[cedar] Analyse juridique des licences libres

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  • Date: Mon, 2 Sep 2002 13:58:26 -0800

[transmis par Florent Latrive]

Voici un texte très intéressant sur la validité des licences libres en
droit français. Reproduit avec l'autorisation de Cyril Rojinsky sur la
liste de diffusion Escap_L.




Texte paru dans Propriétés Intellectuelles, juillet 2002, n° 4

Doctrine

Les licences libres et le droit français

CYRIL ROJINSKY
AVOCAT AU BARREAU DE PARIS
VINCENT GRYNBAUM
JURISTE


Les licences libres permettent aux utilisateurs d'intervenir sur les ¦uvres
mises à leur disposition, et parfois de les adapter, sans pour autant en
devenir les propriétaires exclusifs. Or, les ¦uvres objets de licences
libres évoluent via le réseau Internet dans un environnement international.
Les principaux contrats actuellement en vigueur dans ce domaine sont-ils
compatibles avec le droit français ? Dans quelle mesure les nombreuses
failles qu'ils révèlent notamment tant au regard des dispositions
protectrices du consommateur, qu'au regard des spécificités du droit
d'auteur ne sont pas source d'insécurité juridique non seulement pour les
auteurs étrangers mais aussi pour les utilisateurs sur le territoire
français ? Face à de telles incertitudes, l'adaptation de ces contrats est
aujourd'hui nécessaire.

La plus célèbre des licences libres est certainement la GPL (General Public
Licence), qui s'applique aux logiciels . Cependant, il existe de nombreuses
autres licences dites « libres » qui s'appliquent non seulement aux
logiciels, mais également aux ¦uvres littéraires et artistiques en général
. En effet le « libre » ne concerne pas que les programmes informatiques ;
il s'agit d'une politique de gestion des droits qui peut s'appliquer à
toutes les ¦uvres de l'esprit. Cette approche consiste en l'utilisation des
mécanismes de propriété intellectuelle dans le but de renverser la logique
de protection et d'aboutir à un mode d'exploitation qui favorise le partage
et l'échange. Le libre ne s'oppose donc aucunement au droit d'auteur : il
s'appuie sur lui.
Le père spirituel du logiciel libre - qui marque la naissance du phénomène
- est sans conteste Richard Stallman, informaticien au laboratoire
d'intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology (MIT),
et fondateur en 1985 de la Free Software Fondation. Il est l'auteur de
l'emblématique licence GPL qui correspond à la conception la plus
libertaire du logiciel libre. Cette licence se caractérise notamment par un
mécanisme dit de copyleft  qui a pour but d'éviter toute réappropriation
ultérieure du logiciel libre par un tiers dans une logique propriétaire.
Une conception plus récente, l'Open Source Initiative, cherche, quant à
elle, à concilier l'idéologie libre avec les intérêts économiques et
industriels. Il sera beaucoup plus difficile d'évaluer la validité
d'ensemble de ce modèle étant donné qu'aucun contrat de licence n'a été
rédigé. L'Open Source Initiative a simplement défini des principes généraux
auxquels les licences doivent se conformer pour bénéficier du label Open
Source .
À ce jour, et malgré l'importance croissante du phénomène, force est de
constater qu'il n'existe pas d'études approfondies sur la validité des
licences libres au regard du droit français . Il n'existe pas non plus de
décision de jurisprudence française ayant eu à se prononcer sur la validité
de ces licences.
Aux États-Unis, une première décision de justice est pourtant attendue dans
une affaire qui oppose MySQL AB à la société Progress Software Corp. La
société MySQL AB, titulaire des droits sur le logiciel MySQL distribué sous
licence GPL, reproche à la société Progress Software d'avoir intégré ce
logiciel libre au sein d'un logiciel propriétaire sans respecter les termes
de la licence GPL et plus particulièrement le mécanisme du copyleft. Eben
Moglen, Professeur de droit à l'Université de Columbia et conseil de la
Free Software Fondation (FSF), a témoigné en faveur de MySQL AB en qualité
d'expert de la licence GPL .
Selon sa déposition, la société Progress Software aurait enfreint la
licence GPL car elle aurait intégré en un unique programme exécutable
compilé, l'un de ses logiciels propriétaires ainsi que le moteur de base de
données MySQL. Or, toujours selon le conseil de la FSF, en ne diffusant pas
la partie du code source correspondant à son programme propriétaire, la
société Progress Software n'aurait pas respecté la licence GPL et devrait
perdre ainsi le droit de distribuer le logiciel MySQL.
Afin de pouvoir se prononcer sur ce litige, le juge devra donc déterminer
si le programme exécutable, distribué par la société Progress Software, est
une ¦uvre dérivée des logiciels originaux ou s'il s'agit seulement de
logiciels indépendants regroupés au sein d'un « package » et ne nécessitant
pas de placer le tout sous licence libre. Voici un litige qui pourrait fort
bien survenir en France. Or, les ¦uvres objets de licences libres évoluent
via le réseau Internet dans un environnement international. C'est pourquoi
il est nécessaire - avant de s'interroger sur la compatibilité de ces
licences avec le droit français - de rechercher à quelles conditions cette
loi leur est applicable.

