-------- Message transféré --------
Date : Fri, 8 Feb 2019 14:22:58 +0100
De : Alexis LOUAT <alexis.louat@xxxxxxxxx>
-----Message d'origine-----
De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx]
Bonjour à tous,
Voici le dernier de mes messages qui atterrira dans votre petite boîte
mail après avoir survolé cette épaisse jungle congolaise.
Ces dernières semaines, nous avons tenté de suivre avec intérêt mais
difficultés (en raison des coupures internet – téléphone – radio),
l’instabilité politique qui régnait au Congo du fait de l'élection
présidentielle. C’est une vraie maladie (que je refuse de considérer
comme africaine) touchant ceux qui s'accrochent au pouvoir pendant des
décennies et mènent une terrible oppression qui musèle le peuple, la
presse et la liberté de penser différemment. La corruption qui prend
source au plus bas de l’échelle (on m’a parlé d’une personne qui se
promenait de village en village pour récolter une taxe sur les
propriétaires de vélo) gangrène le pays jusqu’au plus haut niveau. C’est
un secret de polichinelle car bien que moins visible, la corruption est
vraiment à l’origine de cette fracture entre des millions d’habitants,
pour certains affamés alors que le sous-sol de ce pays est extrêmement
riche. Seule une oligarchie se remplit les poches pendant que le peuple
souffre et lutte sans véritable espoir de développement.
Toutefois, ceci n’a pas vraiment affecté notre petit camp qui continue
sa vie au rythme des courses infernales de bonobos. Cela a seulement
rajouté du bois à la frustration qui brûle chez nos travailleurs de voir
cette mascarade de démocratie.
Il est maintenant temps pour moi de me préparer à quitter cet endroit
incroyable qui aura été source d’émerveillements et de mille défis.
Pour ne pas laisser cette charge à mon successeur, je fais actuellement
le tour de la forêt pour récupérer mes caméras traps avec encore une
belle moisson d’images.
J’ai adoré voir quelques écureuils ou de tendres félins défiler avec
leur belle robe tachetée. Une des caméras a enregistré un magnifique,
mais terrifiant léopard traversant sur un pont moins d’une heure avant
qu’un travailleur ne passe au même endroit.
Les bonobos, mais en réalité tous les singes ont des réactions
différentes et très intéressantes lorsqu’ils remarquent la caméra.
Surprise, prostration, panique avec de belles mimiques traduisent toutes
leurs interrogations et cela se termine souvent par un sprint avec un
regard plein d’inquiétude.
J’aurai eu le plaisir, au moins en images, d’admirer ces immenses, et il
faut l’avouer, terrifiants éléphants, les gardiens de la forêt qui
n’hésitent jamais à charger tout intrus sans défense. La démarche
toujours calme et silencieuse, ils ne peuvent vous laisser indifférent.
En réalité, assez peu d’entre eux ont des défenses (selon des études
moins de 10% auraient le gène qui en serait à l’origine) et c’est tant
mieux car cela leur évite d’être la proie des braconniers encore si
nombreux ici.
La majorité de l’ivoire est à destination du marché chinois qui semble
n’en avoir jamais assez. Ces derniers temps, c'est pour ses écailles que
le grand pangolin, animal aussi fortement menacé d’extinction, subit cet
appétit sans considération morale.
Une chose est sûre, mes caméras ne laissent pas indifférents ces grands
pachydermes. Je les soupçonne d’en avoir arraché deux. La première était
encore accrochée à l’arbre et les images ne montrent qu’une forme
confuse et poilue face à la caméra. La seconde a complètement disparu;
l’hypothèse des braconniers est aussi complètement envisageable.
Tout dernièrement, 2 petites loutres se sont offertes à moi pour un bref
instant. Bien concentré pour garder mon équilibre en traversant de
mauvais marécages sur des ponts rongés par les termites, je les aperçus
en train de patauger dans l’eau. L’une prit tout de suite la fuite, mais
l’autre me regarda un instant, comme voulant dire "tu ne m’impressionnes
pas beaucoup" puis émit un grondement rauque qui me rappela celui des
otaries. En quelques bons gracieux, elle retrouva sa camarade. Ces
loutres appartiennent à l’espèce principalement présente dans le bassin
congolais. Elles se reconnaissent facilement grâce à leurs taches noires
autour des yeux, donnant l’impression de petites lunettes.
Laissez-moi maintenant vous parler d'un projet qui m'a été confié et que
j'ai initié.
