[locobonobo] nouvelles de Luikotale

  • From: Alexis LOUAT <alexis.louat@xxxxxxxxx>
  • To: locobonobo@xxxxxxxxxxxxx
  • Date: Mon, 16 Jul 2018 23:04:08 +0200



        

        

        

        

-----Message d'origine-----

De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx]

Coucou à toutes et à tous,

Depuis plusieurs jours, les habitants du camp de Luikotale assistent tous les 
jours à un magnifique spectacle vivant : des papillons par milliers ont envahi 
le ciel congolais. Ils défilent au-dessus de notre tête comme des avions de 
ligne en se dirigeant du Sud au Nord. Je ne reconnais qu’une seule espèce qui 
domine ce grand mouvement de population. Leurs ailes sont d’une teinte blanc 
crème très douce, semblables à une fine couche de nacre marquée de fines 
arabesques comme dessinées à l’encre de chine.
Je me demande bien quelle destination les anime tous, combien de kilomètres 
vont-ils parcourir, sûrement pour se reproduire, comment se dirigent-ils et si 
l’endroit de leur rassemblement est éloigné. Certains se posent, font une 
petite halte, souvent pour s’abreuver autour des sources d’eau du camp. Ainsi, 
quand on se rapproche d’un attroupement, toutes les petites ailes s’agitent et 
un nuage féerique se forme autour de nous. C’est sublime!
Malheureusement, je n’ai pas autant de temps que souhaité pour me consacrer à 
ces moments de pure contemplation.

En effet, on ne peut pas dire que "tout roule comme sur des roulettes au camp".
4 des 7 internationaux sont malades depuis plus d’un mois et nous ne parvenons 
pas à relier les symptômes divers et à trouver le remède. Ce serait assez 
classique pendant la saison sèche, les populations se rapprochent des sources 
d’eaux, les animaux, insectes et parasites en font tout autant et on observe 
plus de cas de paludisme, plus de problèmes digestifs… N’ayant évidemment pas 
de médecin sous la main
(ce serait bien trop facile), c’est donc dans notre précieux livre "Quand il n’y a pas de 
médecin" que nous plaçons tous nos espoirs. Ah combien de fois j’ai feuilleté ces pages en 
demandant à Megan : "Aujourd’hui tes selles sont jaunes et visqueuses ou plutôt avec du mucus 
?" (Bon appétit si vous faîtes l’erreur de lire ce mail en mangeant).
Cependant, n’allez surtout pas vous inquiéter inutilement, les symptômes bien 
que nombreux sont sans gravité majeure. Comme dans bon nombre de pathologies 
ici, le symptôme qui prédomine est un état de fatigue aiguë.
Lorsque les situations deviennent difficiles à démêler, les esprits finissent 
par s’ouvrir et je m’amuse de voir les plus sceptiques du camp finir par 
accepter de donner une chance aux remèdes locaux. Les hommes ont encore une 
certaine connaissance des vertus médicinales de certaines plantes, écorces, 
racines… Et donc tous les soirs, nous avons droit à une infusion dont jamais je 
ne pourrai vous décrire le degré d’amertume. Mais rares sont les médicaments à 
la saveur légendaire, me direz-vous, alors on avale d’un trait et petit à petit 
on finit par s’habituer à ce breuvage homéopathique.

Petit récit des surprises de la forêt : Alors que je marchais en fin de journée 
pour me rendre d’un camp à l’autre, je fus grandement surpris de me retrouver 
soudainement avec un liquide visqueux et orangé sur l’avant-bras. Je ne voyais 
pas très bien car même s’il n’était pas tard, la couverture de la canopée 
empêchait la lumière de traverser. A la lueur de ma torche, j’examinais cette 
substance gluante dont je ne trouvais pas la provenance et dont l’odeur ne 
m’inspirait rien de bon.
Je dois bien avouer que depuis tout petit, je n’ai pas une curiosité très 
développée pour nos amis reptiles. Alors, depuis que l’on m’a appris qu’il y 
avait dans ces forêts des serpents cracheurs, mon esprit cogite bien vite et me 
procure de petits coups de frayeurs très régulièrement. Mais il fallait bien 
continuer mon chemin et en arrivant à Ekongo, ma peau avait comme été brûlée, 
sans la moindre douleur toutefois. Elle était devenue brunâtre et recouverte de 
cloques, à l'image d'un méchant coup de soleil ou d'une brûlure à l’eau chaude. 
On m’expliqua qu’un insecte nommé Bongoli en était le responsable. Chose 
étonnante, de tous les travailleurs ayant fait la même rencontre, aucun ne put 
me décrire cet insecte. Il est apparemment très discret et à l’évidence 
sournois. Je suis bien désolé si je l’ai dérangé mais ce n’était quand même pas 
la peine de m’agresser comme ça.
Je demandais que faire contre ce semblant de brûlure, m’attendant à une bonne 
décoction de plantes à l’efficacité prodigieuse. Mais une erreur de 
compréhension me fit d’abord croire que j’allais garder cette marque à vie. Au 
final, quelques semaines plus tard, cela avait déjà disparu tout seul, laissant 
tout de même une fine cicatrice blanche.
Maintenant dans la forêt, j’ai peur des serpents et des Bongoli.

Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de la cérémonie que l’on nomme Ingona.
Ici, la grossesse et notamment lorsqu'il s'agit de la première est un évènement 
d’importance majeure.
Après la naissance de l’enfant, la coutume, pour une fois attentive au 
bien-être de la femme, lui offre une sorte de congé maternité. En effet, elle 
va devoir rester dans la maison avec interdiction de sortir et surtout 
interdiction de travailler, pendant 3 à 6 mois.  Alors les maris, qui ne 
feraient certainement pas le travail de leur épouse, emploient une personne 
pour effectuer certaines corvées : apporter de l’eau, couper du bois et 
préparer la nourriture de la famille. Durant cette période, la nourriture se 
veut être abondante car le mari se sentira fier de voir sa femme ressortir de 
la maison en ayant pris du poids. Les formes voluptueuses sont donc une manière 
d’exhiber les moyens de la famille.
Lors de la sortie, viande et alcool local sont rassemblés pour festoyer avec 
les amis, la famille et les autres villageois. Dans les familles les plus 
traditionnelles, la femme se recouvre abondamment le visage et une partie du 
corps d’huile de palme. Puis, elle défile dans le village, avec dans chaque 
main une lance à double pointe qui sert seulement pour cette occasion. Derrière 
la femme, se forme rapidement une grande procession et l’on chante à la bonne 
santé de la mère et de son enfant.
C’est aussi à ce moment-là que le jeune enfant fait son entrée officielle parmi 
les membres de la communauté.

Comme dans de nombreux pays d’Afrique, les familles sont nombreuses et je sais 
bien que pour beaucoup d’étrangers qui ont une vision à distance, cela semble 
incompréhensible ou même irresponsable. Mais on est loin de se douter du taux 
de mortalité des enfants.
Dans les villages qui entourent le camp, il n’y a qu’un seul médecin-chirurgien 
compétent à plus de 80 kilomètres à la ronde, et quelques infirmiers aux 
pratiques parfois totalement douteuses. Le travail qu’il parvient à faire dans 
les conditions qui sont les siennes est incroyable et depuis que ses moyens se 
sont améliorés, l’hygiène des familles et surtout des enfants progresse 
lentement.
Seulement, ce médecin a dû s’absenter pour une longue durée afin d’aller 
réclamer son salaire auprès de l’état…Son absence a malheureusement eu des 
conséquences immédiates et tragiques. Quelques jours après son départ, alors 
que j’arrivais au village, on m’informa qu’une femme à terme était décédée avec 
son bébé alors qu’elle se rendait à pied vers le centre médical le plus proche 
(plus de 15 kilomètres). Plus tard, de nombreuses personnes des villages 
avoisinants passèrent dans le village ; ils se rendaient aux funérailles en 
hurlant leur chagrin.
De nos jours dans nos pays du Nord, la probabilité de mourir en couche est 
devenue presque anecdotique grâce à l’amélioration des soins et leur rapidité 
de mise en place. Je ne pense même pas qu’une femme aujourd’hui s’inquiète des 
risques qu’elle encourt au moment de donner la vie.
Si bien que j’avais moi-même admis que ce n’était plus possible, comme une 
maladie que l’on aurait réussi à éradiquer pour de bon. Ce combat pour la vie 
fut donc une bien douloureuse prise de conscience .  En effet, de nombreux 
problèmes peuvent survenir pendant que l’on porte un enfant et encore plus au 
moment de le mettre au monde.
Tout cela est encore multiplié par la vie rude que mènent ces femmes si braves. 
Certaines, bien qu'enceintes, portent des charges jusqu’au camp, ramènent de la 
nourriture des champs ou des bidons d’eau sur leur tête.

Les Congolais doivent faire face à un autre problème de taille : la 
marchandisation de la santé. Oui je sais, ça existe de la même manière chez 
nous aussi… Rares sont les gens ayant un moyen d’obtenir de l’argent, de vrais 
billets. C'est ainsi que certaines personnes détenant cette science médicale 
vendent leur savoir à un prix exorbitant. Ce devoir de soigner coûte que coûte 
est bien loin. Et l’on voit donc certains travailleurs utiliser la moitié de 
leur salaire pour une consultation ou quelques médicaments bien souvent en plus 
peu adaptés à la situation. Cela m’attriste au plus haut point.

Il est 20h43 à Luikotale, bien tard dans un pays où la nuit tombe avant 18 h 
toute l’année. Je vous laisse car demain je dois me lever à 4h pour remplacer 
mes amis malades et suivre les bonobos de 5h30 jusqu’à 19h.
Longue journée en prévision. Souhaitez moi qu’ils évitent les zones 
marécageuses, je vous  en serai bien reconnaissant.

La prochaine fois, il faudra absolument que je vous parle des bonobos 
lorsqu'ils capturent d’autres animaux, singes ou antilopes, car ce sont des 
moments fascinants.

A très bientôt.

Alexis



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