I. L'applicabilité du droit français aux licences libres

Ceci induit une double réflexion : tout d'abord, la loi française est-elle
applicable aux contrats de licence libre, que les parties aient (A) ou non
(B) désigné une loi applicable ? Ensuite, dans quelles conditions la loi
française reconnaît-elle aux étrangers le bénéfice de la protection du
droit moral ? (C).

A. Application de la loi française en présence d'une clause désignant une
loi étrangère

1. Contrats internationaux et désignation de la loi applicable
Les ¦uvres libres, et les logiciels libres en particulier, sont fréquemment
mis à disposition via l'Internet. Partant, leurs licences sont le plus
souvent des « contrats internationaux » au sens du droit international
privé, soumis en tant que tels à la Convention de Rome du 19 juin 1980 .
Les parties à la licence désignent parfois une loi applicable au contrat ;
mais encore faut-il vérifier si ce choix est valable.
Exemples de licences libres prévoyant une loi applicable (autre que
française)  :
- Licence QT (QPL) : Choice of Law: This license is governed by the Laws of
Norway. Disputes shall be settled by Oslo City Court.
- Mozilla 1.0 : 11. Miscellaneous : This License shall be governed by
California law provisions (except to the extent applicable law, if any,
provides otherwise), excluding its conflict-of-law provisions.
- IBM public licence 1.0 : This Agreement is governed by the laws of the
State of New York and the intellectual property laws of the United States
of America.

L'article 3 de la Convention de Rome pose le principe de l'autonomie de la
volonté en matière de contrats internationaux, principe aux termes duquel :
« Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit
être exprès ou résulter d'une façon certaine des dispositions du contrat ou
des circonstances de la cause ». Il résulte de cet article que le critère
essentiel pour la validité de la désignation de la loi applicable par les
parties est l'absence d'ambiguïté.
À ce titre, une référence à des dispositions législatives particulières
d'un pays déterminé peut être révélatrice de la volonté de rattachement des
parties . Mais il semble que la simple référence à la notion de copyright 
ne sera pas suffisante pour que les juges puissent en déduire la
désignation d'une loi applicable par les parties . A fortiori, la langue
employée par le contrat ne peut, à elle seule, commander la loi applicable.
Cette précision n'est pas négligeable sachant que la plupart des licences
libres n'existent - dans leur version officielle - qu'en langue anglaise .
En tout état de cause, le principe serait qu'en présence d'une clause
expresse désignant une loi étrangère applicable au contrat, la loi
française serait écartée. Cependant, comme tout principe, l'autonomie de la
volonté comporte des exceptions : les dispositions d'ordre public du for et
les lois de police ayant un lien avec le contrat peuvent être appliquées
par dérogation. Mais l'exception majeure concerne ici les contrats conclus
avec des consommateurs.

2. Dérogation en matière de contrats conclus avec des consommateurs
Si l'on admet qu'une loi étrangère a été valablement choisie par les
parties dans le cadre d'une licence libre, l'application de cette loi se
heurtera à des difficultés non négligeables si le bénéficiaire de la
licence est un consommateur . Le contrat de licence libre ne saurait en
effet « priver le consommateur de la protection que lui assurent les
dispositions impératives » de la loi française .
Toutefois, il convient de préciser que les dispositions protectrices de
l'article 5 de la Convention de Rome ne seront applicables que si la
conclusion du contrat de licence a été précédée, dans le pays du
consommateur, « d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité » 
et si le consommateur a « accompli dans ce pays les actes nécessaires à la
conclusion du contrat » . Or il s'agit là de critères cumulatifs. Si l'on
applique ces dispositions à un mode de distribution passif des logiciels
libres en ligne (technique qualifiée de pull ), le consommateur français ne
pourra, semble-t-il, se prévaloir des dispositions protectrices de la loi
du pays dans lequel il a sa résidence habituelle, en l'occurrence la loi
française. Ainsi, en l'absence de « sollicitation électronique », il est
très douteux que les conditions d'application de l'article 5 de la
Convention de Rome soient remplies.
En revanche, si les conditions posées par l'article 5 de la Convention
étaient remplies, ceci aurait principalement pour conséquence d'empêcher
que la désignation d'une loi étrangère applicable ne prive le consommateur
français des dispositions sur les clauses abusives .

