[locobonobo] Re: un tout dernier bonjour de Luikotale

  • From: caroline pendelio <caroline.pendelio@xxxxxxxxx>
  • To: locobonobo@xxxxxxxxxxxxx
  • Date: Thu, 21 Feb 2019 10:46:34 +0100

Coucou petit chat,

Merci pour ton mail, j'adore les lire ..

Je voulais juste une information : quelle est la date de ton retour ? Je
sais que tu aimes bien conserver le mystère sur ce genre d'info mais mert
:)

Bisou de la ville #Pollution #Embouteillage #Raleurs #Stress #Love

Le ven. 8 févr. 2019 à 14:46, Alexis LOUAT <alexis.louat@xxxxxxxxx> a
écrit :




-------- Message transféré --------
Date : Fri, 8 Feb 2019 14:22:58 +0100
De : Alexis LOUAT <alexis.louat@xxxxxxxxx> <alexis.louat@xxxxxxxxx>








-----Message d'origine-----
De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx
<lk_pactor@xxxxxxxxxx>]


Bonjour à tous,

Voici le dernier de mes messages qui atterrira dans votre petite boîte
mail après avoir survolé cette épaisse jungle congolaise.

Ces dernières semaines, nous avons tenté de suivre avec intérêt mais
difficultés (en raison des coupures internet – téléphone – radio),
l’instabilité politique qui régnait au Congo du fait de l'élection
présidentielle. C’est une vraie maladie (que je refuse de considérer comme
africaine) touchant ceux qui s'accrochent au pouvoir pendant des décennies
et mènent une terrible oppression qui musèle le peuple, la presse et la
liberté de penser différemment. La corruption qui prend source au plus bas
de l’échelle (on m’a parlé d’une personne qui se promenait de village en
village pour récolter une taxe sur les propriétaires de vélo) gangrène le
pays jusqu’au plus haut niveau. C’est un secret de polichinelle car bien
que moins visible, la corruption est vraiment à l’origine de cette fracture
entre des millions d’habitants, pour certains affamés alors que le sous-sol
de ce pays est extrêmement riche. Seule une oligarchie se remplit les
poches pendant que le peuple souffre et lutte sans véritable espoir de
développement.

Toutefois, ceci n’a pas vraiment affecté notre petit camp qui continue sa
vie au rythme des courses infernales de bonobos. Cela a seulement rajouté
du bois à la frustration qui brûle chez nos travailleurs de voir cette
mascarade de démocratie.

Il est maintenant temps pour moi de me préparer à quitter cet endroit
incroyable qui aura été source d’émerveillements et de mille défis.

Pour ne pas laisser cette charge à mon successeur, je fais actuellement le
tour de la forêt pour récupérer mes caméras traps avec encore une belle
moisson d’images.
J’ai adoré voir quelques écureuils ou de tendres félins défiler avec leur
belle robe tachetée. Une des caméras a enregistré un magnifique, mais
terrifiant léopard traversant sur un pont moins d’une heure avant qu’un
travailleur ne passe au même endroit.
Les bonobos, mais en réalité tous les singes ont des réactions différentes
et très intéressantes lorsqu’ils remarquent la caméra. Surprise,
prostration, panique avec de belles mimiques traduisent toutes leurs
interrogations et cela se termine souvent par un sprint avec un regard
plein d’inquiétude.
J’aurai eu le plaisir, au moins en images, d’admirer ces immenses, et il
faut l’avouer, terrifiants éléphants, les gardiens de la forêt qui
n’hésitent jamais à charger tout intrus sans défense. La démarche toujours
calme et silencieuse, ils ne peuvent vous laisser indifférent. En réalité,
assez peu d’entre eux ont des défenses (selon des études moins de 10%
auraient le gène qui en serait à l’origine) et c’est tant mieux car cela
leur évite d’être la proie des braconniers encore si nombreux ici.
La majorité de l’ivoire est à destination du marché chinois qui semble
n’en avoir jamais assez. Ces derniers temps, c'est pour ses écailles que le
grand pangolin, animal aussi fortement menacé d’extinction, subit cet
appétit sans considération morale.
Une chose est sûre, mes caméras ne laissent pas indifférents ces grands
pachydermes. Je les soupçonne d’en avoir arraché deux. La première était
encore accrochée à l’arbre et les images ne montrent qu’une forme confuse
et poilue face à la caméra. La seconde a complètement disparu; l’hypothèse
des braconniers est aussi complètement envisageable.
Tout dernièrement, 2 petites loutres se sont offertes à moi pour un bref
instant. Bien concentré pour garder mon équilibre en traversant de mauvais
marécages sur des ponts rongés par les termites, je les aperçus en train de
patauger dans l’eau. L’une prit tout de suite la fuite, mais l’autre me
regarda un instant, comme voulant dire "tu ne m’impressionnes pas beaucoup"
puis émit un grondement rauque qui me rappela celui des otaries. En
quelques bons gracieux, elle retrouva sa camarade. Ces loutres
appartiennent à l’espèce principalement présente dans le bassin congolais.
Elles se reconnaissent facilement grâce à leurs taches noires autour des
yeux, donnant l’impression de petites lunettes.

