message d'origine-----
De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx]
Bonjour à vous les amoureux de la forêt,
Laissez-moi enfin vous parler un peu plus des bonobos, c’est tout de même
pour eux que je suis venu ici, je crois…
Le camp de Luikotale fut le premier à être créé il y a 15 ans ; par contre les
études au camp
d’Ekongo ont démarré il y a seulement 2 ans après au moins 10 années de
négociation
avec le village à qui appartient cette forêt. Contrairement aux chimpanzés que
l’on trouve dans plusieurs pays, les bonobos sont endémiques de la RDC.
Un premier camp avait été créé dans l’Est du pays où vivent aussi des gorilles.
Cette région est devenue très instable après le génocide du Rwanda et continue
de l’être aujourd’hui à cause des ressources minières.
Le camp dut être évacué et après plusieurs années un nouveau
camp d’étude a pu voir le jour dans cette zone reculée du centre du pays.
Les études que nous faisons ici sont essentiellement comportementales.
Nous récoltons seulement urine et fèces pour des études sur l’alimentation, en
vue d’analyses génétiques et pour réaliser des tests de grossesse. Ce sont
d’ailleurs exactement les mêmes hormones chez nos cousins qui permettent à ces
petites bandelettes d’annoncer un heureux évènement.
Parvenir à cette étape de collecte de données, implique de pouvoir observer
les bonobos. En effet, ces animaux sauvages, chassés comme viande de brousse,
n’ont pas la moindre raison de se laisser approcher par de jeunes scientifiques
armés de jumelles.
La phase d’habituation caractérise alors cette période. Elle s’étale
généralement
sur plusieurs années durant lesquelles on va tenter de suivre les bonobos afin
qu’ils
tolèrent notre présence après s’être rendus compte de notre inoffensivité.
Au camp d’Ekongo, c’est actuellement la mission de Giovanni l’Italien et
d’Attila le Britannico-hongrois.
Avec eux, un couple d’entomologistes russes, Alexey et Tatiana, étudient les
insectes.
Chaque nuit, Alexey fait tourner un générateur qui alimente des lampes
ultraviolets.
Celles-ci attirent alors des centaines de papillons et autres insectes qu’il
collecte et identifie.
S’il découvre une nouvelle espèce, alors il la décrit et la nomme, c’est ce
qu’on appelle la taxinomie.
A Luikotale, nous avons deux communautés de bonobos, l’une à l’Est et l’autre
à l’Ouest de la rivière Bompuza. Ce n’est pas une vraie frontière car ces
temps-ci, ils n’hésitent pas
à traverser la rivière pour rendre visite à leurs voisins, tout en restant dans
les arbres.
Cela fait le plaisir des personnes qui les suivent et qui luttent dans ces
endroits très humides et boueux.
Ces communautés sont donc « habituées » depuis plusieurs années. Pour les
étudier, en ce moment 3 assistants chercheurs collectent des données
comportementales sur les différents individus.
Sans entrer dans le détail, on note la composition des groupes. Ceux-ci
évoluent énormément d’un jour à l’autre. On note également un certain nombre de
comportements particuliers entre eux (épouillages, copulations, frottements,
vocalisations…).
Mais la petite équipe de chercheurs ne peut pas observer les bonobos toute la
journée.
En effet, certains d’entre eux doivent être prêts à partir dès 5 h pour
s’approcher des nids qui peuvent se situer jusqu’à 2h de marche du camp. Une
autre équipe assure alors la relève
jusqu’au soir, au moment où commence la construction de nouveaux nids, vers 17h.
Les journées de travail sont ainsi réparties entre une équipe du matin et une
autre du soir.
Pour cela 4 travailleurs congolais assurent le relais. Ce sont des experts de
la forêt, ils ont conservé cet instinct de chasseur des premiers temps de notre
espèce. Ils reconnaissent chaque bruit, savent lire les traces laissées par les
bonobos. Ils connaissent aussi mieux que personne les arbres, les feuilles et
les fruits consommés par ces grands singes.