3. L'exemple de la loi Toubon
Nous avons déjà souligné que certaines licences libres sont rédigées en
anglais. Or la rédaction du contrat dans une langue autre que le français
pose problème au regard de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à
l'emploi de la langue française, aux termes duquel : « Dans la désignation,
l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description
de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un
service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue
française est obligatoire ». Ainsi, s'agissant des « modes d'emploi ou
d'utilisation » des logiciels libres, et des « conditions de garantie »
prévues par les licences, souvent entièrement rédigés en anglais, une
amende correspondant aux contraventions de la 4e classe serait encourue .
La circulaire d'application du 19 mars 1996  précise le champ d'application
de la loi en affirmant que sont concernés par cet article : « 1° Tous les
documents destinés à informer l'utilisateur ou le consommateur : [?]. Les
modes d'utilisation intégrés dans les logiciels d'ordinateurs et de jeux
vidéo et comportant des affichages sur écran où des annonces sonores sont
assimilés à des modes d'emploi. En conséquence, les modes d'utilisation des
logiciels d'application et des logiciels d'exploitation doivent être
établis en français, qu'ils soient sur papier ou intégrés dans le logiciel.
Les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes
de droit privé françaises et étrangères, qui ne sont pas consommateurs ou
utilisateurs finaux des biens, produits ou services, ne sont pas visés par
ces dispositions ». Ce texte interprétatif est facteur de confusion en ce
sens qu'il vise non seulement les « consommateurs », mais aussi les «
utilisateurs finaux » des produits et services. Or il existe des
utilisateurs finaux qui ne sont pas des consommateurs, telle une entreprise
qui utilise un logiciel pour ses besoins propres.
Il convient toutefois de remarquer que si nous ne sommes plus en présence
d'un consommateur, nous sortons de l'exception prévue dans cette hypothèse
par la Convention de Rome. Par conséquent, pour avoir vocation à
s'appliquer, la loi Toubon devrait être considérée comme une disposition
d'ordre public du for ou une loi de police ayant un lien avec le contrat.
La circulaire aborde aussi l'application de cette loi en matière de
logiciels, et la Cour d'appel de Paris a d'ailleurs confirmé que la loi de
1994 s'appliquait au domaine informatique et que la prédominance de la
langue anglaise sur ce marché ne dispensait pas les distributeurs
traditionnels de logiciels de la respecter .
En revanche, il n'existe à notre connaissance aucune décision appliquant la
loi de 1994 à un site Internet distribuant des logiciels, adressé aux
consommateurs et rédigé intégralement en anglais. On peut néanmoins citer
une récente décision de la Cour du Québec - État dans lequel des
dispositions similaires sont en vigueur - qui a condamné un site Internet
faisant, pour un produit, de la publicité commerciale uniquement en langue
anglaise .
Dans l'hypothèse de la désignation d'une loi étrangère par le contrat de
licence libre, subsistent ainsi de nombreuses situations dans lesquelles le
droit français aura vocation à s'appliquer. Il reste à démontrer que ce
constat demeure valable pour les contrats de licence qui ne désignent pas
la loi applicable au contrat.

B. Application de la loi française en l'absence de choix de la loi
applicable par les parties

1. Le critère des liens les plus étroits
À l'instar de la licence GPL, la plupart des contrats de licence libre ne
précisent pas la loi qui leur est applicable. Or, dans la mesure où le
contrat de licence ne prévoit pas expressément de loi applicable, la
Convention de Rome dispose que l'accord est régi « par la loi du pays avec
laquelle il présente les liens les plus étroits » . La Convention y ajoute
une présomption générale selon laquelle le contrat entretient les liens les
plus étroits avec la loi du pays où « la partie qui doit fournir la
prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa
résidence habituelle ». Cependant, cette présomption générale ne s'applique
que s'il est possible de clairement identifier la « prestation
caractéristique » au sein du contrat.
On est tenté de penser qu'en matière de licence, la prestation
caractéristique est le fait de céder les droits de propriété
intellectuelle. Cependant, une partie de la doctrine estime qu'en matière
de droit d'auteur il est souvent difficile de déterminer « qui fournit
l'obligation essentielle du contrat », et préconise une recherche au cas
par cas de la loi applicable .
Il a ainsi été proposé d'analyser concrètement les obligations des parties
au sein des contrats d'exploitation des ¦uvres et de rechercher celles qui
sont les plus caractéristiques . Ceci conduit M. J. Raynard à distinguer
les contrats d'exploitation portant obligation d'exploiter l'¦uvre, où «
l'effet caractéristique du contrat réside alors dans l'exploitation » , des
contrats d'exploitation ne portant pas obligation d'exploiter l'¦uvre, pour
lesquels « l'effet caractéristique du contrat réside dans le transfert du
droit » .

2. Prestation caractéristique et licences libres
En matière de logiciel libre, cette analyse est particulièrement pertinente
du fait que nous ne sommes pas en présence d'un simple contrat de licence
d'utilisation de programme informatique par lequel seul le donneur s'engage
à accorder des droits. En effet, si l'on prend l'exemple de la licence GPL,
le titulaire des droits accorde un droit d'adaptation de son logiciel, et
conditionne cette cession à l'obligation pour le bénéficiaire de concéder
ses droits sur le logiciel adapté dans les mêmes conditions que le logiciel
initial. Il est donc possible de considérer que, plus la licence de
logiciel libre mettra des obligations à la charge du bénéficiaire de la
licence, plus la prestation caractéristique aura des chances d'être de son
côté. La prestation caractéristique pourra ainsi être, en quelque sorte,
inversée par rapport aux schémas contractuels classiques.
Il existe enfin une limite non négligeable à ce critère de détermination de
la loi applicable, qui concerne une fois encore les consommateurs. En
effet, vis-à-vis de ces derniers, et toujours sous réserve que le contrat
soit intervenu dans les conditions rappelées plus haut (« proposition
spéciale » ou « publicité »), la loi applicable au contrat de licence sera
« la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle ».
Nombreuses sont donc les hypothèses dans lesquelles, sur le territoire
français, des dispositions du droit français seront applicables aux
contrats de licences libres. Il est donc nécessaire de s'intéresser,
au-delà du cadre strict de la loi applicable à ces accords, aux droits
reconnus en France aux auteurs étrangers.