Laissez-moi maintenant vous parler d'un projet qui m'a été confié et que
j'ai initié.
Voici quelques mois, un biologiste français m’envoyait un mail en me
demandant si je pouvais récolter des graines de Bonianga. Fallait-il encore
en trouver! Cet arbre est en effet sérieusement menacé d’extinction selon
le classement de la CITES. Il fait partie d’un groupe présentant ce que
l’on appelle un syndrome mégafaunal. C’est-à-dire que ses fruits sont de
dimensions nettement supérieures aux autres. Ces arbres produisent des
fruits géants avec "l'idée" de disséminer leurs descendants via les graines
qu'ils renferment, et ceci grâce à un animal bien particulier, l’éléphant.
En effet, le plus grand mammifère terrestre herbivore peut parcourir de
très grandes distances, évitant ainsi aux différentes plantules d’être en
compétition les unes avec les autres au pied de leur arbre père/mère (dans
le pire des cas).
Différentes études ont même montré qu’un très grand nombre de graines de
plantes avaient une germination nettement accélérée, voire qui était
uniquement amorcée après avoir fait un tour dans le tube digestif d’un de
ces mastodontes. Une graine, malgré son aspect inerte est en réalité un
concentré de vie qui peut subsister pendant un temps extrêmement long dans
un état dit de dormance.
Instinctivement on pourrait se dire que si ces fruits sont si gros c’est
sûrement parce que l’éléphant ne va pas s’amuser à cueillir les myrtilles
une par une pour assouvir son colossal appétit. Mais détrompez-vous car on
pense en fait que la taille de ces fruits leur permet simplement d’être
mieux repérés par les éléphants. Les plus observateurs auront peut-être
remarqué qu’une des parties du corps de l’éléphant est plus ou moins
surdimensionnée par rapport au reste de son corps. Eh oui, les oreilles !
Le simple bruit produit par ces fruits mûrs lorsqu’ils heurtent le sol
après quelques dizaines de mètres de chute peut être perçu par les
éléphants à plusieurs kilomètres. Pour avoir reçu de simples fruits, de la
taille d’une pomme sur le front, je peux valider l'hypothèse.
Les différents villages voisins ont joué le jeu. C'est ainsi que plusieurs
centaines de graines ont rejoint ce petit projet de conservation.
Maintenant, la question est de savoir si elles peuvent germer sans l’action
de l’éléphant, si on peut reproduire son action gastrique en faisant par
exemple tremper les graines dans de l’eau chaude pendant un certain temps,
etc… C’est le début de l’enquête mais j’ai été heureux de voir la vie
apparaître dans ma pépinière. Une première graine semble avoir germé sans
aucune autre intervention. C’est peut-être le début d’une protection de cet
arbre via une culture et une recolonisation artificielle. Evidemment, si on
pouvait protéger les "enfants" pour leur laisser faire le travail, ça
serait plus simple.

En fin d’année, comme chez nous, vient le moment de faire des cadeaux; ici
ce sont surtout des vêtements. Plus on s’éloigne dans l’intérieur du pays,
plus tous les biens de consommation atteignent des prix ridiculement
élevés. Toute une chaîne de micro-commerçants s’est mise en place afin de
faire un peu de profit. Mais chacun est avide, les prix sont souvent
doublés entre la capitale et les villages qui nous entourent. Pour la
population, il est parfois impossible de s’affranchir de charges si
élevées. Alors les plus malins cherchent à éviter les intermédiaires et
vont chercher les ressources là où elles sont à un prix raisonnable. Kikwit
est une de ces villes, direction plein Ouest, 1000 kilomètres aller-retour.
A vélo ou à pied, j’ai failli oublier de préciser… C’est donc un vrai
voyage pour ces hommes qui partent acheter des étoffes, des affaires pour
les enfants écoliers et parfois quelques produits en plus pour faire un peu
de commerce au retour. Cela me rappelle ces méharées des déserts où des
caravanes partaient durant de longues semaines afin de vendre du sel ou un
petit rien qui leur permettrait de gagner un peu d’argent pour le reste de
l’année.
Ainsi, il faut plus d’un mois pour aller à Kikwit, faire le commerce pour
lequel on a entrepris ce périple et revenir. Notre cuisinier Bolowa me
raconte comment parfois il a parcouru plus de 100 kilomètres sans trouver
un seul village. Pendant tout ce temps, les voyageurs n'ont pas d'autre
choix que de s’abriter dans des restes de petits villages de chasseurs.
Tout cela illustre bien le côté aléatoire du temps et de l’espace.

