciel, mais sont-elles valables au regard du droit français ? Comme chacun sait, les cessions de droits trop générales - ne précisant pas les droits cédés, la durée ou l'étendue géographique - sont nulles au regard de l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle. Il s'agit là d'une nullité relative, que seul l'auteur pourra invoquer. Encore faut-il rechercher si l'article L. 131-3 s'applique aux contrats de licence de logiciel libre. Et la question est moins évidente qu'il n'y paraît. 2. L'applicabilité du formalisme aux cessions de licences libres Il ne fait aucun doute que l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle s'applique aux cessions de droits sur des logiciels, cette règle ayant d'ailleurs été rappelée récemment par la Cour de cassation . Par ailleurs, la Cour de cassation, confirmant la solution de la Cour d'appel de Paris, a précisé qu'il est nécessaire de respecter le formalisme imposé par l'article L. 131-3 indépendamment de la nature gratuite ou onéreuse de la cession . Ceci n'est pas négligeable en matière de logiciels libres sachant que le plus souvent - même s'il ne s'agit pas là d'une condition essentielle - les cessions sont consenties à titre gratuit. En revanche, il convient de rappeler qu'avec l'arrêt Perrier, la jurisprudence a précisé que ce formalisme ne s'applique pas aux sous-cessions de droits d'auteur . Cette solution s'explique par le fait que ce formalisme vise à protéger l'auteur et non l'acquéreur des droits sur une ¦uvre qui désirerait les céder par la suite. Or, l'une des particularités des logiciels libres réside justement dans le fait qu'ils sont amenés à évoluer grâce à l'adaptation du logiciel initial par d'autres informaticiens. Une fois le logiciel adapté, nous sommes en présence d'une ¦uvre composite. En fonction des actes accomplis par celui qui concède les droits sur ce logiciel par la suite, il y aura donc nécessairement une part de cession, et une part de sous-cession, comme le montre le schéma ci-dessous. 3. Cas particulier de la cession du droit de distribution Il faut néanmoins envisager un cas particulier, pour lequel le formalisme imposé par le Code de la propriété intellectuelle n'aura pas à s'appliquer directement. Prenons l'exemple d'une ¦uvre diffusée en ligne sous licence libre prévoyant notamment la cession du droit de distribution. Dans l'hypothèse où un tiers déciderait de prendre cette ¦uvre et de la distribuer, le rapport entre le tiers et ses co-contractants s'analyserait en une sous-cession de l'¦uvre . Ainsi, le formalisme n'aurait pas à s'appliquer aux licences entre le distributeur et ses preneurs. Imaginons, en revanche, que le titulaire initial des droits sur l'¦uvre oppose la nullité de la cession des droits au distributeur en raison de l'absence de formalisme : quid de la validité des sous-cessions déjà intervenues ? Il s'agit là d'un problème classique en droit d'auteur mais qui est largement amplifié avec les contrats de licence de logiciels libres pour lesquels, par nature, il existe de longues chaînes contractuelles. Or la jurisprudence affirme de manière constante que la nullité rétroactive du contrat de cession initiale emporte nullité des sous-cessions conclues avec des tiers . Il faut toutefois évoquer le plaidoyer audacieux d'Anne Pélissier en faveur de l'extension aux meubles incorporels du principe énoncé par l'article 2279 du Code civil pour les meubles corporels (selon lequel, « en fait de meuble, la possession vaut titre ») . Ainsi le possesseur de bonne foi d'un meuble incorporel serait considéré comme propriétaire dès le transfert de possession . La question qui reste alors en suspens est de savoir comment articuler la bonne foi présumée du possesseur d'un meuble en matière civile avec la présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon (ou avec le fait qu'au civil, cette bonne foi est indifférente). En définitive, il apparaît que la quasi-totalité des licences libres ne respecte pas le formalisme imposé à peine de nullité par le droit français. Ceci signifie concrètement que l'auteur d'un logiciel libre pourrait à tout moment invoquer la nullité