-----Message d'origine-----
De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx]
Coucou à toutes et à tous,
Depuis plusieurs jours, les habitants du camp de Luikotale assistent tous les
jours à un magnifique spectacle vivant : des papillons par milliers ont envahi
le ciel congolais. Ils défilent au-dessus de notre tête comme des avions de
ligne en se dirigeant du Sud au Nord. Je ne reconnais qu’une seule espèce qui
domine ce grand mouvement de population. Leurs ailes sont d’une teinte blanc
crème très douce, semblables à une fine couche de nacre marquée de fines
arabesques comme dessinées à l’encre de chine.
Je me demande bien quelle destination les anime tous, combien de kilomètres
vont-ils parcourir, sûrement pour se reproduire, comment se dirigent-ils et si
l’endroit de leur rassemblement est éloigné. Certains se posent, font une
petite halte, souvent pour s’abreuver autour des sources d’eau du camp. Ainsi,
quand on se rapproche d’un attroupement, toutes les petites ailes s’agitent et
un nuage féerique se forme autour de nous. C’est sublime!
Malheureusement, je n’ai pas autant de temps que souhaité pour me consacrer à
ces moments de pure contemplation.
En effet, on ne peut pas dire que "tout roule comme sur des roulettes au camp".
4 des 7 internationaux sont malades depuis plus d’un mois et nous ne parvenons
pas à relier les symptômes divers et à trouver le remède. Ce serait assez
classique pendant la saison sèche, les populations se rapprochent des sources
d’eaux, les animaux, insectes et parasites en font tout autant et on observe
plus de cas de paludisme, plus de problèmes digestifs… N’ayant évidemment pas
de médecin sous la main
(ce serait bien trop facile), c’est donc dans notre précieux livre "Quand il n’y a pas de
médecin" que nous plaçons tous nos espoirs. Ah combien de fois j’ai feuilleté ces pages en
demandant à Megan : "Aujourd’hui tes selles sont jaunes et visqueuses ou plutôt avec du mucus
?" (Bon appétit si vous faîtes l’erreur de lire ce mail en mangeant).
Cependant, n’allez surtout pas vous inquiéter inutilement, les symptômes bien
que nombreux sont sans gravité majeure. Comme dans bon nombre de pathologies
ici, le symptôme qui prédomine est un état de fatigue aiguë.
Lorsque les situations deviennent difficiles à démêler, les esprits finissent
par s’ouvrir et je m’amuse de voir les plus sceptiques du camp finir par
accepter de donner une chance aux remèdes locaux. Les hommes ont encore une
certaine connaissance des vertus médicinales de certaines plantes, écorces,
racines… Et donc tous les soirs, nous avons droit à une infusion dont jamais je
ne pourrai vous décrire le degré d’amertume. Mais rares sont les médicaments à
la saveur légendaire, me direz-vous, alors on avale d’un trait et petit à petit
on finit par s’habituer à ce breuvage homéopathique.
Petit récit des surprises de la forêt : Alors que je marchais en fin de journée
pour me rendre d’un camp à l’autre, je fus grandement surpris de me retrouver
soudainement avec un liquide visqueux et orangé sur l’avant-bras. Je ne voyais
pas très bien car même s’il n’était pas tard, la couverture de la canopée
empêchait la lumière de traverser. A la lueur de ma torche, j’examinais cette
substance gluante dont je ne trouvais pas la provenance et dont l’odeur ne
m’inspirait rien de bon.
Je dois bien avouer que depuis tout petit, je n’ai pas une curiosité très
développée pour nos amis reptiles. Alors, depuis que l’on m’a appris qu’il y
avait dans ces forêts des serpents cracheurs, mon esprit cogite bien vite et me
procure de petits coups de frayeurs très régulièrement. Mais il fallait bien
continuer mon chemin et en arrivant à Ekongo, ma peau avait comme été brûlée,
sans la moindre douleur toutefois. Elle était devenue brunâtre et recouverte de
cloques, à l'image d'un méchant coup de soleil ou d'une brûlure à l’eau chaude.
On m’expliqua qu’un insecte nommé Bongoli en était le responsable. Chose
étonnante, de tous les travailleurs ayant fait la même rencontre, aucun ne put
me décrire cet insecte. Il est apparemment très discret et à l’évidence
sournois. Je suis bien désolé si je l’ai dérangé mais ce n’était quand même pas
la peine de m’agresser comme ça.
Je demandais que faire contre ce semblant de brûlure, m’attendant à une bonne
décoction de plantes à l’efficacité prodigieuse. Mais une erreur de
compréhension me fit d’abord croire que j’allais garder cette marque à vie. Au
final, quelques semaines plus tard, cela avait déjà disparu tout seul, laissant
tout de même une fine cicatrice blanche.
Maintenant dans la forêt, j’ai peur des serpents et des Bongoli.
Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de la cérémonie que l’on nomme Ingona.
Ici, la grossesse et notamment lorsqu'il s'agit de la première est un évènement
d’importance majeure.
Après la naissance de l’enfant, la coutume, pour une fois attentive au
bien-être de la femme, lui offre une sorte de congé maternité. En effet, elle
va devoir rester dans la maison avec interdiction de sortir et surtout
interdiction de travailler, pendant 3 à 6 mois. Alors les maris, qui ne
feraient certainement pas le travail de leur épouse, emploient une personne
pour effectuer certaines corvées : apporter de l’eau, couper du bois et
préparer la nourriture de la famille. Durant cette période, la nourriture se
veut être abondante car le mari se sentira fier de voir sa femme ressortir de
la maison en ayant pris du poids. Les formes voluptueuses sont donc une manière
d’exhiber les moyens de la famille.
Lors de la sortie, viande et alcool local sont rassemblés pour festoyer avec
les amis, la famille et les autres villageois. Dans les familles les plus
traditionnelles, la femme se recouvre abondamment le visage et une partie du
corps d’huile de palme. Puis, elle défile dans le village, avec dans chaque
main une lance à double pointe qui sert seulement pour cette occasion. Derrière
la femme, se forme rapidement une grande procession et l’on chante à la bonne
santé de la mère et de son enfant.
C’est aussi à ce moment-là que le jeune enfant fait son entrée officielle parmi
les membres de la communauté.
Comme dans de nombreux pays d’Afrique, les familles sont nombreuses et je sais
bien que pour beaucoup d’étrangers qui ont une vision à distance, cela semble
incompréhensible ou même irresponsable. Mais on est loin de se douter du taux
de mortalité des enfants.
Dans les villages qui entourent le camp, il n’y a qu’un seul médecin-chirurgien
compétent à plus de 80 kilomètres à la ronde, et quelques infirmiers aux
pratiques parfois totalement douteuses. Le travail qu’il parvient à faire dans
les conditions qui sont les siennes est incroyable et depuis que ses moyens se
sont améliorés, l’hygiène des familles et surtout des enfants progresse
lentement.
Seulement, ce médecin a dû s’absenter pour une longue durée afin d’aller
réclamer son salaire auprès de l’état…Son absence a malheureusement eu des
conséquences immédiates et tragiques. Quelques jours après son départ, alors
que j’arrivais au village, on m’informa qu’une femme à terme était décédée avec
son bébé alors qu’elle se rendait à pied vers le centre médical le plus proche
(plus de 15 kilomètres). Plus tard, de nombreuses personnes des villages
avoisinants passèrent dans le village ; ils se rendaient aux funérailles en
hurlant leur chagrin.
De nos jours dans nos pays du Nord, la probabilité de mourir en couche est
devenue presque anecdotique grâce à l’amélioration des soins et leur rapidité
de mise en place. Je ne pense même pas qu’une femme aujourd’hui s’inquiète des
risques qu’elle encourt au moment de donner la vie.
Si bien que j’avais moi-même admis que ce n’était plus possible, comme une
maladie que l’on aurait réussi à éradiquer pour de bon. Ce combat pour la vie
fut donc une bien douloureuse prise de conscience . En effet, de nombreux
problèmes peuvent survenir pendant que l’on porte un enfant et encore plus au
moment de le mettre au monde.
Tout cela est encore multiplié par la vie rude que mènent ces femmes si braves.
Certaines, bien qu'enceintes, portent des charges jusqu’au camp, ramènent de la
nourriture des champs ou des bidons d’eau sur leur tête.
Les Congolais doivent faire face à un autre problème de taille : la
marchandisation de la santé. Oui je sais, ça existe de la même manière chez
nous aussi… Rares sont les gens ayant un moyen d’obtenir de l’argent, de vrais
billets. C'est ainsi que certaines personnes détenant cette science médicale
vendent leur savoir à un prix exorbitant. Ce devoir de soigner coûte que coûte
est bien loin. Et l’on voit donc certains travailleurs utiliser la moitié de
leur salaire pour une consultation ou quelques médicaments bien souvent en plus
peu adaptés à la situation. Cela m’attriste au plus haut point.
Il est 20h43 à Luikotale, bien tard dans un pays où la nuit tombe avant 18 h
toute l’année. Je vous laisse car demain je dois me lever à 4h pour remplacer
mes amis malades et suivre les bonobos de 5h30 jusqu’à 19h.
Longue journée en prévision. Souhaitez moi qu’ils évitent les zones
marécageuses, je vous en serai bien reconnaissant.
La prochaine fois, il faudra absolument que je vous parle des bonobos
lorsqu'ils capturent d’autres animaux, singes ou antilopes, car ce sont des
moments fascinants.
A très bientôt.
Alexis