Memphis Depay : Straight Outta Gones Town
Entre deux coups d’éclat sur le terrain, Memphis Depay rappe. Au point de
sortir un premier EP fin 2020. Influence de 50 Cent, coulisses, accueil du
projet… Focus sur l’autre carrière du capitaine de l’OL, de ses débuts en
passant par le rôle thérapeutique que joue le rap dans sa vie.
Des punchlines dès l’intro de 2021. Avec trois buts et une passe décisive en
trois matchs, Memphis Depay a attaqué la nouvelle année comme il avait terminé
2020. Les prouesses du capitaine de l’Olympique Lyonnais avant la trêve ? Une
panenka contre Nice, une frappe chirurgicale contre Metz, un beau but contre
Monaco, mais aussi la sortie d’un projet musical. Après avoir donné un aperçu
de son flow à travers une poignée de freestyles et de clips à l’esthétique
léchée, le footballeur rappeur néerlandais a sauté le pas avec Heavy Stepper,
un premier EP de 9 titres sorti fin novembre.
Le rap tôt sur la route de Memphis
Il faut être sûr de soi pour pousser la chansonnette dans le vestiaire de l’OL.
L’effectif lyonnais compte au moins deux paires d’oreilles expertes. Outre
Memphis Depay, Karl Toko Ekambi a longtemps fait partie de la MZ, un groupe de
rap du 13e arrondissement parisien dont il était membre sous le pseudonyme de
MC Loka jusqu’à son passage du Paris FC à Sochaux. La passion de Memphis Depay
pour le rap remonte, elle aussi, à très loin. « Il ne s’est pas mis au rap du
jour au lendemain. Lorsqu’il était encore un joueur assez confidentiel aux
Pays-Bas, il rappait déjà. Ce n’est pas une lubie qu’il s’est découverte ces
derniers mois », raconte Brice Bossavie, journaliste rap qui opère notamment
sur le site spécialisé L’Abcdr du son et sur Une-deux, le podcast foot et rap
de L’Equipe.
Grand fan de 2Pac et 50 Cent, dont les posters recouvraient les murs de sa
chambre d’adolescent, Memphis Depay raconte qu’il n’avait que 13 ans lors de sa
première session studio. Au printemps 2013, le jeune attaquant du PSV
Eindhoven, alors âgé de 19 ans, pose sur une mixtape au sein d’un collectif,
celui du label RotterdamAirlines. La saison suivante, la carrière du joueur
décolle. Il brille avec le PSV, débute en sélection puis signe à Manchester
United. En janvier 2017, après un an et demi en Angleterre, l’international
Oranje choisit l’OL. De quoi relancer sa carrière sportive (5 buts et 7 passes
décisives en 4 mois) et musicale puisque, sitôt la saison terminée, le
néo-Lyonnais poste un premier clip où il rappe en duo avec Quincy Promes, son
coéquipier en équipe des Pays-Bas. Mais entre une vidéo tournée lors de ses
vacances à Los Angeles et un EP de 9 titres, comme celui sorti fin novembre, il
y a un monde.
Plus qu’une passion, une thérapie
Après un nouveau clip posté sur YouTube fin 2017, l’attaquant rhodanien passe
la vitesse supérieure en 2018. Pas embêté par le Mondial russe, il profite du
mois de juillet pour se rendre au Ghana, le pays de son père, dans le cadre
d’un voyage caritatif. La fondation du joueur de l’OL y aide des jeunes
malvoyants et malentendants. Pour faire connaître cette cause, Memphis Depay
sollicite Winne, un membre important de la scène rap de Rotterdam, et lui
propose une collaboration musicale. Le résultat ? La chanson Akwaaba («
bienvenue » en twi, le principal dialecte ghanéen). Ce projet permet à Memphis
Depay de faire la rencontre du beatmaker néerlandais Rass King, producteur du
titre et futur architecte sonore de son projet Heavy Stepper. Pendant deux ans,
le capitaine lyonnais demande à Rass King de rappliquer lorsqu’il sent
l’inspiration arriver. « Je le rejoignais et on enregistrait. Je ramenais un
micro, mon ordinateur, et on transformait n'importe quel end
roit en studio […] On se voyait pendant les vacances, entre deux matchs ou
quand il passait aux Pays-Bas. Il a aussi eu un peu plus de temps pour faire de
la musique », détaille Rass King dans un entretien à So Foot.