de la cession des droits. Mais il ne s'agit pas là de la seule stipulation contestable des contrats de licence libre. Les clauses d'exclusion de garantie apparaissent, elles aussi, bien souvent illicites au regard du droit français. B. Les exclusions illicites de responsabilité au sein des licences libres Après une analyse des principales licences libres, on remarque que le plus souvent « liberté » va de pair avec « absence de responsabilité ». La validité au regard du droit français des clauses d'exclusion de responsabilité se pose vis-à-vis de toutes les ¦uvres. Cependant, afin d'illustrer ce propos, nous nous intéresserons prioritairement aux logiciels pour lesquels l'enjeu économique de la responsabilité est beaucoup plus patent . Exemples de clauses d'exclusion de responsabilité au sein de licences de logiciels libres : - Licence X (X consortium, 1987) « Ce programme est fourni "tel qu'en l'état" sans aucune garantie de quelque nature, implicite ou explicite, quant à son utilisation commerciale, professionnelle, légale ou non, ou autre. Le X consortium ne peut en aucun cas être tenu pour responsable de quelque dommage ou préjudice direct, indirect, secondaire ou accessoire découlant de l'utilisation de tout ou partie de ce programme ». - Copyright BSD (Berkeley Software Design) « Ce programme est fourni "tel qu'en l'état" par les membres du Conseil d'administration et leurs collaborateurs et il n'est donné aucune garantie, implicite ou explicite, quant à son utilisation commerciale, professionnelle ou autre. Les membres du Conseil d'administration et leurs collaborateurs ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables de quelque dommage ou préjudice direct, indirect, secondaire ou accessoire (y compris les pertes financières dues au manque à gagner, à l'interruption d'activités, ou la perte d'informations et autres) découlant de l'utilisation du programme, ou de l'impossibilité d'utiliser celui-ci, et dont l'utilisateur accepte l'entière responsabilité ». - GPL (General Public Licence) « Limitation de garantie Article 11 Comme la licence du programme est concédée à titre gratuit, il n'y a aucune garantie s'appliquant au programme, dans la mesure autorisée par la loi en vigueur. Sauf mention contraire écrite, les détenteurs du droit d'auteur et/ou les autres parties mettent le programme à disposition "en l'état", sans aucune garantie de quelque nature que ce soit, expresse ou implicite, y compris, mais sans limitation, les garanties implicites de commercialisation et de l'aptitude à un objet particulier. C'est le même concessionnaire qui prend la totalité du risque quant à la qualité et aux performances du programme. Si le programme se révélait défectueux, c'est le concessionnaire qui prendrait à sa charge le coût de l'ensemble des opérations nécessaires d'entretien, réparation ou correction. Article 12 En aucun cas, sauf si la loi en vigueur l'exige ou si une convention écrite existe à ce sujet, aucun détenteur de droits d'auteur, ou aucune partie ayant le pouvoir de modifier et/ou de redistribuer le programme conformément aux autorisations ci-dessus, n'est responsable vis-à-vis du concessionnaire pour ce qui est des dommages, y compris tous dommages généraux, spéciaux, accidentels ou indirects, résultant de l'utilisation ou du programme ou de l'impossibilité d'utiliser le programme (y compris, mais sans limitation, la perte de données, ou le fait que des données sont rendues imprécises, ou encore les pertes éprouvées par les concessionnaires ou par des tiers, ou encore un manquement du programme à fonctionner avec tous autres programmes), même si ce détenteur ou cette autre partie a été avisé de la possibilité de tels dommages ». 