Lyon, à fond la formation !
Victor Levarlet
Meilleur centre de formation français de 2012 à 2018, la réputation de l’OL
dans l’éclosion de jeunes talents de demain n’est plus à prouver. En plus
d’apporter des contributions plus que significatives aux résultats lyonnais, la
formation est un pilier du modèle économique du club cher à Jean-Michel Aulas.
Il y a quelques jours, Le Progrès indiquait qu’elle avait rapporté pas moins de
260 millions d’euros sur la décennie 2010-2020. Pour que les formateurs
lyonnais puissent continuer à amener de futurs cracks à maturité, Lyon doit
diversifier sa stratégie en recrutant des joueurs en post-formation. Décryptage.
Le label OL : identité régionale et technique
L’une des premières raisons pour lesquelles la formation à la lyonnaise
fonctionne bien réside dans la capacité des recruteurs à dénicher les jeunes
talents régionaux. « La réussite de l’OL, c’est assez simple en fait. Il y a un
bon vivier autour de Lyon. Les recruteurs font un excellent travail sur les
petites catégories et après les éducateurs sont excellents. J’ai toujours
défendu le local de proximité…» décryptait Gérard Prost, directeur du centre de
formation de 2007 à 2010, dans les colonnes du Parisien. Et lorsqu’on observe
le lieu de naissance et l’âge auxquels les meilleures pépites de ces dernières
année ont rejoint l’OL, difficile de lui donner tort : Aouar, de Villeurbanne,
est arrivé à 11 ans. Caqueret (originaire de Vénissieux) à 11 ans également.
Lopes (Givors) et Benzema (Bron) à 10 ans. Umtiti (Lyon Ve) à 8 ans. Lacazette
(Lyon VIIIe) à 12 ans. On pourrait continuer longtemps cette liste avec les
Tolisso, Gonalons, Mauric
e, Giuly, Garde et autres Génésio… Pour un coach, pouvoir profiter d’un tel
vivier au sein de son propre club est forcément une bénédiction. « Ça apporte
beaucoup de fraîcheur et d’enthousiasme, et, sur le terrain, il y a un code
déjà gravé en eux, des automatismes dans les déplacements… Car ce sont des
jeunes qui se connaissent et se côtoient depuis l’adolescence. » expliquait à
l’Équipe Hubert Fournier, ancien joueur (1998-2000) et entraîneur (2014-2015)
de l’OL.
Mais si le fait de se connaître depuis tout jeune peut être un avantage du
point de vue de la cohésion, l’actuel Directeur Technique National (DTN) estime
également que cela peut créer un certain entre-soi : « Il faut veiller à éviter
qu’il y ait un repli sur soi, un refus de s’ouvrir aux nouveaux. Il faut
également savoir supporter la pression et assumer de nouvelles responsabilités.
Comme certains avaient changé de statut à mon époque, on a dû traverser des
périodes de turbulences. » se remémorait-il en faisant référence au fameux
“gang des Lyonnais” de la génération Lacazette et consort, qui faisait, selon
certains médias, la pluie et le beau temps dans le vestiaire lyonnais à
l’époque. Si certains jeunes du cru peuvent effectivement avoir un comportement
légèrement sectaire, il ne faut pas pour autant y voir une volonté de ne pas
intégrer les non-Lyonnais . «C’est un gentil gang. Je peux comprendre qu’en
arrivant de l’extérieur, on
puisse trouver qu’ils sont froids… Mais ils ont été formés depuis l’école
ensemble. Ils restent ensemble, c’est normal. C’est aussi aux nouveaux d’aller
vers eux. Moi, ça ne m’a pas choqué parce que peut-être que je ferais pareil.
Même génération, formés ensemble, forcément… Moi ça ne me choque pas.»
tranchait Mathieu Valbuena dans les colonnes de Onze Mondial en 2017.