C. Le droit moral, une norme impérative

1. Le droit moral reconnu aux auteurs étrangers
Il s'agit de déterminer dans quelle mesure le droit français reconnaît aux
auteurs étrangers un droit moral sur leurs ¦uvres. Chacun pense ici au
célèbre arrêt Huston de la Cour de cassation, en date du 28 mai 1991 . Par
un arrêt du 6 juillet 1989, la Cour de Paris  avait refusé aux héritiers
d'un auteur étranger le bénéfice du droit moral français qui leur aurait
permis de faire interdire une exploitation portant atteinte à l'intégrité
de l'¦uvre de leur légataire. La Cour, visant ensemble les articles L.
111-4 et L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle , a censuré la
décision d'appel en affirmant que ces dispositions sur le droit moral de
l'auteur sont « des lois d'application impérative ».
La Cour semble avoir ainsi érigé le droit moral en norme supérieure en
reconnaissant son bénéfice aux auteurs étrangers sur le territoire
français. Il faut toutefois nuancer ce propos, car l'article L. 111-4
alinéa 2 ne vise qu'une sorte de « droit moral minimum garanti » comprenant
uniquement le droit à la paternité et à l'intégrité de l'¦uvre.
Or en matière de licence libre, ces prérogatives de droit moral ont une
importance toute particulière, et il faut donc déterminer dans quelle
mesure les auteurs étrangers peuvent, ou non, s'en prévaloir sur le
territoire français.

2. L'existence d'un droit moral a minima en matière de logiciels
La difficulté consistant à étendre la solution de l'arrêt Huston aux
logiciels vient du fait que l'un des articles visés par la Cour de
cassation (CPI, art. L. 111-4, al. 2) n'aura pas forcément vocation à
s'appliquer en la matière.
En effet, la loi du 3 juillet 1985 a introduit une exigence de réciprocité
spécifique en matière de logiciels . Or, l'une des singularités de la
réciprocité en matière de logiciels réside dans l'absence de protection
minimale en matière de droit moral. En effet, l'article L. 111-5 ne
contient pas d'alinéa 2 prévoyant, comme le fait l'article L. 111-4 en
matière de droit d'auteur classique, que même à défaut de réciprocité «
aucune atteinte ne peut être portée à l'intégrité ni à la paternité de ces
¦uvres ».
Un débat doctrinal s'est ainsi développé sur le point de savoir si le
législateur avait souhaité priver les auteurs de logiciels de cette
disposition ou si, en l'absence de disposition spécifique, l'on devait
revenir aux règles régissant le droit d'auteur général et donc à l'article
L. 111-4 alinéa 2 prévoyant qu'en tout état de cause aucune atteinte ne
peut être portée à certains attributs du droit moral . En faveur de la
première interprétation certains estiment que l'absence d'alinéa 2 dans le
texte spécifique aux logiciels est un « signe, parmi d'autres, de
l'inadaptation du droit moral aux logiciels » .
Il semble donc bien qu'en adoptant une disposition particulière, et en ne
reprenant pas cet alinéa 2, le législateur a effectivement souhaité
exclure, à défaut de réciprocité, le bénéfice du droit moral aux auteurs
étrangers de logiciels. Cependant, contrairement aux défenseurs de cette
position, nous ne pensons pas que le droit moral soit inadapté en matière
de programmes informatiques. Même en l'absence de réciprocité, il aurait
été fort utile, en matière de logiciels libres, que le droit français
reconnaisse aux auteurs étrangers le bénéfice du droit moral qui reprend
tout son intérêt dans cet environnement (v. § II. C, infra). Mais cette
condition de réciprocité étant presque toujours remplie, la conception
française du droit moral aura néanmoins vocation à s'appliquer dans la
plupart des hypothèses.
C'est pourquoi la question de la conformité des licences avec le droit
français et de l'incidence du droit moral se pose avec une grande acuité.

II. L'application du droit français aux licences libres

Supposons donc que la loi française s'applique aux licences libres. Les
premières interrogations concernent naturellement la validité même des
dispositions de ces contrats de licences au regard du droit français. Or
cette validité est particulièrement incertaine en ce qui concerne le
respect du formalisme des cessions de droits (A) et des clauses d'exclusion
de garantie (B). Il faudra enfin tenter d'aborder la délicate question de
la compatibilité entre le droit moral et les mécanismes de licence libre
(C).