1. La qualification de clause abusive Afin d'éviter les déséquilibres dans les rapports contractuels, le Code de la consommation prévoit en son article L. 132-1 que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer [?] un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » . Il est précisé par la suite que ces clauses abusives sont « réputées non écrites ». S'agissant du champ d'application de ces dispositions, la Cour de justice des Communautés européennes a récemment eu l'occasion de préciser que la notion de « consommateur » au sens de la directive de 1993 vise exclusivement les personnes physiques, ce qui met fin à un débat doctrinal et jurisprudentiel intense . Le Code de la consommation institue par ailleurs une commission chargée de déterminer par des recommandations des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives, étant précisé que les avis de cette commission ne lient pas le juge. Dans sa recommandation du 7 avril 1995, la Commission des clauses abusives a ainsi dressé une liste des stipulations pouvant être regardées comme abusives en matière de contrats portant sur des logiciels . Plus particulièrement, en matière d'exclusion de garantie, la Commission recommande que soient éliminées de ces contrats « les clauses qui ont pour objet ou pour effet : [?] 3° D'exclure toute garantie du professionnel afférente au logiciel, à son support, et de l'exonérer de toutes les conséquences des défauts de la documentation fournie lors de la mise à disposition du logiciel ». Si nous prenons l'exemple de la licence GPL, le caractère abusif de ces clauses à l'égard du consommateur paraît évident. En effet, selon ses stipulations, le logiciel libre est fourni « sans aucune garantie de quelque nature que ce soit ». La précision, dans ce contrat de licence, aux termes de laquelle l'exclusion totale de garantie vaut « dans la mesure autorisée par la loi en vigueur », n'empêchera évidemment pas qu'une telle clause soit qualifiée d'abusive et par conséquent nulle et de nul effet à l'égard du consommateur . Il convient par ailleurs de prendre en compte les conséquences, en matière de logiciels libres, de la transposition de la directive du 20 mai 1997 sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance par l'ordonnance du 23 août 2001. Les logiciels libres sont en effet le plus souvent distribués en ligne. Dès lors, il s'agit bien de contrats conclus à distance au sens de l'article L. 121-16 du Code de la consommation . À ce titre, les offres des contrats devront contenir les mentions informatives imposées par l'article L. 121-18 du Code de la consommation. Un point reste cependant obscur : le droit de rétractation institué par cette directive n'est pas applicable aux logiciels une fois « descellés par le consommateur » . Doit-on considérer que l'acceptation en ligne, par un simple clic, est équivalente au « descellement » ? Il faut enfin ajouter à ces dispositions la directive sur le commerce électronique qui devrait être transposée par la loi sur la société de l'information actuellement au stade de projet. En effet, comme le remarque très justement un auteur, ces deux séries de dispositions protectrices ont vocation à s'appliquer cumulativement aux contrats conclus en ligne , donc bien au-delà de la seule relation entre un professionnel et un consommateur. 2. L'absence de prise en compte de la garantie des vices cachés En fonction de la qualification retenue pour le contrat de licence de logiciel libre , le régime de la garantie des vices cachés sera sensiblement différent. D'une manière générale, le trop redouté « bogue de l'an 2000 » aura au moins permis de débattre l'application de la garantie des vices cachés à la fourniture de logiciels . En effet la jurisprudence, bien que lacunaire et peu explicite à ce sujet, a confirmé qu'il existe, au profit du licencié, une action en garantie des vices cachés distincte de l'action en défaut de conformité du logiciel . Pour la mettre en ¦uvre, le vice doit être sérieux, c'est-à-dire empêcher l'usage du logiciel et doit bien entendu ne pas être décelable au moment de la conclusion du contrat de licence. Rappelons que le vendeur peut néanmoins prévoir une clause excluant toute garantie des vices cachés lorsque la vente a lieu entre professionnels de même spécialité. Il faudra donc rechercher ici si l'utilisateur du logiciel libre est un professionnel en matière de développement de programmes informatiques. Si tel n'est pas le cas, la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés ne sera pas valable . De plus, vis-à-vis du consommateur, la Commission des clauses abusives, dans sa recommandation précitée sur les contrats en matière de logiciels, évoque les clauses écartant « toute garantie des dommages provoqués par le logiciel ». Elle fait aussi référence à l'article R. 211-4 du Code de la consommation qui précise qu'en matière de vente aux consommateurs « la garantie légale qui oblige le vendeur professionnel à garantir l'acheteur contre toutes les conséquences des défauts ou vices cachés » ne peut être exclue. 