[locobonobo] Fwd: Nouvel an a Lompole

  • From: Alexis LOUAT <alexis.louat@xxxxxxxxx>
  • To: locobonobo@xxxxxxxxxxxxx
  • Date: Wed, 10 Jan 2018 23:38:47 +0100


Message d'origine-----
De : Field Luikotal Pactor [mailto:lk_pactor@xxxxxxxxxx]

Bonjour à tous,

Me voilà lancé pour vous raconter comment la petite troupe du camp de Luikotale 
a célébré le changement d’année. Au village, c’est une fête que l’on prend 
vraiment au sérieux. C’est le moment le plus faste de l’année. Tout le monde se 
rassemble dans les villages pour faire la fête, manger copieusement et boire 
énormément. La tradition veut que cela soit aussi le moment pour faire des 
cadeaux aux femmes et aux enfants, principalement des vêtements.

Pour moi cela a été vraiment compliqué à organiser car mes travailleurs 
voulaient pour la plupart rentrer au village et je ne pouvais pas leur refuser 
ce moment familial. Mais j’avais aussi besoin de personnes de confiance pour 
garder notre camp car nous voulions nous rendre au village.
En effet, bien des personnes mal intentionnées pourraient profiter de notre 
absence pour fouiller le camp et le vider de tout ce qui s’y trouve.
Mais mon autre grand souci concerne la forêt qui nous entoure. En effet pour 
vraiment honorer cette fête, il est obligatoire pour ce peuple de chasseurs de 
consommer de la viande. Alors depuis quelques semaines, antilopes et cochons 
sauvages sont traqués dans les forêts et savanes.
Lors de mon aller au village de Lompole, j’ai croisé 3 frères revenant de la 
chasse. Ils avaient un magnifique bébé antilope de la taille d’un chiot, ici le 
parfait cadeau pour un enfant. Puis j’ai compris que la mère de ce petit se 
trouvait dans le panier de liane que cet homme portait sur le dos. Le charme 
disparu, je comprends néanmoins l’importance culturelle comme nutritionnelle de 
cette chasse, encore pratiquée à l’arc, à la lance et aux collets métalliques.
Aussi, j’étais particulièrement inquiet pour le camp car j’avais entendu 
beaucoup de bruits, beaucoup de rumeurs ; bien des personnes semblaient 
n’attendre que notre départ pour pouvoir venir chasser ici. Cette forêt est 
protégée : un accord avec les villageois la réserve à la science et interdit la 
chasse en ses limites. Voilà pourquoi elle regorge de bien plus de gibier que 
les forêts avoisinantes parfois sur-chassées pour le commerce de la viande.
Mais encore un cran au-dessus on trouve les vrais braconniers, ceux qui pistent 
les éléphants, attirés par les prix délirants de l’ivoire qui s’envole 
rapidement vers les marchés chinois. Des groupes d’éléphants ont été repérés 
plus ou moins près du camp et ce de manière régulière.
En confiant la responsabilité du camp aux 5 gardes, j’ai vraiment eu ce 
sentiment très désagréable de laisser la porte grande ouverte à ces mercenaires 
de l’or blanc. Cela m’a longuement tiraillé et culpabilisé.
C’est ainsi que lorsque nous sommes rentrés au camp, après les premières 
retrouvailles avec les groupes de bonobos, nous avons fait la tragique 
découverte d’un jeune mâle avec un collet accroché à un doigt.
Il avait réussi à l’arracher de son ancrage, au prix de se fracturer le poignet 
et de se cisailler le doigt qui avait déjà beaucoup enflé et risquait 
l’infection. Pour le moment il arrive encore à se déplacer et à se nourrir mais 
pour la suite, le pronostic est réservé. Il est déjà arrivé pour un autre 
individu qu’après un an, le câble métallique finisse par tomber. Le doigt fut à 
jamais atrophié et le bonobo présentait de nombreux signes d’une croissance 
anormale mais il parvint à s’en sortir. Nous suivons ça avec intérêt mais c’est 
vraiment une terrible nouvelle pour nous.

