Je voudrais dès l'année prochaine faire un cours régulier sur les pratiques numériques et la programmation [...] Vous comprenez qu'il s'agit d'un travail en amont, qu'il s'agit d'une sorte de préformation. Est-ce qu'il y a d'autres profs parmi vous qui pratiquent ce genre d'enseignement. Si oui, quelles méthodes utilisez vous, à quel niveau dans le cursus scolaire? etc. Pour un échange de point de vue (et éventuellement de didacticiels)
J'arrive un peu tard pour répondre à cette question qui me concerne assez directemment, je vais tenter d'y répondre quand-même...
Comme j'ai déjà pu expliquer ici et ailleurs, je traite directemment la question de la programmation dans le milieu des arts plastiques depuis déjà quelques temps. A l'Ecole d'art Aix-en-provence j'ai animé plusieurs workshops sur la programmation, où, par exemple, j'ai pu inviter des étudiants d'autres écoles pour élargir le débat sur ce sujet, pour aider ceux qui ne pouvaient pas bénéficier d'un tel enseignement chez eux, mais surtout pour voir si on assistait ou pas à l'emergence de quelque chose de mannière plus générale (le fait que je rencontre de plus en plus de gens dans votre cas me fait dire oui - mais avec des réserves). J'ai fait ce même workshop ailleurs, avec plus ou moins de succès. Pendant le restant de l'année, je dirige la mise en place des projets se servant de la programmation, et plusieurs étudants de chez nous ou d'ailleurs ont pu assister à cette recherche approfondie. Vous pouvez regarder dans les archives pour les details de tout ce travail.
Maintenant j'affiche clairement cette orientation ("atelier programmation") pour radicaliser le débat : ce qui a malheureusement donné un malentendu que j'ai recemment repéré chez les étudiants ("Douglas ne s'occupe *que* de la programmation") mais je suis prêt à prendre ce risque dans l'espoir de dévoiler les ideologies et faire bouger des ésprits (j'en ai marre des positions moues et consensuels sur ce sujet).
Mon collègue Peter Sinclair organise des workshops autour de MAX/MSP, et certains de ce liste ont pu participer. Son travail dans l'école s'oriente de plus en plus sur la création de dispositifs sonores temps-réel (et donc programmés). Constatant une direction, nous avons organisé (Peter, Jean Cristofol, Norbert Hillaire, et moi-même) une semaine de conférences autour du titre "CODE|ART" cette année, espérant encrer notre volonté d'explorer cette question avec une base théorique plus explicite, critique, et plus engagé. Peter aurait donc des choses également à dire sur ce sujet.
Nous avons aussi un spécialiste d'interfaçage (robotique/informatique) qui travaille plutôt par rapport aux projets et un spécialiste de l'électronique qui utilise (et enseigne donc) de la programmation dans les circuits (PIC et cie).
Oui, on utilise Director. Personellement, c'est ma spécialité. Je connais le Lingo à fond, alors je finis (pour le meilleur et le pire) à m'en servir la plupart du temps. Certains étudiants aiment RealBASIC aussi; je ne le connais pas à fond, mais l'enseignement théorique et architecturale est le même. J'enseigne aussi le BASIC pour la robotique (BasicSTAMP, PIC divers, etc), et de temps en temps du C pour Lego Mindstorms (NQC) ou Gameboy Color/Advance. Encore une fois, quelque soit le langage, l'enseignement est le même: les étudiants qui auraient bien suivi est saisi l'essentiel peuvent passer d'un environement à un autre avec les mêmes logiques, il faut juste leur tenir un peu la main, ou rester dans l'achitecture du programme, la façon d'attaquer le problème, etc. On touche de plus en plus au PHP, qui nous intéresse pas mal en ce moment.
Peter m'a introduit à MAX/MSP, et oui c'est génial. Pour ceux qui ne le conaissent pas, renseignez-vous. Je pense que c'est vraiement *la réponse* pour le artistes, l'avenir en somme, et marche bien pour les installations. Il faudrait simplement qu'ils perfectionnent le système multimedia pour avoir une solution plus globale - oui, NATO aurait du répondre à cette ambiguité, mais les auteurs sont des *(§%$! - j'en parle d'expérience.