3. La responsabilité sans faute en matière de produits défectueux La directive communautaire de 1985 pose le principe d'une responsabilité sans faute du professionnel pour les dommages causés par ses produits. Cette directive a enfin été transposée dans le Code civil par une loi du 19 mai 1998, et il reste à savoir si ce texte s'applique en matière de logiciels. Dès 1988, Lord Cockfield donnait une réponse au nom de la Commission européenne. Considérant que la directive vise les produits qui sont définis comme « tout meuble », elle s'appliquerait donc « aux logiciels, comme elle s'applique d'ailleurs aux produits artisanaux et artistiques » . De même, lors des débats parlementaires précédant l'adoption de la loi française, la ministre de la Justice précisait que la loi avait « vocation à englober l'intégralité de la catégorie juridique des meubles, à laquelle appartiennent les logiciels » . La ministre précisait toutefois que ce texte, ne visant que les atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, serait d'application résiduelle en matière de programmes informatiques. Il nous semble, bien au contraire, que la portée de ce texte n'est pas anecdotique en ce qui concerne les logiciels. De nombreux programmes sont en effet utilisés dans des domaines où un simple bogue pourrait porter atteinte à la sécurité des personnes (logiciels de navigation aéronautique, d'assistance, d'imagerie médicale, etc.) et des biens. On le voit à travers ces exemples, les clauses d'exclusion de garantie prévues par les licences de logiciel libre sont tout à fait insuffisantes . À ce titre, elles pourront souvent être écartées. Il faut donc enfin rechercher dans quelle mesure l'auteur pourra, en exerçant son droit moral, remettre en cause les droits cédés par l'intermédiaire du contrat de licence libre. C. Combinaison du droit moral et des licences libres 1. Le droit moral, élément fondamental du libre Il est certain que le droit moral est particulièrement important en matière de licence libre. Ce regain d'intérêt pour le droit moral, dans ce domaine, s'explique selon nous par plusieurs facteurs. Tout d'abord, il va de soi qu'à partir du moment où il cède l'essentiel des droits patrimoniaux sur son ¦uvre, il ne reste plus à l'auteur que son droit moral pour agir. De plus, en dehors du droit moral tel qu'il est organisé par la loi, l'on trouve dans ces différentes licences une véritable volonté des auteurs d'assurer une protection efficace de leur droit moral. Si, dans la logique du libre, le droit patrimonial de l'auteur se trouve renversé, il nous semble que le droit moral est quant à lui véritablement renforcé . Enfin, à partir du moment où une ¦uvre est « libre », elle est amenée à circuler, à être modifiée par des tiers. Dans ce contexte, il est certain que les atteintes au droit moral seront plus fréquentes que dans des logiques propriétaires. 2. Compatibilité du droit moral et du copyleft Certaines licences libres, à l'instar de la GPL, s'appuient sur le mécanisme dit de copyleft. Ces contrats de licence ne permettent l'adaptation du logiciel libre ou de l'¦uvre libre qu'à la condition que l'¦uvre adaptée soit elle-même diffusée sous les mêmes conditions de licence. Ce mécanisme est-il compatible avec le droit moral français ? Cette question se pose plus particulièrement vis-à-vis du droit de divulgation. « L'auteur a seul le droit de divulguer son ¦uvre. [?] il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci » . Rappelons que ce droit existe aussi en matière de logiciel. Il semble donc que la licence libre ne peut lui imposer de divulguer son ¦uvre dérivée. Mais s'il décide de la divulguer, est-il forcé de respecter les termes de la licence ? Ne doit-on pas considérer que cette condition constitue une atteinte au droit de divulgation de l'auteur en ce qu'elle l'empêche de décider du procédé et des conditions de divulgation de son ¦uvre ? Dans cette hypothèse, l'acceptation du copyleft au titre de l'utilisation et de l'adaptation de l'¦uvre initiale peut-elle constituer une renonciation anticipée de l'auteur à tout ou partie de son droit de divulgation ? Le débat est ouvert. 