A. Le formalisme insuffisant des licences libres

1. Le constat du non-respect du formalisme dans les contrats de licence libre
Force est de constater que la plupart des contrats de licence libre ne
détaillent que trop peu les conditions de cession des droits d'auteur à
l'utilisateur. Le plus souvent, les licences ne précisent pas l'étendue de
la cession, sa destination, sa durée et son étendue géographique.
À titre d'illustration, les licences suivantes ne semblent pas suffisamment
précises :
- pour les ¦uvres libres en général : Ethymonics Free Music License,
Licence Open Content ;
- en matière de logiciel libre : GNU GPL, BSD, Licence X.
En revanche, la Licence Art Libre apparaît suffisamment détaillée quant aux
conditions de cession des droits.
Ces licences concèdent un droit d'utilisation et de modification du
logiciel, mais sont-elles valables au regard du droit français ? Comme
chacun sait, les cessions de droits trop générales - ne précisant pas les
droits cédés, la durée ou l'étendue géographique - sont nulles au regard de
l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle. Il s'agit là
d'une nullité relative, que seul l'auteur pourra invoquer. Encore faut-il
rechercher si l'article L. 131-3 s'applique aux contrats de licence de
logiciel libre. Et la question est moins évidente qu'il n'y paraît.

2. L'applicabilité du formalisme aux cessions de licences libres
Il ne fait aucun doute que l'article L. 131-3 du Code de la propriété
intellectuelle s'applique aux cessions de droits sur des logiciels, cette
règle ayant d'ailleurs été rappelée récemment par la Cour de cassation .
Par ailleurs, la Cour de cassation, confirmant la solution de la Cour
d'appel de Paris, a précisé qu'il est nécessaire de respecter le formalisme
imposé par l'article L. 131-3 indépendamment de la nature gratuite ou
onéreuse de la cession . Ceci n'est pas négligeable en matière de logiciels
libres sachant que le plus souvent - même s'il ne s'agit pas là d'une
condition essentielle - les cessions sont consenties à titre gratuit.
En revanche, il convient de rappeler qu'avec l'arrêt Perrier, la
jurisprudence a précisé que ce formalisme ne s'applique pas aux
sous-cessions de droits d'auteur . Cette solution s'explique par le fait
que ce formalisme vise à protéger l'auteur et non l'acquéreur des droits
sur une ¦uvre qui désirerait les céder par la suite.
Or, l'une des particularités des logiciels libres réside justement dans le
fait qu'ils sont amenés à évoluer grâce à l'adaptation du logiciel initial
par d'autres informaticiens. Une fois le logiciel adapté, nous sommes en
présence d'une ¦uvre composite. En fonction des actes accomplis par celui
qui concède les droits sur ce logiciel par la suite, il y aura donc
nécessairement une part de cession, et une part de sous-cession, comme le
montre le schéma ci-dessous.
 
3. Cas particulier de la cession du droit de distribution
Il faut néanmoins envisager un cas particulier, pour lequel le formalisme
imposé par le Code de la propriété intellectuelle n'aura pas à s'appliquer
directement.
Prenons l'exemple d'une ¦uvre diffusée en ligne sous licence libre
prévoyant notamment la cession du droit de distribution. Dans l'hypothèse
où un tiers déciderait de prendre cette ¦uvre et de la distribuer, le
rapport entre le tiers et ses co-contractants s'analyserait en une
sous-cession de l'¦uvre . Ainsi, le formalisme n'aurait pas à s'appliquer
aux licences entre le distributeur et ses preneurs.
Imaginons, en revanche, que le titulaire initial des droits sur l'¦uvre
oppose la nullité de la cession des droits au distributeur en raison de
l'absence de formalisme : quid de la validité des sous-cessions déjà
intervenues ? Il s'agit là d'un problème classique en droit d'auteur mais
qui est largement amplifié avec les contrats de licence de logiciels libres
pour lesquels, par nature, il existe de longues chaînes contractuelles. Or
la jurisprudence affirme de manière constante que la nullité rétroactive du
contrat de cession initiale emporte nullité des sous-cessions conclues avec
des tiers .
Il faut toutefois évoquer le plaidoyer audacieux d'Anne Pélissier en faveur
de l'extension aux meubles incorporels du principe énoncé par l'article
2279 du Code civil pour les meubles corporels (selon lequel, « en fait de
meuble, la possession vaut titre ») . Ainsi le possesseur de bonne foi d'un
meuble incorporel serait considéré comme propriétaire dès le transfert de
possession . La question qui reste alors en suspens est de savoir comment
articuler la bonne foi présumée du possesseur d'un meuble en matière civile
avec la présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon (ou avec le
fait qu'au civil, cette bonne foi est indifférente).
En définitive, il apparaît que la quasi-totalité des licences libres ne
respecte pas le formalisme imposé à peine de nullité par le droit français.
Ceci signifie concrètement que l'auteur d'un logiciel libre pourrait à tout
moment invoquer la nullité de la cession des droits.
Mais il ne s'agit pas là de la seule stipulation contestable des contrats
de licence libre. Les clauses d'exclusion de garantie apparaissent, elles
aussi, bien souvent illicites au regard du droit français.