Lors de la fête au village, nous avons un peu ce statut de blancs spectateurs à 
qui l’ont veut faire le spectacle. Forcément on ne passe jamais inaperçus et 
pour moi c’est toujours très dérangeant de voir quelqu’un courir pour aller me 
chercher une chaise et que je sois le seul vraiment assis. Je n’aime vraiment 
pas les traitements de faveur mais mon statut d’administrateur me donne 
énormément de respect de tout le monde.
La nuit est tombée et nous nous attablons, affamés. Au menu, montagne de riz, 
haricots, l’indispensable chikwanga, quelques chèvres, crocodiles nains et 
tortue de rivière. Les animaux nous ont été présentés un peu plus tôt, encore 
vivants. Dur de voir ces beaux animaux sauvages en morceaux dans une casserole.
Puis, nous entendons dans le village quelques percussions qui attisent notre 
curiosité.
Un groupe s’est réuni près de la petite hutte du plus ancien du village, Papa 
Equateur, et qui est donc un des hommes les plus respectés.
Celui-là, c’est un drôle de personnage, ancien braconnier, il porte une marque 
au front qu’il affirme avoir été provoquée par le recul d’un fusil alors qu’il 
chassait l’éléphant pendant cette grande époque. Le seul mot français qu’il 
connait est « café » et à chaque fois que je suis au village il m’en réclame 
comme si nous avions signé un contrat invisible et je m’amuse de cette 
requête/offrande sans trop comprendre ce qu’il raconte. J’espère rapidement 
améliorer mon lingala pour dévorer ces histoires de chasseur et du monde de la 
forêt. Malgré ses plus de 70 ans, car pour connaitre son âge il faudrait savoir 
en quelle année il est né, il garde une énergie incroyable.
J’observe 3 instruments différents : des tamtams en peau d’antilope, un 
instrument ou l’on semble racler des morceaux de bambous alignés et le dernier, 
simple, ou l’on frappe deux bois l’un sur l’autre avec une sonorité un peu 
creuse.
La fête bat son plein au rythme des musiciens, les hommes dansent et boivent 
alors que les femmes, vêtues de leurs plus belles tenues colorées, restent à 
l’écart pour le moment.
Les chants, plutôt répétitifs, font partie d’une conservation de leur culture 
ancestrale. Ainsi, la plupart raconte les histoires des chasseurs, des 
braconniers. La danse de l’éléphant est assez explicite en terme de gestuelle.
Il semble n’y avoir qu’un seul danseur principal à chaque fois. Il est facile à 
reconnaitre car on lui attache un foulard autour de la taille et accessoire 
indispensable, une queue de buffle dont on se sert comme d’une baguette de chef 
d’orchestre ou comme d’un bâton de majorette. Forcément, je suis le premier des 
« mondele » (étranger) à rejoindre la danse. J’admets être un piètre danseur 
mais je ne pensais pas provoquer l’hystérie générale. L’important est qu’ils 
soient très heureux de nous voir participer et nous intéresser.
Autour de nous, il y a toujours des nuées d’enfants. Le village n’est pas grand 
mais avec une moyenne de 5 enfants par famille, ils semblent être infiniment 
nombreux. Ce qu’ils savent presque toujours dire c’est «j’ai besoin de photo ». 
Ça les amuse et ils deviennent complètement dingues. Difficile d’imaginer ce 
qu’ils comprennent de cela. Nous passons une grande partie de la soirée à jouer 
avec eux, je les fais monter sur mes épaules, tourner autour de moi en essayant 
de ne pas tomber, je leur cours après en les effrayant.
Ils sont adorables et nous offrent des bracelets qu’ils font devant nous avec 
différentes herbes; ils sont déjà tellement doués avec leurs petites mains. Je 
m’amuse aussi à répéter tout ce qu’ils racontent en lingala, ce qui les amuse 
beaucoup. Je n’ose même pas imaginer ce qu’ils m’ont fait raconter ces 
canailles.

Cette nuit-là, c’est la pleine lune. Elle surgit au-dessus des arbres, 
gigantesque et irradie le village d’un profond halo jaune.
Les femmes commencent à danser aussi, de leur côté, en traversant le village de 
part en part.
Puis 2 choses assez comiques se déroulent. Cela commence par une danse qui 
marque plus ou moins la première rencontre entre un homme et une femme. Nous y 
sommes invités et les rapprochements provoquent d’incroyables éclats de rire. 
Rafa terminera la soirée avec 2 femmes...
L’occasion parfaite pour lui faire une blague en rentrant à Luikotale en 
démarrant une fausse relation épistolaire, classique. Pour le moment il y croit 
sans se douter de rien.
Puis certaines femmes se sont mises à danser autour de Rafa et de Giovanni, en 
cercle très resserré. Comme ils étaient pris au piège, elles leur ont demandé 
de l’argent et ils sont restés bloqués comme ça un long moment, à attendre 
qu’elles les libèrent. Averti, je me préparais quand je les voyais trop se 
rapprocher de moi et je fonçais à travers le groupe comme un demi de mêlée 
cherchant l’embut. Je ne leur ai laissé aucune chance de m’attraper.
J’ai vraiment le sentiment que cette fête a été un très beau moment de partage, 
de découverte culturelle et que les barrières entre nos mondes ont complètement 
disparu le temps d’une soirée.