En décembre 2019, il est en effet victime d’une rupture du ligament croisé
antérieur d’un genou lors d’un match contre Rennes. Vient ensuite la crise du
coronavirus avec son confinement et l’arrêt du championnat. Memphis Depay peut
se consacrer encore davantage à la musique, en parallèle de sa rééducation.
Quelques jours après sa grave blessure, il avait d’ailleurs annoncé la couleur
: « Vous savez à quel point faire de la musique a un rôle thérapeutique pour
moi… Je vais utiliser ma douleur, cette épreuve et cette motivation en studio
». Le Néerlandais écrit et enregistre la majorité de son EP pendant sa
convalescence à Dubaï.
En réalité, le rap ne quitte jamais son quotidien, comme le dévoile son
producteur Rass King, toujours dans les colonnes de So Foot : « Il écrit tout
le temps, il me le dit à chaque fois. Il écrit dans l'avion notamment. Il a un
dossier avec des prods, pour tester des choses sur un morceau. […] Je pense
qu'il ne pourrait pas vivre sans faire de musique. Il a une vraie passion pour
ça, une vraie ambition, du sérieux, et il veut surtout apprendre ». Il y a
quelques mois, Memphis Depay avait essayé d’expliquer son rapport au rap dans
une interview à Views : « La musique est une grande partie de ma vie, elle
m’aide beaucoup à exprimer mes sentiments. Je pense que c’est important de ne
pas avoir le football comme seule passion […]. Moi, j’ai la musique et ça
m’aide à rester heureux. J’ai été plus qu’un athlète depuis le premier jour ».
« Un truc old school à la 50 Cent »
La réaction de ses collègues footballeurs ? De nombreux coéquipiers lui ont
manifesté leur soutien, de Thiago Mendes à ses partenaires en sélection Ryan
Babel, Georginio Wijnaldum ou Justin Kluivert, qui apparaît d’ailleurs dans un
de ses clips. Moins proches du Néerlandais, Neymar et Serge Aurier ont, eux
aussi, validé le projet, comme le Clermontois Akim Zedadka, DJ attitré du club
auvergnat. « Lorsqu’il a sorti son EP, on en a parlé entre nous dans le
vestiaire. Memphis a tout compris. Sa musique correspond parfaitement à ce qui
s’écoute dans un vestiaire de foot. Comme c’est un joueur, on ne le prend
peut-être pas au sérieux mais moi, j’ai été agréablement surpris et j’ai mis
presque toutes ses chansons dans une de mes playlists », reconnaît Akim
Zedadka. Avant de préciser : « Les instrumentales sont variées, avec des sons
calmes et d’autres qui bougent plus. Les sons que j’ai préférés ? Big Fish et
From Ghana. Blessings m’a également
parlé. Il y explique qu’il est parti de rien, il remercie Dieu pour son
parcours… C’est un message qui parle à beaucoup de joueurs professionnels.
Pareil sur Big Fish où il évoque sa réussite, son mode de vie, où il raconte
qu’être un gros poisson attire beaucoup de monde… »
Memphis Depay a assimilé les codes – pour ne pas dire les clichés – du genre :
ego trip, attachement aux racines, passages interdits aux moins de 18 ans et
signes extérieurs de richesse. Ce qui se traduit à l’écran par des grosses
chaînes en or, des scènes de liesse au quartier, des animaux exotiques, des
voitures de luxe et des jets privés. Et les références au foot dans tout ça ?
Elles sont rares même si sur 2 Corinthians 5:7, il explique que l’on crie son
nom dans les stades. Puis déconseille à ses adversaires de le tacler s’ils ne
veulent pas qu’il les punisse sur coup franc. Sur ce titre, il convoque aussi
Denzel Washington, Scottie Pippen et Mufasa mais pas que. Si les rappeurs
français citent régulièrement leurs joueurs préférés dans leurs paroles, la
réciproque est vraie : l’attaquant lyonnais cite notamment 50 Cent ou Lil Baby
et Gunna, deux rappeurs d’Atlanta.