Autre raison pour laquelle les Gones formés à Lyon sont si attachés à leur club
formateur : ils savent ce qu’ils doivent à l’OL. Contrairement à d’autres clubs
qui préfèrent vendre certains jeunes avant même qu’ils aient pu atteindre
l’équipe première, le club rhodanien forme des joueurs avec la ferme attention
de les conserver et de leur offrir du temps de jeu en A. « À Lyon, il y a une
forme d’appartenance ancrée en eux. Ils seront tous heureux de revenir au club,
car ils sont conscients qu’ils lui doivent beaucoup » appuyait Fournier,
toujours dans l’Équipe.
En plus de cette identité régionale forte, l’OL a défini au fil des années un
profil-type de joueur ayant sa place au sein de son centre de formation. «
Sportivement, le fil conducteur de génération en génération, c’est cette
volonté d’asseoir le profil sur les qualités techniques, l’intelligence de jeu
et la force collective. Cette culture et ces principes perdurent. Les
éducateurs insistent dès le plus jeune âge et focalisent le recrutement sur ces
aspects, ce pour quoi ils sortent surtout des joueurs à vocation offensive et
très créatifs. » indiquait le DTN. Armand Garrido, coach de différentes
catégories de l’OL pendant 30 ans, abonde dans le même sens dans les colonnes
du Parisien : « On avait des critères de travail plutôt techniques, et plutôt
offensifs que défensifs. On nous a souvent fait remarquer qu’on sortait plus
des bons attaquants et des bons milieux que des bons défenseurs. Mais oui, on a
toujours été orienté sur l’offensif,
sur le jeu. L’idée était toujours de marquer un but de plus que l’adversaire.
»
Un effectif ne pouvant pas être composé uniquement de joueurs offensifs, la
formation à la lyonnaise a par conséquent fait le bonheur de nombreux autres
clubs.
Lyon, pourvoyeur de talents
« L’OL est plus malin dans la mise en valeur de ses joueurs. En plus, ils
sortent surtout de jeunes attaquants, ce qui est plus recherché et donc plus
intéressant et plus cher. » analysait Jean-François Brocard, économiste du
sport au CDES de Limoges, dans les colonnes de l’Équipe. Pour ne citer qu’eux,
Loïc Rémy, Alassane Pléa, Anthony Martial ou Amine Gouiri n’ont pas considéré
leur manque de temps de jeu à Lyon comme un coup d’arrêt dans leur carrière :
ils ont tout simplement été faire parler leur talent sous d’autres cieux, sans
jamais renier l’OL. « J’ai grandi à Lyon, j’ai été formé là-bas, toute ma
famille y réside, j’y ai signé mon premier contrat pro… Lyon me manque »
lançait par exemple Rémy en 2013 dans un entretien accordé au site de la FIFA,
alors qu’une rumeur insistante faisait état d’un possible retour à l’OL. Même
si ce come-back n’a finalement jamais eu lieu, les formateurs lyonnais sont
particulièreme
nt fiers de voir à quel point les recruteurs des autres clubs ont confiance au
moment de venir se servir dans le vivier rhodanien. « La meilleure
reconnaissance qu’on peut avoir, c’est quand des entraîneurs viennent piocher à
l’OL en fermant les yeux, parce qu’ils savent que les joueurs qui sortent ont
un bagage technique élevé et une réelle éthique de travail » expliquait Garrido
dans France Football l’été dernier. Et les chiffres viennent totalement
confirmer les propos de l’ancien formateur lyonnais : au 1er octobre 2019, 30
joueurs formés à l’OL sévissaient sur les pelouses des 5 grands championnats
européens. Seuls les Real Madrid (39) et le Barça (34) devançaient le club de
Jean-Michel Aulas.
Les joueurs “made in OL” ne tapent d’ailleurs pas uniquement dans l’œil des
clubs : ils viennent également garnir les effectifs de nombreuses sélections
nationales, à commencer par l’Équipe de France. Les plus illustres sont
forcément Samuel Umtiti, Corentin Tolisso et Nabil Fekir, tous trois champions
du monde avec les Bleus en 2018. Bien d’autres Gones ont une carrière tricolore
plus qu’honorable, les plus capés étant Benzema (81 sélections), Govou (49
sélections) ou Anthony Martial (25 sélections). D’autres pays ont également pu
se délecter du savoir-faire lyonnais, on pense notamment au Portugal (Lopes), à
l’Algérie (Belfodil, Ghezzal, Zeffane), au Sénégal (Gassama) ou au Cameroun
(Njie).