J’adore ces pays où le français n’est pas la langue maternelle mais où par 
l’intermédiaire d’un brassage culturel, dans ce cas-là légèrement imposé, notre 
langue s’ancre et évolue en suivant un chemin différent.
Parfois on retrouve des formules d’une époque où la bourgeoisie régnait :
« Au nom de qui répondez-vous Monsieur ? » demanda-t-on à Mattia quand il 
arriva pour la première fois dans le village de Bekombo.
Et souvent je reçois des lettres me priant d’apporter un soutien financier, aux 
formulations recherchées et des plus énigmatiques : « j’ai l’honneur de vous 
rédiger cette missive »,
« Veuillez me satisfaire dans mon sentiment patriotique »
« Bien des choses, cordialement »
Et chaque jour quand je leur demande comment ils vont , ils me répondent 
simplement « ça va un peu ».
Mais bien souvent, c’est plutôt de manière très directe qu’ils s’expriment, à 
l’impératif et sans politesse. Bien que cela ne soit pas intentionnel, cela 
peut surprendre et être parfois usant : « Donne-moi du savon », « je veux du 
papier »… Je discutais avec 2 petits anciens qui en ont tant vu, je les 
questionnais sur l’époque coloniale et malgré toutes les horreurs qu’ils me 
racontaient, j’avais presque l’envie d’esquisser un sourire à chaque fois que 
leur prononciation du mot « belges » sonnait comme celle de «berger ».

Nous reprenons la route le 2 Janvier, en fin de matinée, après avoir pris un 
repas protéiné à base de chenilles frites. A ne pas faire avec n’importe 
lesquelles, risque de réaction allergique d’après notre entomologiste russe qui 
en a fait les frais.
Nous prenons notre temps, Megan n’est pas en forme depuis quelque temps et la 
marche sous un soleil intense au milieu des longues savanes lui donne bien du 
mal. Nous prenons tout de même le temps de nous rafraîchir dans un bassin d’eau 
peu profond. Ici l’eau des rivières a une couleur très particulière, une sorte 
de rouge vif étincelant. Cette teinte apparemment due à la décomposition des 
feuilles dans l’eau semble surnaturelle et appelle à la baignade. Quelques 
lianes pendantes en guise de décor, une eau fraîche qui détend nos jambes, le 
bonheur est parfois si simple. Il suffit seulement de le voir.
Nous arrivons assez tard à la rivière qui borde notre camp. Et vers 16h30 la 
lumière baisse déjà vite, les nuages se multiplient dans le ciel.
Manque de chance, la pirogue qui était supposée nous attendre n’est pas à 
l’endroit convenu. Nous patientons, parcourons les berges, cherchons un camp de 
pêcheurs voisin où nous aurions la possibilité d’emprunter une pirogue. En 
vain, nos travailleurs qui gardaient le camp semblent nous avoir oubliés. Une 
petite tension silencieuse semble monter au sein de l’équipe, les nuages qui 
nous surplombent commencent alors à se vider de toute l’eau qu’ils contiennent 
et nous sommes rapidement trempés.
Finalement, avant que la nuit ne tombe vraiment, vient encore la solution de 
rejoindre le camp à la nage puis de ramener la pirogue. Ce n’est pas si 
difficile, environ 200 mètres sur la rivière principale en étant porté par le 
courant. Puis un petit bras de rivière tortueux apparait sur la gauche qu’il 
faut suivre pendant environ 10 minutes. Avec Rafa nous prenons nos 
responsabilités et nous lançons dans l’eau qui s’est rafraîchie avec la pluie. 
C’est le moment qu’attendaient nos camarades, bien plus experts de l’Afrique, 
pour nous rappeler que le crépuscule marque le début de la chasse des 
crocodiles et le moment où l’on trouve plus d’hippopotames. Il faut savoir que 
l’hippopotame est le deuxième animal le plus meurtrier en Afrique après le 
moustique, très territorial et pas commode malgré son air plutôt nonchalant. 
Voilà pour bien nous couper la chique comme on dit.
Nous prenons finalement notre mal en patience et imaginons comment nous créer 
un abri pour la nuit quand nous apercevons au loin la silhouette du petit 
Baduze manœuvrant la grande pirogue avec aisance. Un vrai héros sortant de la 
brume pour nous sauver. C’est la fin des soucis, nous serons très vite à la 
maison. La seule surprise des 20 mn de marche nocturne entre la dépose de la 
pirogue et le camp sera une anguille qui nous dispensera une puissante décharge 
dans les mollets. Comme si nous avions touché un fil électrique de bon voltage, 
Rafa, Megan et moi trébuchons dans l’eau simultanément, le courant nous 
paralysant les mollets. Drôle de sensation je vous l’assure.
Quel bonheur de retrouver notre camp, notre maison. Les travailleurs ont été 
adorables, le linge est plié et protégé de la pluie, des feux ont été allumés 
et le repas est prêt. Ils ont surveillé le camp comme des guerriers, jour et 
nuit sans relâche.

Promis la prochaine fois je vous parlerai des bonobos, j’ai quand même réussi à 
trouver le temps d’avoir quelques moments incroyables parmi eux. J’ai hâte de 
vous raconter.

Très bonne année 2018 à tout le monde, tous mes veux de bonheur à vous.
Profitez de la vie.

Alexis


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