B. Les exclusions illicites de responsabilité au sein des licences libres

Après une analyse des principales licences libres, on remarque que le plus
souvent « liberté » va de pair avec « absence de responsabilité ».
La validité au regard du droit français des clauses d'exclusion de
responsabilité se pose vis-à-vis de toutes les ¦uvres. Cependant, afin
d'illustrer ce propos, nous nous intéresserons prioritairement aux
logiciels pour lesquels l'enjeu économique de la responsabilité est
beaucoup plus patent .
Exemples de clauses d'exclusion de responsabilité au sein de licences de
logiciels libres :
- Licence X (X consortium, 1987)
« Ce programme est fourni "tel qu'en l'état" sans aucune garantie de
quelque nature, implicite ou explicite, quant à son utilisation
commerciale, professionnelle, légale ou non, ou autre. Le X consortium ne
peut en aucun cas être tenu pour responsable de quelque dommage ou
préjudice direct, indirect, secondaire ou accessoire découlant de
l'utilisation de tout ou partie de ce programme ».
- Copyright BSD (Berkeley Software Design)
« Ce programme est fourni "tel qu'en l'état" par les membres du Conseil
d'administration et leurs collaborateurs et il n'est donné aucune garantie,
implicite ou explicite, quant à son utilisation commerciale,
professionnelle ou autre. Les membres du Conseil d'administration et leurs
collaborateurs ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables de
quelque dommage ou préjudice direct, indirect, secondaire ou accessoire (y
compris les pertes financières dues au manque à gagner, à l'interruption
d'activités, ou la perte d'informations et autres) découlant de
l'utilisation du programme, ou de l'impossibilité d'utiliser celui-ci, et
dont l'utilisateur accepte l'entière responsabilité ».
- GPL (General Public Licence)
« Limitation de garantie
Article 11
Comme la licence du programme est concédée à titre gratuit, il n'y a aucune
garantie s'appliquant au programme, dans la mesure autorisée par la loi en
vigueur. Sauf mention contraire écrite, les détenteurs du droit d'auteur
et/ou les autres parties mettent le programme à disposition "en l'état",
sans aucune garantie de quelque nature que ce soit, expresse ou implicite,
y compris, mais sans limitation, les garanties implicites de
commercialisation et de l'aptitude à un objet particulier. C'est le même
concessionnaire qui prend la totalité du risque quant à la qualité et aux
performances du programme. Si le programme se révélait défectueux, c'est le
concessionnaire qui prendrait à sa charge le coût de l'ensemble des
opérations nécessaires d'entretien, réparation ou correction.
Article 12
En aucun cas, sauf si la loi en vigueur l'exige ou si une convention écrite
existe à ce sujet, aucun détenteur de droits d'auteur, ou aucune partie
ayant le pouvoir de modifier et/ou de redistribuer le programme
conformément aux autorisations ci-dessus, n'est responsable vis-à-vis du
concessionnaire pour ce qui est des dommages, y compris tous dommages
généraux, spéciaux, accidentels ou indirects, résultant de l'utilisation ou
du programme ou de l'impossibilité d'utiliser le programme (y compris, mais
sans limitation, la perte de données, ou le fait que des données sont
rendues imprécises, ou encore les pertes éprouvées par les concessionnaires
ou par des tiers, ou encore un manquement du programme à fonctionner avec
tous autres programmes), même si ce détenteur ou cette autre partie a été
avisé de la possibilité de tels dommages ».

1. La qualification de clause abusive
Afin d'éviter les déséquilibres dans les rapports contractuels, le Code de
la consommation prévoit en son article L. 132-1 que : « Dans les contrats
conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont
abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer [?] un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » .
Il est précisé par la suite que ces clauses abusives sont « réputées non
écrites ». S'agissant du champ d'application de ces dispositions, la Cour
de justice des Communautés européennes a récemment eu l'occasion de
préciser que la notion de « consommateur » au sens de la directive de 1993
vise exclusivement les personnes physiques, ce qui met fin à un débat
doctrinal et jurisprudentiel intense .
Le Code de la consommation institue par ailleurs une commission chargée de
déterminer par des recommandations des types de clauses qui doivent être
regardées comme abusives, étant précisé que les avis de cette commission ne
lient pas le juge. Dans sa recommandation du 7 avril 1995, la Commission
des clauses abusives a ainsi dressé une liste des stipulations pouvant être
regardées comme abusives en matière de contrats portant sur des logiciels .
Plus particulièrement, en matière d'exclusion de garantie, la Commission
recommande que soient éliminées de ces contrats « les clauses qui ont pour
objet ou pour effet : [?] 3° D'exclure toute garantie du professionnel
afférente au logiciel, à son support, et de l'exonérer de toutes les
conséquences des défauts de la documentation fournie lors de la mise à
disposition du logiciel ».
Si nous prenons l'exemple de la licence GPL, le caractère abusif de ces
clauses à l'égard du consommateur paraît évident. En effet, selon ses
stipulations, le logiciel libre est fourni « sans aucune garantie de
quelque nature que ce soit ». La précision, dans ce contrat de licence, aux
termes de laquelle l'exclusion totale de garantie vaut « dans la mesure
autorisée par la loi en vigueur », n'empêchera évidemment pas qu'une telle
clause soit qualifiée d'abusive et par conséquent nulle et de nul effet à
l'égard du consommateur .
Il convient par ailleurs de prendre en compte les conséquences, en matière
de logiciels libres, de la transposition de la directive du 20 mai 1997 sur
la protection des consommateurs en matière de contrats à distance par
l'ordonnance du 23 août 2001. Les logiciels libres sont en effet le plus
souvent distribués en ligne. Dès lors, il s'agit bien de contrats conclus à
distance au sens de l'article L. 121-16 du Code de la consommation . À ce
titre, les offres des contrats devront contenir les mentions informatives
imposées par l'article L. 121-18 du Code de la consommation. Un point reste
cependant obscur : le droit de rétractation institué par cette directive
n'est pas applicable aux logiciels une fois « descellés par le consommateur
» . Doit-on considérer que l'acceptation en ligne, par un simple clic, est
équivalente au « descellement » ?
Il faut enfin ajouter à ces dispositions la directive sur le commerce
électronique  qui devrait être transposée par la loi sur la société de
l'information actuellement au stade de projet. En effet, comme le remarque
très justement un auteur, ces deux séries de dispositions protectrices ont
vocation à s'appliquer cumulativement aux contrats conclus en ligne , donc
bien au-delà de la seule relation entre un professionnel et un consommateur.