Voici quelques mois, un biologiste français m’envoyait un mail en me
demandant si je pouvais récolter des graines de Bonianga. Fallait-il
encore en trouver! Cet arbre est en effet sérieusement menacé
d’extinction selon le classement de la CITES. Il fait partie d’un groupe
présentant ce que l’on appelle un syndrome mégafaunal. C’est-à-dire que
ses fruits sont de dimensions nettement supérieures aux autres. Ces
arbres produisent des fruits géants avec "l'idée" de disséminer leurs
descendants via les graines qu'ils renferment, et ceci grâce à un animal
bien particulier, l’éléphant. En effet, le plus grand mammifère
terrestre herbivore peut parcourir de très grandes distances, évitant
ainsi aux différentes plantules d’être en compétition les unes avec les
autres au pied de leur arbre père/mère (dans le pire des cas).
Différentes études ont même montré qu’un très grand nombre de graines de
plantes avaient une germination nettement accélérée, voire qui était
uniquement amorcée après avoir fait un tour dans le tube digestif d’un
de ces mastodontes. Une graine, malgré son aspect inerte est en réalité
un concentré de vie qui peut subsister pendant un temps extrêmement long
dans un état dit de dormance.
Instinctivement on pourrait se dire que si ces fruits sont si gros c’est
sûrement parce que l’éléphant ne va pas s’amuser à cueillir les
myrtilles une par une pour assouvir son colossal appétit. Mais
détrompez-vous car on pense en fait que la taille de ces fruits leur
permet simplement d’être mieux repérés par les éléphants. Les plus
observateurs auront peut-être remarqué qu’une des parties du corps de
l’éléphant est plus ou moins surdimensionnée par rapport au reste de son
corps. Eh oui, les oreilles ! Le simple bruit produit par ces fruits
mûrs lorsqu’ils heurtent le sol après quelques dizaines de mètres de
chute peut être perçu par les éléphants à plusieurs kilomètres. Pour
avoir reçu de simples fruits, de la taille d’une pomme sur le front, je
peux valider l'hypothèse.
Les différents villages voisins ont joué le jeu. C'est ainsi que
plusieurs centaines de graines ont rejoint ce petit projet de
conservation. Maintenant, la question est de savoir si elles peuvent
germer sans l’action de l’éléphant, si on peut reproduire son action
gastrique en faisant par exemple tremper les graines dans de l’eau
chaude pendant un certain temps, etc… C’est le début de l’enquête mais
j’ai été heureux de voir la vie apparaître dans ma pépinière. Une
première graine semble avoir germé sans aucune autre intervention. C’est
peut-être le début d’une protection de cet arbre via une culture et une
recolonisation artificielle. Evidemment, si on pouvait protéger les
"enfants" pour leur laisser faire le travail, ça serait plus simple.
En fin d’année, comme chez nous, vient le moment de faire des cadeaux;
ici ce sont surtout des vêtements. Plus on s’éloigne dans l’intérieur du
pays, plus tous les biens de consommation atteignent des prix
ridiculement élevés. Toute une chaîne de micro-commerçants s’est mise en
place afin de faire un peu de profit. Mais chacun est avide, les prix
sont souvent doublés entre la capitale et les villages qui nous
entourent. Pour la population, il est parfois impossible de s’affranchir
de charges si élevées. Alors les plus malins cherchent à éviter les
intermédiaires et vont chercher les ressources là où elles sont à un
prix raisonnable. Kikwit est une de ces villes, direction plein Ouest,
1000 kilomètres aller-retour. A vélo ou à pied, j’ai failli oublier de
préciser… C’est donc un vrai voyage pour ces hommes qui partent acheter
des étoffes, des affaires pour les enfants écoliers et parfois quelques
produits en plus pour faire un peu de commerce au retour. Cela me
rappelle ces méharées des déserts où des caravanes partaient durant de
longues semaines afin de vendre du sel ou un petit rien qui leur
permettrait de gagner un peu d’argent pour le reste de l’année.
Ainsi, il faut plus d’un mois pour aller à Kikwit, faire le commerce
pour lequel on a entrepris ce périple et revenir. Notre cuisinier Bolowa
me raconte comment parfois il a parcouru plus de 100 kilomètres sans
trouver un seul village. Pendant tout ce temps, les voyageurs n'ont pas
d'autre choix que de s’abriter dans des restes de petits villages de
chasseurs. Tout cela illustre bien le côté aléatoire du temps et de
l’espace.
Quelques récits de la forêt :
Nath se trouvait à quelques mètres devant moi en train de suivre un
bonobo, quand en m’approchant, je fis peur à un oiseau qui ressemblait à
une sorte de paon. Je ne l’avais pourtant pas du tout vu, tapi dans la
végétation et son envol évidemment me surprit. Je compris en un coup
d’œil la raison qui l'avait amené à rester caché jusqu’au dernier
moment. Le nid qu’il avait laissé était rempli de 6 œufs. Je pense que
sans vraiment voir ce nid, un mâle bonobo, curieux ou intelligent, fit
le lien avec cet envol si soudain. Il s’approcha timidement de la cache
de l’oiseau et je reculai donc pour lui laisser place. Il aperçut alors
le butin qui s’offrait à lui. Il n’eut qu’à tendre le bras pour gober en
un éclair 3 œufs. Il gardait les autres dans sa main et les autres
bonobos, une femelle et des jeunes, comprirent et exprimèrent aussi leur
intérêt. Je m’attendais à ce qu’il y ait une réaction forte, un peu de
tension, des cris, comme c’est toujours le cas lorsqu'il y a de la
nourriture à devoir partager, mais tous restaient très calmes. Les
autres œufs furent ainsi engloutis par les jeunes en un éclair. Un bon
bol de protéine que certes j’enviais un peu!