Avec tous ces talents maison, on peut s’étonner que l’OL n’ait jamais disposé
d’un joueur ayant fait toute sa carrière au club à l’image d’un Paolo Maldini
au Milan AC. La raison est simple : la formation puis la vente des jeunes
talents fait partie intégrante de la stratégie économique des dirigeants
lyonnais.
La formation, pilier du modèle économique
« À Lyon, il faut plutôt voir le centre comme une pièce indispensable du
puzzle. Ils ont besoin de cet aspect pour que le modèle économique fonctionne.
Mais c’est difficile de dire que la formation est rentable à elle seule. »
expliquait Jean-Pascal Gayant, économiste du Sport, dans les colonnes de
l’Équipe. Son académie disposant d’un budget annuel conséquent estimé à 10 M€,
l’OL est de toute façon dans l’obligation de vendre les talents arrivés à
maturité pour pouvoir continuer à viser l’excellence avec les générations qui
suivent. Jean-Pascal Gayant : « Un centre reste assez coûteux, entre la masse
salariale des éducateurs et les infrastructures. Et il y a énormément de
déchets. Pour avoir un retour sur investissement, il y a une dépense
considérable car elle va concerner énormément de joueurs pour une poignée de
contrats pros. ». Ce besoin de valoriser ses talents cousus main, Jean-Michel
Aulas en a donc fait sa spécialité. « Si P
épé a coûté ce prix-là (80 M€, ndlr), Houssem, qui est international, vaut
plus que 30 millions » glissait par exemple le président lyonnais alors qu’une
négociation était en cours avec Arsenal autour du cas Houssem Aouar l’été
dernier. « Le prix d’Alexandre Lacazette ? Je n’en sais rien. L’an dernier, je
sais juste qu’on a refusé des offres à hauteur de 40 millions. Je crois savoir
qu’on parle de 100 millions pour un transfert de Griezmann au Real Madrid »
expliquait-il encore au Progrès au moment de préparer le départ de celui qui
signera finalement à Arsenal.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette volonté de faire
systématiquement gonfler les prix, lorsque ses petits protégés sont sollicités,
paie. Alors que Christian Lanier estimait dans le Progrès que la ventes des
jeunes avaient rapporté 260 millions d’euros sur la décennie 2010-2020,
l’Équipe a même fait grimper la note à 327 millions en étudiant le phénomène
sur 20 ans (2000-2020). Si les indemnités perçues étaient plutôt modestes
jusqu’en 2007 (3 M€ par an en moyenne), c’est à partir de 2008 que les choses
commencent à s’emballer. L’OL empoche alors une vingtaine de millions d’euros
grâce aux ventes de Ben Arfa à l’OM et de Rémy à Nice. L’année suivante, ce
sont 39 millions d’euros qui entrent dans les caisses, avec notamment le départ
de Benzema (Real Madrid) rapportant 35 M€ à lui seul. Mais l’année de tous les
records sera 2017. En se séparant de Lacazette (Arsenal), Gonalons (Roma) et
Tolisso (Bayern Munich),
Jean-Michel Aulas met la main sur un pactole de 100 M€. Autre statistique
intéressante concernant la capacité de l’OL à vendre ses jeunes talents : les
records de vente du club. Si Tanguy Ndombele, joueur formé à Amiens, détient le
record absolu (60 M€ à Tottenham en 2019), on trouve pas moins 4 joueurs formés
au club dans le top 10 : Lacazette (2ème), Tolisso (4ème), Benzema (6ème) et
Umtiti (10ème).
Toutes ces statistiques favorables ont permis à l’Olympique lyonnais de dominer
totalement le classement des centres de formation français entre 2012 et 2018.