2. L'absence de prise en compte de la garantie des vices cachés
En fonction de la qualification retenue pour le contrat de licence de
logiciel libre , le régime de la garantie des vices cachés sera
sensiblement différent. D'une manière générale, le trop redouté « bogue de
l'an 2000 » aura au moins permis de débattre l'application de la garantie
des vices cachés à la fourniture de logiciels .
En effet la jurisprudence, bien que lacunaire et peu explicite à ce sujet,
a confirmé qu'il existe, au profit du licencié, une action en garantie des
vices cachés distincte de l'action en défaut de conformité du logiciel .
Pour la mettre en ¦uvre, le vice doit être sérieux, c'est-à-dire empêcher
l'usage du logiciel et doit bien entendu ne pas être décelable au moment de
la conclusion du contrat de licence. Rappelons que le vendeur peut
néanmoins prévoir une clause excluant toute garantie des vices cachés
lorsque la vente a lieu entre professionnels de même spécialité. Il faudra
donc rechercher ici si l'utilisateur du logiciel libre est un professionnel
en matière de développement de programmes informatiques. Si tel n'est pas
le cas, la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés ne sera pas
valable .
De plus, vis-à-vis du consommateur, la Commission des clauses abusives,
dans sa recommandation précitée sur les contrats en matière de logiciels,
évoque les clauses écartant « toute garantie des dommages provoqués par le
logiciel ». Elle fait aussi référence à l'article R. 211-4 du Code de la
consommation qui précise qu'en matière de vente aux consommateurs « la
garantie légale qui oblige le vendeur professionnel à garantir l'acheteur
contre toutes les conséquences des défauts ou vices cachés » ne peut être
exclue.

3. La responsabilité sans faute en matière de produits défectueux
La directive communautaire de 1985 pose le principe d'une responsabilité
sans faute du professionnel pour les dommages causés par ses produits.
Cette directive a enfin été transposée dans le Code civil par une loi du 19
mai 1998, et il reste à savoir si ce texte s'applique en matière de
logiciels. Dès 1988, Lord Cockfield donnait une réponse au nom de la
Commission européenne. Considérant que la directive vise les produits qui
sont définis comme « tout meuble », elle s'appliquerait donc « aux
logiciels, comme elle s'applique d'ailleurs aux produits artisanaux et
artistiques » .
De même, lors des débats parlementaires précédant l'adoption de la loi
française, la ministre de la Justice précisait que la loi avait « vocation
à englober l'intégralité de la catégorie juridique des meubles, à laquelle
appartiennent les logiciels » . La ministre précisait toutefois que ce
texte, ne visant que les atteintes à la sécurité des personnes ou des
biens, serait d'application résiduelle en matière de programmes
informatiques. Il nous semble, bien au contraire, que la portée de ce texte
n'est pas anecdotique en ce qui concerne les logiciels. De nombreux
programmes sont en effet utilisés dans des domaines où un simple bogue
pourrait porter atteinte à la sécurité des personnes (logiciels de
navigation aéronautique, d'assistance, d'imagerie médicale, etc.) et des
biens.
On le voit à travers ces exemples, les clauses d'exclusion de garantie
prévues par les licences de logiciel libre sont tout à fait insuffisantes .
À ce titre, elles pourront souvent être écartées.
Il faut donc enfin rechercher dans quelle mesure l'auteur pourra, en
exerçant son droit moral, remettre en cause les droits cédés par
l'intermédiaire du contrat de licence libre.

C. Combinaison du droit moral et des licences libres

1. Le droit moral, élément fondamental du libre
Il est certain que le droit moral est particulièrement important en matière
de licence libre. Ce regain d'intérêt pour le droit moral, dans ce domaine,
s'explique selon nous par plusieurs facteurs.
Tout d'abord, il va de soi qu'à partir du moment où il cède l'essentiel des
droits patrimoniaux sur son ¦uvre, il ne reste plus à l'auteur que son
droit moral pour agir. De plus, en dehors du droit moral tel qu'il est
organisé par la loi, l'on trouve dans ces différentes licences une
véritable volonté des auteurs d'assurer une protection efficace de leur
droit moral. Si, dans la logique du libre, le droit patrimonial de l'auteur
se trouve renversé, il nous semble que le droit moral est quant à lui
véritablement renforcé . Enfin, à partir du moment où une ¦uvre est « libre
», elle est amenée à circuler, à être modifiée par des tiers. Dans ce
contexte, il est certain que les atteintes au droit moral seront plus
fréquentes que dans des logiques propriétaires.