Sans leur savoir, nous ne ferions pas grand-chose, il faut bien le reconnaître.
D’autres Congolais travaillent au camp : 1 pêcheur (le poisson étant la base de
leur alimentation),
1 cuisinier, 1 assistant de camp qui effectue diverses tâches.
Il est notamment chargé de couper le bois pour le feu, d’apporter l’eau pour la
cuisine, la boisson et la douche et d’entretenir les différents bâtiments selon
ce que je lui demande.
Enfin 10 jours par mois, un spécialiste en phénologie vient étudier les
évolutions annuelles d’un grand nombre d’arbres et de lianes.
Voilà pour notre petite communauté.
Les photos vous ont peut-être amenés à vous poser au moins une question.
Pourquoi portons-nous un masque ?
Ce n’est pas juste pour le plaisir de suer à grosses gouttes comme un
chirurgien en pleine opération pour un triple pontage coronarien. Le but est
simplement d’éviter les transmissions de maladies.
Du fait de notre parenté, cette transmission de pathogènes peut se faire dans
les deux sens mais nous redoutons surtout de transmettre des maladies aux
bonobos contre lesquelles ils ne pourraient pas se défendre.
Dans cette atmosphère chaude et humide où souvent les bonobos nous font
courir, le masque n’est assurément pas agréable à porter mais sa nécessité est
vitale.
D’autres règles s’imposent, en suivant ou observant les bonobos, notamment de
respecter une distance d’une dizaine de mètres pour ne pas les effrayer et
affecter leur comportement et ne communiquer qu’en chuchotant. La communication
entre 2 personnes à distance se fait par
des hurlements de singe que l’on appelle whoop. En faisant résonner nos cordes
vocales,
on peut se parler jusqu’à 800 mètres environ. 1 whoop = ça va, je suis seul, 2
whoops = je suis avec des bonobos, 3 whoops = je suis en danger. Simplissime.
Parfois, ils peuvent être effrayés par un appareil photo ou même simplement par
notre regard qui les scrute. Il nous faut alors détourner le regard de manière
désintéressée, tout en surveillant du coin de l’œil que ce ne soit pas une
technique pour nous échapper.
Je vous ai déjà dit que j’adorais jouer de la machette mais lorsque l’on suit
les bonobos, un autre outil devient indispensable. Amis jardiniers, je vous
présente le sécateur. Il ne nous quitte jamais, comme un cowboy avec son 6
coups.
La forêt, pleine de vie, prend le parti des bonobos. Nous luttons dans des
marécages puants, escaladons des troncs qui semblent s’être laissés tomber
juste sur notre chemin. Les lianes cherchent à nous ceinturer et à entraver
tous nos mouvements, certaines plus agressives nous arrachent même quelques
morceaux de peau. Je ne vous parle même pas de ces ronces, à la surface telle
du papier à poncer, qui vous effleurent seulement la peau et la brûlent en
laissant de grandes marques qui cicatrisent en quelques jours.
On m’a déjà demandé si je m’ennuyais ici. La réponse est non, dès que J’ai du
temps je fais de la couture... Meilleur moyen de prolonger la vie de notre
matériel et surtout des chaussures.
Souvent, lorsque je marche avec un Congolais, j’essaie d’imposer un peu le
rythme. J’aime
marcher vite, produire un bon effort et puis d’un autre côté je sens que je
suis observé.
On m’a déjà dit qu’en tant que chef je devais montrer l’exemple. Alors,
tranquillement,
j’essaie d’être à la hauteur de mes responsabilités.