Je compte également invité l'année prochaine un jeune chercheur du MediaLab (Casey Reas) qui a travaillé sur cette question (programmation par/pour artistes) avec John Maeda et son logiciel d'apprentissage "Design by Numbers". Il a notamment prolongé le logiciel pour ajouter de l'interactivité et le 3d. Son logiciel s'appelle "Processing"... Comme j'ai deux ans d'expérience avec le langage DBN à l'école (1er + 2ème années), Casey et moi pensions que ce serait intéressant de prolonger cette expérience, justemment parce qu'elle n'était pas que positive. Pour ceux qui aimeraient suivre cette piste, il y a un livre du même nom - "Design by Numbers" (anglais, désolé) - qui explique le langage (DBN est également téléchargeable gratuitement du site du MIT). C'est très pédagogique comme projet, part d'une bonne volonté, et semblerait répondre à mon projet *d'enseignement de la programmation aux jeunes artistes*, mais je suis quand-même déçu pour plusieurs raisons. On verra avec Casey si on peut répondre à ces réserves l'année prochaine. D'ailleurs, vos étudiants les plus motivés seraient les bienvenus dans ce workshop réduit (je prendrai, comme d'habitude, des d'étudiants extérieurs).
Si je regarde la production de l'atelier depuis quelques années, on peut distinguer trois types d'usage:
1) de la pure "commande" sans intérêt. L'étudiant a une idée plutôt vague de ce qu'est la programmation, ne comprends pas vraiement les enjeux, et veux quelque chose qui est probablement sans pensée plastique forte. Beacoup d'idées reçues dans cette catégorie, et d'une mécompréhension totale de l'interactivité, des processus émergeants, etc. Malheureusement je me trouve à aider ces projets sans intérêt de temps en temps (par gentilesse?) - j'en ai même fait un il y a quelques jours, et je vous recommande d'éviter cette situation comme de la peste.
2) l'etudiant engagé, à fond dans la programmation comme forme d'expression. On a une petite poignée de ceux-ci, mais c'est rare comme oiseau. Certains ne conaissaient pas la programmation avant d'arriver chez nous, d'autres la connaissaient avant mais n'avait pas de pensée "plastique" de la programmation, ou c'était trop sommaire - en tout cas, ce sont toujours des trajets assez singuliers. Evidemment je suis très proche de ce cas de figure, et on peut même parler d'un groupe de recherche assez forte des ex-d'Aix et des aixois actuels qui tombent dans cette catégorie. Ces étudiants, c'est important de le noter, sont presque toujours lourdement sanctionné d'une façon ou d'une autre - l'audace d'avoir choisi cette forme d'expression, soit dans les diplomes, soit après, rencontre de réels problèmes. Il n'y a pas encore - quoi qu'on en dise - un intérêt clair (théorique/politique) pour ce genre d'approche. Il faut tout (re)inventer.
3) l'étudiant débrouilleur, ou très intéressé. Ceux-ci sont aussi très intéressants. On a eu de très beau diplômes dans cette catégorie. Il s'agit de gens qui ne veulent pas êtres des "codeurs", mais sont prêts à s'investir dans une compréhension néanmoins de la chose, et même s'attaquer eux-même à la réalisation, même foireuse. Souvent, avec ceux-ci on programme le projet "ensemble" ou avec ceux de la catégorie 2. Ces projets sont souvent ceux qui sont les plus compris en dehors de l'école, parce qu'ils engagent des questions d'interface, de politique, ou d'espace très acessibles et novateurs, mais qui ne prennent pas leur sens dans des processus génératifs. La plasticité du travail vient d'ailleurs que de la programmation (image, installation, dispositif général, etc)... Il faudrait clarifier, par contre, une chose - qui distingue cette catégorie de la première: ces étudiants sont prêts à passez le temps *nécessaire* dans la programmation, que ce soit eux ou d'autres qui tapent les lignes de codes finales. Ce temps est très important, et c'est dans ce processus itératif, les labeurs de la construction, que le vrai travail intéressant se dégage. Ce ne sont absoluement pas alors des gens qui font de la "commande" de dispositif programmé. On peut parler plus d'une collaboration, et j'entends cela dans un sens très différent que ce qu'on a connu dans la passé où un artiste collabore avec un programmeur en suivant pas à pas le travail. Ma méthode d'enseignement est plus compliqué que cela: l'étudiant en question doit faire une grande partie du parcours de recherche.