2. Compatibilité du droit moral et du copyleft
Certaines licences libres, à l'instar de la GPL, s'appuient sur le
mécanisme dit de copyleft. Ces contrats de licence ne permettent
l'adaptation du logiciel libre ou de l'¦uvre libre qu'à la condition que
l'¦uvre adaptée soit elle-même diffusée sous les mêmes conditions de
licence. Ce mécanisme est-il compatible avec le droit moral français ?
Cette question se pose plus particulièrement vis-à-vis du droit de
divulgation. « L'auteur a seul le droit de divulguer son ¦uvre. [?] il
détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci » .
Rappelons que ce droit existe aussi en matière de logiciel. Il semble donc
que la licence libre ne peut lui imposer de divulguer son ¦uvre dérivée.
Mais s'il décide de la divulguer, est-il forcé de respecter les termes de
la licence ? Ne doit-on pas considérer que cette condition constitue une
atteinte au droit de divulgation de l'auteur en ce qu'elle l'empêche de
décider du procédé et des conditions de divulgation de son ¦uvre ? Dans
cette hypothèse, l'acceptation du copyleft au titre de l'utilisation et de
l'adaptation de l'¦uvre initiale peut-elle constituer une renonciation
anticipée de l'auteur à tout ou partie de son droit de divulgation  ? Le
débat est ouvert.

3. Droit moral et respect de l'intégrité du logiciel libre
Le droit au respect de l'¦uvre existe en matière de logiciel. Il est
cependant limité par l'article L. 121-7 du Code de la propriété
intellectuelle, aux termes duquel : « Sauf stipulation contraire plus
favorable à l'auteur d'un logiciel, celui-ci ne peut : 1° S'opposer à la
modification du logiciel par le cessionnaire des droits mentionnés au 2° de
l'article L. 122-6 [i.e. droit de modification], lorsqu'elle n'est pas
préjudiciable ni à son honneur ni à sa réputation ; [?] ». Il reviendra à
une jurisprudence aujourd'hui inexistante de définir la notion d'atteinte à
l'honneur et à la réputation en matière de programmes informatiques.
Prenons l'exemple d'un logiciel sous licence libre totalement
interopérable, fonctionnant sur tout système d'exploitation et qui serait
repris par Microsoft pour faire en sorte qu'il ne puisse plus fonctionner
que sous son système d'exploitation Windows. Dans une telle hypothèse, si
la modification n'apporte rien d'autre que d'empêcher l'utilisation du
programme sur d'autres plates-formes, serait-il possible de considérer
qu'il s'agit là d'une modification de l'¦uvre initiale pouvant porter
atteinte à l'honneur ou à la réputation de l'auteur dont la démarche est
par nature opposée aux logiques propriétaires ?
Plus clairement encore, un logiciel libre adapté pour être utilisé à des
fins militaires ou de terrorisme ne porterait-il pas atteinte à l'honneur
ou à la réputation de l'auteur du logiciel initial ?
Enfin, dernière hypothèse, s'agissant d'un logiciel en parfait état de
marche, mis sous licence libre par son auteur : si, une fois adapté par un
tiers, il comportait beaucoup de bogues et ne fonctionnait plus, ceci ne
serait-il pas préjudiciable à la réputation de l'auteur du logiciel initial
? En effet, ce dernier étant cité en tant qu'auteur du logiciel initial, il
pourrait être décrédibilisé en raison de dysfonctionnements dont il ne
serait pas responsable.
En tout état de cause, rien n'empêche l'auteur d'un logiciel de le mettre
sous licence libre et de prévoir des stipulations plus favorables en
matière de droit au respect de l'¦uvre. Le développeur initial pourrait
ainsi clairement stipuler que, quelles que soient les modifications
réalisées, le logiciel doit rester interopérable, ou ne doit pas servir à
des fins militaires ou terroristes.

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Il est certain que les contrats de licences, même « libres », ne peuvent
totalement s'émanciper du droit français. Après une étude des principales
stipulations de ces accords, l'inadéquation avec notre droit ne peut être
négligée.
Tout d'abord, l'application du droit français est source d'insécurité
juridique pour les preneurs de licence qui peuvent voir à tout moment le
titulaire des droits revenir sur son engagement en invoquant la nullité du
contrat pour non-respect du formalisme imposé en matière de transmission de
droits d'auteur. Réciproquement, l'application du droit français à ces
licences est aussi source d'insécurité juridique pour les titulaires de
droits ayant mis leurs ¦uvres sous licence libre. En effet, ces derniers
risquent de subir des actions en responsabilité dont les conséquences
financières ne seraient pas négligeables. Enfin, au-delà de toutes ces
questions, reste l'articulation difficile entre le droit moral de l'auteur
sur son ¦uvre et ce type de contrats.
Le « libre » mérite mieux que ces licences approximatives, qui devraient
donc être modifiées avant que les litiges les concernant ne se multiplient
et viennent remettre en cause l'indéniable originalité de cette démarche.


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