Mais depuis 2019, l’OL n’est plus premier (4ème puis 3ème en 2020). Loin d’être
effrayé par ce changement de statut, le club lyonnais en a plutôt profité pour
ajouter une corde à son arc : la post-formation.
La post-formation, stratégie complémentaire
L’été dernier, l’OL a dû faire face à un départ inattendu. Pierre Kalulu,
plutôt que de signer son premier contrat professionnel dans son club formateur,
a fait le choix de s’exiler du côté du Milan AC. « On est toujours déçus de
voir partir un joueur qui a le potentiel de jouer en pro, avouait à l’Équipe
Jean-François Vulliez, le directeur de l’académie lyonnaise. C’était pareil
pour Amine (Gouiri, transféré à Nice cet été) et Willem (Geubbels, transféré à
Monaco en 2018). C’est quelque chose qui n’existait pas avant car il y avait
une forte culture. On ne se posait pas la question de faire son premier match
en pro ailleurs, il y avait cette logique implacable de lancer sa carrière dans
son club formateur. Depuis cinq ou six ans, le dérèglement du marché du jeune
joueur a modifié cette façon de penser. On est désormais dans un modèle
complètement ouvert. » Et si Vulliez a un œil sur le classement des meilleurs
centres de formation f
rançais, il refuse d’en faire l’alpha et l’oméga de la politique menée par son
club. « Ça ne remet pas tout en cause. Notre modèle est en mouvement, notre
méthode évolue pour répondre aux nouveaux enjeux. » Parmi ces évolutions, la
plus notable est le recours à la post-formation, qui n’est d’ailleurs pas
vraiment une nouveauté entre Rhône et Saône. « Cela a toujours existé, avec
(Sidney) Govou, (Timothée) Kolodziejczak, (Miralem) Pjanic… Ce n’est pas en
opposition à la formation, mais en complémentarité. » expliquait le chef de la
formation de l’OL dans l’Équipe. Les exemples de joueurs recrutés très jeunes
dans d’autres clubs et venus parfaire leur formation à Lyon sont nombreux :
Maxwel Cornet, Lucas Tousart, Jean-Philippe Mateta, Tanguy Ndombele, Ferland
Mendy, Martin Terrier, Oumar Solet, Jean Lucas… Pour Jean-François Vulliez,
cette stratégie est intéressante tant qu’elle ne vient pas entraver la
progression de joueurs du cru
ayant des profils similaires : « Ce qui est dangereux, quand on va chercher
des jeunes à l’extérieur, c’est d’en prendre aux mêmes niveaux que nos garçons.
Ils pourraient bloquer leur avenir. »
Tout à fait dans son rôle de DTN, Hubert Fournier avertit quand même les clubs
sur les limites de la stratégie qui consiste à recruter des joueurs formés par
d’autres : « Je trouve que la post-formation est assez dangereuse, car elle
nécessite, par définition, une formation auparavant. Si tout le monde se lance
dedans, le modèle va s’effondrer. Plus il y aura de clubs formateurs, mieux on
se portera. » alertait-il dans l’Équipe.
Si ces derniers mois l’OL a fait quelques opérations conformes à cette
stratégie (Camilo, Sinaly Diomandé, Reo Griffiths, Cenk Özkacar… ), le club
rhodanien continue à polir des diamants régionaux. Maxence Caqueret, Melvin
Bard et Rayan Cherki font notamment partie de la dernière fournée de l’OL
Academy. Par ailleurs, voir des joueurs de la région percer est quelque chose
que les supporters lyonnais apprécient énormément. Malgré des résultats en
dents de scies, les équipes de Rémi Garde et Hubert Fournier étaient
particulièrement appréciées du fait qu’elles étaient composées de nombreux
jeunes du cru. Ces choix étaient en concordance avec ce fameux proverbe
lyonnais : “il vaut mieux mettre son nez dans un verre de Beaujolais que dans
les affaires des autres”.
Source Planète Lyon :
https://olplus.fr/hzUd6
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