« On sent deux grosses inspirations dans sa musique. Dans les sonorités, les
mots qu’il utilise, les intonations, les flows, on entend clairement du rap
américain. Il y a un truc old school à la 50 Cent, qui est sa grosse influence.
Mais on retrouve aussi la nouvelle génération. Je sais aussi qu’il est fan de
Kevin Gates, Jay-Z, Drake et Nipsey Hussle », explique le journaliste rap Brice
Bossavie. « Sa 2e grosse inspiration, ce sont les musiques africaines et des
Caraïbes. Son beatmaker et lui adorent Burna Boy par exemple. On retrouve ces
rythmiques d’Afrique et ce côté dancehall sur le morceau From Ghana, sur lequel
il se débrouille vraiment bien d’ailleurs ». Dans cet EP en anglais, Memphis
Depay ne fait pas que rapper. Il chante. Comme Drake, dont il admire la
polyvalence au point de le désigner comme sa collaboration rêvée.
« Fort de sortir un EP de ce niveau »
Mais alors, que vaut le Lyonnais derrière le micro ? Pour commencer, Memphis
Depay possède un public qui va au-delà des fans de foot désireux de satisfaire
leur curiosité. La dizaine de chansons et freestyles du Néerlandais cumule en
effet 33 millions de vues sur YouTube et environ 14 millions de streams sur la
Spotify. « Franchement, c’est tout à fait écoutable, ce n’est pas ridicule. Il
chante plutôt juste, les morceaux sont élaborés… Je pense notamment à From
Ghana, 2 Corinthians 5:7 ou D.B.A., sur lequel il rappe vraiment pas mal. Ce
n’est pas Kendrick Lamar mais c’est solide, il y a une musicalité et c’est bien
foutu », juge Brice Bossavie. « En termes de flow et de textes, ça reste un peu
léger dans le sens où ça manque un peu de personnalité, ça ne se démarque pas,
mais c’est bien fait. Ça me rappelle ce qu’a pu faire le Youtubeur Mister V, à
savoir un autre mec qui ne vient pas du rap mais qui aime tellement cette
musique qu’il en co
mprend les codes et réussit à les reproduire ».
Son beatmaker Rass King salue, lui, l’évolution de ce rappeur pas comme les
autres : « Au début, on a vu que Memphis avait du potentiel. Il était bon et il
a beaucoup progressé ces deux dernières années. […] Surtout qu’il n'a pas
vraiment le temps de progresser en tant qu'artiste avec son emploi du temps,
les matchs, et pourtant il a réussi à le faire ». Car ces derniers mois, le
capitaine lyonnais a disputé une demi-finale de Ligue des champions avant de
signer 11 buts et 5 passes décisives sur la première moitié du championnat
2020/2021. « Quand tu prends en compte le fait que c’est le projet d’un
footballeur professionnel, qui s’entraîne tous les jours, qui doit gérer une
forte pression et qui n’a pas le temps de passer des nuits entières en studio
comme certains rappeurs, c’est fort d’arriver à sortir un EP de ce niveau.
Surtout quand tu es Memphis Depay, la star de l’Olympique Lyonnais. Et même si
l’OL ne dispute pas la coupe d’Europe
cette saison, l’enchaînement des matchs est tel qu’un joueur comme lui ne
devrait pas avoir de temps à consacrer à une autre passion, au point de
l’afficher ainsi sur les plateformes de streaming. Et là, il n’est pas ridicule
», estime le critique rap Brice Bossavie. « Si j’écoute cet EP sans savoir
qu’il s’agit d’un footballeur, je vais me dire que c’est pas mal. Et c’est déjà
beaucoup parce qu’il y a pas mal d’exemples de joueurs qui se sont essayés au
rap pour un résultat gênant ».
Source Ligue1 :
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