En général, j’arrive quand même à le distancer, au prix de gros efforts. Mais,
en prenant du recul,
la fierté que cela me procurait m’a soudain paru bien ridicule. Car même s’ils
parcourent quotidiennement des kilomètres depuis un âge où nous, nous ne savons
pas faire
grand-chose, tous les paramètres me conditionnent pour être meilleur :
meilleur équipement (chaussures de course au lieu de tongs dans la forêt),
meilleure alimentation depuis toujours, meilleurs traitements médicaux.
Depuis, je suis un peu plus humble et chaque jour je me dis que ces hommes et
femmes
sont extraordinaires. Nous ne possédons pas un centième de leur détermination
et de cette persévérance sans faille.
L’autre jour, une femme a porté 37kg sur son dos depuis le village jusqu’au
camp (25kms). Ça me rend toujours admiratif et assurément mal à l’aise.
J’aimerais donc vous raconter mon premier contact avec les bonobos.
C’était en décembre, j’accompagnais Barbara qui a créé le projet, et Thomas,
photographe pour le WWF.
Nous rejoignons la communauté de l’Est, le groupe se trouve à 1h de marche,
le temps pour approfondir mes connaissances des primates. Arrivés à la dernière
distance
connue, nous appelons donc Innocent, le travailleur qui suivait les bonobos
depuis le
matin. Il nous répond rapidement et Barbara sort alors son compas pour prendre
le cap.
Nous nous engageons dans la jungle dans sa direction, toutes les 5 minutes
Barbara confirme
le cap en appelant à nouveau Innocent. Puis enfin nous l’apercevons, puis le
perdons et
ainsi de suite régulièrement. A cet endroit, en raison de l’épaisseur des
feuillages,
la visibilité n’est guère supérieure à quelques mètres. Enfin arrivés à son
niveau,
il nous montre du doigt les touffes de poils noirs qui se cachent derrière
quelques feuilles.
Je ne distingue pas grand-chose mais en me retournant je me rends compte qu’ils
sont nombreux
et de tous les côtés. On me montre la jeune Mobini (la danseuse en lingala),
peu farouche qui déguste quelques feuilles au-dessus de nous. Plus au loin
trois jeunes polissons
se chamaillent et chahutent en grimpant dans les lianes. Sur un énorme tronc
couché,
un gros mâle (Soso) assis sur son arrière-train décortique quelques feuilles et
nous regarde, impassible.
Incroyable spectacle, j’en reste sans voix, simplement ému.
Ce jour-là, nous suivons sans peine la troupe dans sa recherche de nourriture.
Ils restent pendant plusieurs heures au sommet d’un arbre fruitier pendant que
des essaims
de guêpes nous assaillent, attirées par notre délicieuse transpiration. Gavés
de nourriture,
ils ne parcourent pas une grande distance avant de se décider à grimper dans
les arbres pour construire leurs nids. Quelques branches repliées, au sommet ou
non des arbres, et voilà
un parfait repère pour passer la nuit en sécurité.
Ah, que j’aimerais les suivre tout là-haut.
Vous avez donc remarqué que chaque individu porte un nom.
Mais comment reconnaître un bonobo d’un autre, me direz-vous. Eh bien,
c’est assez simple, il suffit d’observer attentivement la forme de la moustache
qu’ils a dès sa naissance. C’est pour cela que l’on retrouve par exemple des
individus nommés Zorro,
Dali ou encore Cap’taine Hadock.
Nan je vous fais marcher, je n’ai pas résisté à cette occasion facile.
En réalité, c’est moins original et esthétique. Les mâles se reconnaissent à
leurs testicules
et les femelles à leur vulve très gonflée et marquée de plis dont la forme
varie selon la fertilité.
Les formes, couleurs et signes distinctifs permettent alors d’identifier chaque
individu.
Accompagnées des photos du jour, les discussions à table sont toujours
passionnantes.
Je vais essayer de reprendre du temps pour écrire à nouveau cette semaine.
Je pourrai vous parler des traces invisibles de la forêt et vous raconter la
suite de l’histoire concernant la présence de braconniers dans notre zone.
Des bisous.
Alexis