De toute façon je pense, comme pour les autres techniques, que les élèves n'ont pas à tout savoir faire mais à savoir ce qu'on peut faire avec et les chemins pour y arriver, libre à eux de s'investir dans le dessin, la peinture ou le macramé.
Bien que j'ai pu adhérer à cette logique à des moments données, je pense de moins en moins que ce soit une position souhaitable, en tout cas qu'il s'agit d'un terrain dangereux. Dans l'ultime, oui, on peut "se servir" de la programmation sans vraiment la maitriser (voire plus haut). Mais dans la plupart des cas, c'est - comme on dit en anglais - un "cop-out", du dilletantisme, et on finit avec des objets sans beaucoup d'intérêt, pour toutes les raisons que je viens de citer.
La différence vient peut-être de ce que je viens d'expliquer sur la catégorie 3: il faut que celui qui ne saisit pas toutes les nuances de la programmation fait *néanmoins* tout le véritable travail de recherche. Vous allez me dire: mais comment peut-il faire cette recherche s'il ne maîtrise pas la programmation? Eh bien, c'est complexe, mais d'abord il n'y a pas encore - et ne sera jamais, j'espère - de metier arrêté et défini de la programmation, même les programmeurs professionnels sont dans la doute permanente. Les inventions et suprises peuvent (encore) venir alors de partout: vous n'avez pas à maîtriser la programmation pour trouver des processus significatives, parce qu'il n'y a pas à proprement parlé d'objet ou d'outil défini.
Je pense qu'il faut être très clair là-dessus: la programmation n'est pas un outil comme un autre, encore moins que la peinture par rapport au dessin (parce qu'eux aussi ne sont pas des outils comme des autres - ou même des "outils" du tout). C'est une mode de pensée, un processus, une politique...
Je pousse alors les étudiants à se perdre dans cette matière, et j'ai eu un exemple très heureux la semaine dernière d'un étudiant qui a découvert quelque chose sans que j'intervienne, alors qu'il ne comprennais pas comment il y est arrivé. On a pu, à partir de là, extraire la trouvaille, et du coup il a une nouvelle mode de création qu'il explore...
Pour trouver un terrain d'entente avec les "autres" disciplines qu'on peut recontrer dans une école d'art, il faudrait trouver des espaces transversales où la programmation se déborde, mais de l'intérieur. Par exemple, Jean Cristofol et moi commençons à travailler sur les différentes choses en jeu dans telle ou telle type de travail programmé dans l'école ou à LOEIL: une taxonomie plus sophistiqué que "interactif", "génératif", "calculé". Il faudrait parler des notions d'emergence, de simulation, d'emulation, etc., en tout cas des modes de pensée bien spécifique à l'intérieur de la programmation qui parlent à d'autres pensées plastiques. Trouver des processus d'abstraction plus débordants que for(i=10;i<100;i++). Ce qui est intéressant, c'est que nous commençons à avoir assez d'expériences passés et en cours chez nous pour avoir des directions qui se dégagent et pouvoir percevoir leur relief.
J'ai été longue. J'en reste là. Evidemment il y a beaucoup d'autres choses à dire...
-- Douglas Edric Stanley destanley@xxxxxxx
Professeur d'Arts numeriques, L'école supérieur d'art d'Aix-en-provence Artiste/Chercheur, Laboratoire Esthétique de l'interactivité, Université de Paris 8