3. Droit moral et respect de l'intégrité du logiciel libre Le droit au respect de l'¦uvre existe en matière de logiciel. Il est cependant limité par l'article L. 121-7 du Code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel : « Sauf stipulation contraire plus favorable à l'auteur d'un logiciel, celui-ci ne peut : 1° S'opposer à la modification du logiciel par le cessionnaire des droits mentionnés au 2° de l'article L. 122-6 [i.e. droit de modification], lorsqu'elle n'est pas préjudiciable ni à son honneur ni à sa réputation ; [?] ». Il reviendra à une jurisprudence aujourd'hui inexistante de définir la notion d'atteinte à l'honneur et à la réputation en matière de programmes informatiques. Prenons l'exemple d'un logiciel sous licence libre totalement interopérable, fonctionnant sur tout système d'exploitation et qui serait repris par Microsoft pour faire en sorte qu'il ne puisse plus fonctionner que sous son système d'exploitation Windows. Dans une telle hypothèse, si la modification n'apporte rien d'autre que d'empêcher l'utilisation du programme sur d'autres plates-formes, serait-il possible de considérer qu'il s'agit là d'une modification de l'¦uvre initiale pouvant porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de l'auteur dont la démarche est par nature opposée aux logiques propriétaires ? Plus clairement encore, un logiciel libre adapté pour être utilisé à des fins militaires ou de terrorisme ne porterait-il pas atteinte à l'honneur ou à la réputation de l'auteur du logiciel initial ? Enfin, dernière hypothèse, s'agissant d'un logiciel en parfait état de marche, mis sous licence libre par son auteur : si, une fois adapté par un tiers, il comportait beaucoup de bogues et ne fonctionnait plus, ceci ne serait-il pas préjudiciable à la réputation de l'auteur du logiciel initial ? En effet, ce dernier étant cité en tant qu'auteur du logiciel initial, il pourrait être décrédibilisé en raison de dysfonctionnements dont il ne serait pas responsable. En tout état de cause, rien n'empêche l'auteur d'un logiciel de le mettre sous licence libre et de prévoir des stipulations plus favorables en matière de droit au respect de l'¦uvre. Le développeur initial pourrait ainsi clairement stipuler que, quelles que soient les modifications réalisées, le logiciel doit rester interopérable, ou ne doit pas servir à des fins militaires ou terroristes. * * * Il est certain que les contrats de licences, même « libres », ne peuvent totalement s'émanciper du droit français. Après une étude des principales stipulations de ces accords, l'inadéquation avec notre droit ne peut être négligée. Tout d'abord, l'application du droit français est source d'insécurité juridique pour les preneurs de licence qui peuvent voir à tout moment le titulaire des droits revenir sur son engagement en invoquant la nullité du contrat pour non-respect du formalisme imposé en matière de transmission de droits d'auteur. Réciproquement, l'application du droit français à ces licences est aussi source d'insécurité juridique pour les titulaires de droits ayant mis leurs ¦uvres sous licence libre. En effet, ces derniers risquent de subir des actions en responsabilité dont les conséquences financières ne seraient pas négligeables. Enfin, au-delà de toutes ces questions, reste l'articulation difficile entre le droit moral de l'auteur sur son ¦uvre et ce type de contrats. Le « libre » mérite mieux que ces licences approximatives, qui devraient donc être modifiées avant que les litiges les concernant ne se multiplient et viennent remettre en cause l'indéniable originalité de cette démarche. * * *