Un autre jour, accompagné de Kat, je suivais les bonobos dans un endroit
marécageux. Proches d’une rivière, il ne fallait pas s’attendre à ce que
cela soit facile. Le groupe était important, plus d’une trentaine de
bonobos avançaient, très dispersés autour de nous.
Pour la première fois, je fus surpris par ce bruit de tam-tam qu’ils
font parfois en frappant violemment sur un arbre creux. Ce son,
puissant, résonna dans la forêt. Comme un cri de guerre ou de
rassemblement, il me donna l’impression de sonner le départ d’une marche
groupée vers le Nord, vers "la forêt inondée ou immergée" comme nous la
surnommons.
Ils couraient, sprintaient dans un but bien établi. Parfois, on les sent
un peu incertains sur la direction à prendre, ils ne savent pas où
chercher des fruits mais ce jour-là, ils n’avaient pas le moindre doute
sur leur destination. Nous courions à en perdre le souffle, les lianes
tentaient de nous bloquer et n’hésitaient pas à nous lacérer de grands
morceaux de peau sur les bras et jambes mais cela ne nous arrêtait pas.
Notre détermination à ne pas perdre les bonobos était sans faille.
Nous savions que nous nous dirigions vaguement vers la rivière Lokoro et
ses "piscines", remplies de nénuphars. Les bonobos sont friands des
tiges de ces plantes, parfois un peu périlleuses à atteindre. Alors à
mesure que nous avancions, le niveau d’eau grimpait. Le sac sur la tête,
il fallait être terriblement prudent pour ne pas trébucher et risquer
d'envoyer l’appareil photo par-dessus bord!
Mais la récompense fut largement à la hauteur des efforts nécessaires
dans cette poursuite. La première fois que j’avais suivi les bonobos en
direction des nénuphars, j’étais resté au bord de la route (pas assez
d’énergie dans la machine pour braver cela).
Juste avant de partir, j’aurai alors eu cette incroyable chance
d’admirer les bonobos marcher de manière totalement bipède, au point
d'avoir de l’eau au-dessus des épaules. Mais il ne faut pas les imaginer
si à l’aise que ça car jamais ils ne s’éloignent du bord sans
s’accrocher à une ou deux branches du rivage. Cela donne des images
assez comiques de bonobos, un bras en sécurité d’un côté et l’autre
tendu le plus loin possible pour attraper les nénuphars.
Mais encore plus merveilleux, essayez d’imaginer la jeune maman Iris
dans cette position avec son turbulent garçon d’un an, Isaac, qui tout
excité et en plein apprentissage tente de l’imiter. Seulement pas
question pour lui de mettre un pied à l’eau, il reste bien
confortablement agrippé aux poils de la tête de sa mère.
Une fois ce petit repas terminé, on est bien contents de retourner dans
un endroit plus sec. On a beau imaginer la moiteur tropicale du Congo,
être dans cette eau de rivière ‘froide’, puante et où grouillent
différents types de vers de peau, n’est pas si plaisant.
Quelques citations récentes :
‘On change de chauffeur mais la voiture reste la même’ -> La politique
au Congo (et ailleurs ?)
‘ Nous pouvons continuer de piétonner’ -> Même en marchant en forêt, on
respecte le passage
‘Il est très désordonné mais je ne le chicotte pas du tout’ ->Un
travailleur parlant de l’éducation de son enfant de 4 ans
‘Si vous prenez le Pastis sans mettre de l’eau, ici près du cœur, ça ne
va pas’ -> Et pourtant ils ne mettent jamais d’eau
‘Ça c’est l’amour payable’
‘Elle nous prend congé pour de bon’ ->Elle est en fait décédée
‘L’atmosphère n’est vraiment pas bon’ et ‘ La journée est morte’ ->
Journée pluvieuse.
‘ La culotte s’est déjà cassée, c’est très difficile’ -> culotte = short
(on m’a souvent demandé si je pouvais prêter mes culottes)
La dernière fournée de photos est accessible à cette adresse :
https://www.dropbox.com/sh/50fadc9us57vcwh/AACZA2xQrEcZ1b-7xyPksMAFa?dl=0
A bientôt à vous tous.
Des bisous, des bisous.
Alexis