Quelques récits de la forêt :
Nath se trouvait à quelques mètres devant moi en train de suivre un
bonobo, quand en m’approchant, je fis peur à un oiseau qui ressemblait à
une sorte de paon. Je ne l’avais pourtant pas du tout vu, tapi dans la
végétation et son envol évidemment me surprit. Je compris en un coup d’œil
la raison qui l'avait amené à rester caché jusqu’au dernier moment. Le nid
qu’il avait laissé était rempli de 6 œufs. Je pense que sans vraiment voir
ce nid, un mâle bonobo, curieux ou intelligent, fit le lien avec cet envol
si soudain. Il s’approcha timidement de la cache de l’oiseau et je reculai
donc pour lui laisser place. Il aperçut alors le butin qui s’offrait à lui.
Il n’eut qu’à tendre le bras pour gober en un éclair 3 œufs. Il gardait les
autres dans sa main et les autres bonobos, une femelle et des jeunes,
comprirent et exprimèrent aussi leur intérêt. Je m’attendais à ce qu’il y
ait une réaction forte, un peu de tension, des cris, comme c’est toujours
le cas lorsqu'il y a de la nourriture à devoir partager, mais tous
restaient très calmes. Les autres œufs furent ainsi engloutis par les
jeunes en un éclair. Un bon bol de protéine que certes j’enviais un peu!

Un autre jour, accompagné de Kat, je suivais les bonobos dans un endroit
marécageux. Proches d’une rivière, il ne fallait pas s’attendre à ce que
cela soit facile. Le groupe était important, plus d’une trentaine de
bonobos avançaient, très dispersés autour de nous.
Pour la première fois, je fus surpris par ce bruit de tam-tam qu’ils font
parfois en frappant violemment sur un arbre creux. Ce son, puissant,
résonna dans la forêt. Comme un cri de guerre ou de rassemblement, il me
donna l’impression de sonner le départ d’une marche groupée vers le Nord,
vers "la forêt inondée ou immergée" comme nous la surnommons.
Ils couraient, sprintaient dans un but bien établi. Parfois, on les sent
un peu incertains sur la direction à prendre, ils ne savent pas où chercher
des fruits mais ce jour-là, ils n’avaient pas le moindre doute sur leur
destination. Nous courions à en perdre le souffle, les lianes tentaient de
nous bloquer et n’hésitaient pas à nous lacérer de grands morceaux de peau
sur les bras et jambes mais cela ne nous arrêtait pas. Notre détermination
à ne pas perdre les bonobos était sans faille.
Nous savions que nous nous dirigions vaguement vers la rivière Lokoro et
ses "piscines", remplies de nénuphars. Les bonobos sont friands des tiges
de ces plantes, parfois un peu périlleuses à atteindre. Alors à mesure que
nous avancions, le niveau d’eau grimpait. Le sac sur la tête, il fallait
être terriblement prudent pour ne pas trébucher et risquer d'envoyer
l’appareil photo par-dessus bord!
Mais la récompense fut largement à la hauteur des efforts nécessaires dans
cette poursuite. La première fois que j’avais suivi les bonobos en
direction des nénuphars, j’étais resté au bord de la route (pas assez
d’énergie dans la machine pour braver cela).
Juste avant de partir, j’aurai alors eu cette incroyable chance d’admirer
les bonobos marcher de manière totalement bipède, au point d'avoir de l’eau
au-dessus des épaules. Mais il ne faut pas les imaginer si à l’aise que ça
car jamais ils ne s’éloignent du bord sans s’accrocher à une ou deux
branches du rivage. Cela donne des images assez comiques de bonobos, un
bras en sécurité d’un côté et l’autre tendu le plus loin possible pour
attraper les nénuphars.
Mais encore plus merveilleux, essayez d’imaginer la jeune maman Iris dans
cette position avec son turbulent garçon d’un an, Isaac, qui tout excité et
en plein apprentissage tente de l’imiter. Seulement pas question pour lui
de mettre un pied à l’eau, il reste bien confortablement agrippé aux poils
de la tête de sa mère.
Une fois ce petit repas terminé, on est bien contents de retourner dans un
endroit plus sec. On a beau imaginer la moiteur tropicale du Congo, être
dans cette eau de rivière ‘froide’, puante et où grouillent différents
types de vers de peau, n’est pas si plaisant.


Quelques citations récentes :
‘On change de chauffeur mais la voiture reste la même’ -> La politique au
Congo (et ailleurs ?)
‘ Nous pouvons continuer de piétonner’ -> Même en marchant en forêt, on
respecte le passage
‘Il est très désordonné mais je ne le chicotte pas du tout’ ->Un
travailleur parlant de l’éducation de son enfant de 4 ans
‘Si vous prenez le Pastis sans mettre de l’eau, ici près du cœur, ça ne va
pas’ -> Et pourtant ils ne mettent jamais d’eau
‘Ça c’est l’amour payable’
‘Elle nous prend congé pour de bon’ ->Elle est en fait décédée
‘L’atmosphère n’est vraiment pas bon’ et ‘ La journée est morte’ ->
Journée pluvieuse.
‘ La culotte s’est déjà cassée, c’est très difficile’ -> culotte = short
(on m’a souvent demandé si je pouvais prêter mes culottes)

La dernière fournée de photos est accessible à cette adresse :
https://www.dropbox.com/sh/50fadc9us57vcwh/AACZA2xQrEcZ1b-7xyPksMAFa?dl=0


A bientôt à vous tous.
Des bisous, des bisous.
Alexis



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